Cette année, sept films de la plateforme Netflix cumulent 35 nominations aux Oscars, dont la cérémonie se tient dimanche aux États-Unis. Une performance qui témoigne du pouvoir grandissant du streaming au détriment des salles obscures, sinistrées par la pandémie de Covid-19.
Elles sont les grandes gagnantes de la pandémie de Covid-19. Les plateformes de streaming continuent leur ascension dans une industrie en pleine mutation. Netflix pourrait ainsi rafler le plus grand nombre de statuettes au cours de la 93e cérémonie des Oscars qui se déroulera dans la nuit du dimanche 25 avril aux États-Unis.
Si les plateformes se portent aussi bien, c’est que dans le même temps, les salles obscures traversent une crise inédite. Aux États-Unis, la situation est particulièrement préoccupante. Le 12 avril, le propriétaire des chaînes Pacific Théâtres et ArcLight a annoncé que ses cinémas ne rouvriraient pas à l’issue de la pandémie de Covid-19. Un coup de massue pour Hollywood, qui célébrait tout juste la réouverture progressive des salles, autorisée depuis le 15 mars à Los Angeles. « Je suis dévasté », s’est notamment ému le réalisateur James Gunn sur Twitter.
En juin dernier, c’est AMC, l’un des leaders du marché, qui a frôlé la banqueroute. Aujourd’hui, l’entreprise américaine, qui possède un millier de salles à travers le monde dont 600 aux États-Unis, se montre plus optimiste, après avoir levé près d’un milliard de liquidités. « Il n’est plus question de parler de dépôt de bilan d’AMC à court terme », a assuré son PDG, Adam Aron, fin janvier.
Reste que les cinémas américains sont fragilisés et que seuls les plus gros pourront tenir le choc. Afin de soutenir le secteur, le plan de relance de Joe Biden voté en mars prévoit plus de 16 milliards de dollars supplémentaires d’aides pour les salles de spectacle.
Le triomphe du petit écran
Voilà un an que l’industrie cinématographique doit composer avec des pertes colossales causées par la fermeture des salles obscures. Très peu de blockbusters ont été projetés au public et les grands studios ont privilégié des sorties directement sur les plateformes.
Disney a par exemple annoncé que « Luca », la dernière création des studios Pixar, sortirait directement sur sa plateforme Disney+ le 18 juin. Récemment, le second opus du film « Un prince à New York » est également sorti sur Amazon Prime Vidéo plutôt qu’en salle.
De son côté, Warner a opté pour une sortie hybride – à la fois en salle et en streaming – de tous ses longs métrages prévus en 2021, une décision vivement critiquée par le réalisateur Denis Villeneuve, dont le film « Dune » fait partie des œuvres cinématographiques les plus attendues de l’année.
Même le grand favori de la 93e cérémonie des Oscars, « Nomadland« , de la réalisatrice chinoise Chloe Zhao, déjà bardé de prix, sera directement disponible sur Disney+.
La France épargnée ?
Et il n’y a pas qu’aux États-Unis que les temps sont durs pour les cinémas. En 2020, la France a enregistré une baisse de fréquentation de ses salles obscures de 70 % tandis que les plateformes faisaient le plein. Netflix a ainsi dépassé en début d’année la barre des 200 millions d’abonnés à travers le monde.
Comme dans d’autres domaines, le Covid-19 a précipité des mouvements déjà en cours. Selon Olivier Thuillas, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Nanterre, la crise sanitaire pourrait conforter le passage du grand au petit écran des nouvelles générations. « Les plus jeunes continuent d’aller au cinéma mais on constate que ce ne sont plus eux qui portent la fréquentation des salles », explique ce spécialiste de l’industrie du cinéma joint par France 24. « 15 % des Français ont aujourd’hui des habitudes culturelles entièrement numériques. Cette tendance forte représente une menace pour les salles de cinéma. »
Cependant, contrairement aux cinémas américains, les salles françaises ont un avantage majeur sur les plateformes : la chronologie des médias. Ce système offre aux salles l’exclusivité d’exploitation d’un long-métrage avant qu’il aille garnir le catalogue des services de vidéo à la demande ou de streaming. Face à la concurrence de la télévision, l’idée avait émergé dans les années 1960 pour protéger les salles de cinéma. Le principe avait définitivement été adopté par une loi de 1982 sur la communication audiovisuelle.
Mais là encore, la crise sanitaire est passée par là. Au début du mois, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a annoncé une dérogation pour permettre aux nouveaux films de sortir directement sur petit écran. Objectif : éviter un embouteillage lors de la réouverture des salles car près de 400 films attendent de pouvoir enfin être projetés.
Si le CNC insiste sur le caractère exceptionnel de cette mesure, certains professionnels s’inquiètent de ces coups de canif dans la sacro-sainte chronologie des médias et d’une remise en cause du modèle bien huilé du financement du septième art, qui repose sur les contributions obligatoires des salles de cinéma, des chaînes de télévision et des éditeurs vidéo. D’autant que les règles du jeu vont bientôt changer en vertu d’un décret gouvernemental, transposition d’une directive européenne.
Aujourd’hui, Canal+ et OCS doivent attendre six à huit mois après une exploitation en salle pour proposer un long-métrage, tandis que les autres plateformes, qui ne participent pas au financement du cinéma français (Netflix, Amazon Prime Vidéo ou Disney+, notamment) doivent respecter un délai de trois ans, bientôt ramené à 12 mois. En échange, les plateformes devront verser 20 à 25 % de leur chiffre d’affaires fait en France à la création culturelle française.
« Le financement du cinéma français est bien rodé et certains acteurs s’inquiètent de voir les plateformes bousculer cet écosystème, analyse Olivier Thuillas. Mais il y a aussi un jeu de poker menteur de la part de Canal+, qui a été très bien voire trop bien servi ces 30 dernières années. Au fond, ces nouveaux financements représentent plutôt une bonne nouvelle pour la création française. »
Des raisons d’espérer
Et si finalement, streaming et cinéma pouvaient faire bon ménage ? Le récent succès au box-office du film « Godzilla vs Kong » offre un début de réponse. Pourtant disponible sur HBO Max, le service de streaming de Warner Media, le long-métrage est parvenu à récolter plus de 400 millions de dollars de recettes, soit le plus gros succès du cinéma mondial depuis le début de la pandémie de Covid-19.
Si ce succès est à relativiser dans la mesure où le film ne souffre d’aucune concurrence en cette période de disette cinématographique, des signes encourageants laissent entrevoir la lumière au bout du tunnel. Dans plusieurs pays, et notamment en Chine, où les salles ne sont plus soumises à une jauge de spectateurs, le public revient en force après un an de sevrage.
« L’exploitation des films en salle reste une rentrée d’argent extraordinaire que ne remplace pas des millions d’abonnements à une plateforme. Les salles ont donc encore de beaux jours devant elles car ce modèle économique fonctionne un peu partout dans le monde », estime Olivier Thuillas, qui prédit une ruée des Français vers les salles obscures dès que les restrictions sanitaires seront levées.
Selon une information du Canard enchaîné, la réouverture de tous les lieux culturels, dont les cinémas, pourrait avoir lieu le 17 mai en France avec une jauge à 35 %.
« Notre travail va consister à réhabituer les spectateurs à venir en salle. Cela va prendre du temps », reconnaît Richard Patry, le président de la Fédération nationale des cinéma français (FNCF), qui confirme à France 24 que l’ensemble des 6 000 salles de l’Hexagone rouvriront leurs portes. « Il va falloir continuer à aider les salles car la période qui arrive va être excessivement difficile, mais on y croit. »
Quant à la concurrence des plateformes, elle n’inquiète pas Richard Patry, qui rappelle que la mort du cinéma a déjà été annoncé à plusieurs reprises après l’apparition de la télévision ou encore des services de vidéo à la demande. « Les enquêtes réalisées à l’étranger montrent que les gens vont revenir car tout le monde le sait : le cinéma est le plus bel endroit du monde pour voir un film. »
Source : France 24