DAKAR EN PERDITION

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JOURNAL D’UNE CONFINÉE, PAR ANNIE JOUGA
Annie JOUGA©Malick MBOW

DAKAR EN PERDITION

EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – Bien qu’elle soit une ville créée de toute pièce par l’administration coloniale, elle a sa logique. Pourquoi ne pas l’accompagner plutôt que de la démolir ? Comment ne pas lui faire traverser les temps ?

Annie Jouga  |   Publication 31/10/2021

Jour 45

#SilenceDuTemps – Ah si tu savais Charles de Praia ! Après le stylo vient le carnet, souillé par qui tu sais, utilisé comme un vulgaire pense-bête. Catastrophe … Certes pour la première fois et la dernière, j’ai piqué une petite crise rekkk en espérant que cela serve ! Il y a des stylos et de carnets partout dans cette maison, mais non, pourquoi celui-ci ? C’est vrai qu’il traîne sur la table mais il est si reconnaissable.

Encore trois semaines et demi à tirer donc ! L’outil de mon rendez-vous quotidien, je lui dois un grand respect et mon voisin devra se conformer à la règle.

Une chose me manque particulièrement : mon cours de salsa. Tous les lundis à 19 h 00, un rendez-vous avec Éli Salsa et ses hommes face à nous les filles décidées à en découdre pendant une heure et demi ; dans le cadre idéal de la cour de ce merveilleux bâtiment « le Cercle de la Rade ». Nous arrivons toutes ou presque fourbues après une journée remplie et de joie et de contrariété, la vie quoi ! Alors je vous assure qu’à peine les premières notes de musique résonnent, tous nos bobos s’envolent ; plus de : « j’ai eu mal aux genoux, au dos … toute la journée ». Ces moments-là sont pour moi comme une heure de gym doublée d’une heure de marche à vive allure, exténuants mais si revigorants. Pour les rater, il me faut de vrais et graves prétextes. J’ai connu le même plaisir lorsque je me suis engagée sur les Chemins de Saint Jacques de Compostelle avec mon amie Simone, qui elle avait déjà fait un bon bout de chemin en plusieurs fois. J’avais terriblement mal aux genoux, j’ai vu le médecin avant et il m’a encouragée. Et me voilà partie sur les routes pour un périple de 85 Km en 4 jours. Il faisait un temps merveilleux, des paysages de rêve, mon amie en fine connaisseuse de la campagne française m’a initiée à la nature si belle, si généreuse. Elle m’a appris à goûter à tout : baies de genièvre très parfumées, vraiment goûteuses ; pigne de pins, églantines et autres drôles d’herbes que je mangeais un peu inquiète, me demandant si ce n’était pas du poison ! J’ai même vu pour la première fois du Sorgho, un immense champ avec des très belles fleurs en train de sécher. De loin j’avais l’impression que c’était du mil mais bon, à cet endroit c’était assez insolite, et pourtant ! Curieuse, j’ai demandé au paysan qui était dans les champs et lui de me demander d’où je venais ? La honte de ma vie ! Nous avons croisé plusieurs champs de sorgho, les paysans français le préfèrent pour nourrir leurs bêtes et surtout parce qu’il épuise moins les sols. Parties de Cahors, nous avions l’ambition de faire ce premier jour 17/18 Kms. Nous n’en avons fait que 8, qui m’ont paru terriblement longs. C’était le début. Toujours plus difficile. Les autres jours nous avons traversé de magnifiques villages. Toujours cette belle campagne, une belle lumière, tout est si paisible. Des fois, lorsque la végétation est dense, je regarde où je mets le pied ! le bon vieux réflexe de la « brousse » de chez moi, mon amie m’assurant qu’il n’y a aucun risque. Vous ne me croirez peut-être pas mais passant par-là, la seule couleuvre ou vipère je sais plus, celle qui n’est pas dangereuse d’après mon amie, je l’ai vue se faufiler sur mon passage. 15 Km le matin, déjeuner léger et une dizaine de Km l’après-midi, les deux premiers jours avec sac au dos. Les jours suivants, le sac est passé dans le « taxi bagages » qui nous précède à l’auberge réservée et le jour d’après également. Au quatrième jour, nous faisons une entrée triomphante à Moissac, tel Jésus entrant à Jérusalem !

C’est une très belle petite ville médiévale qui vient clore ce périple et pas une seule fois je n’ai entendu ma douleur du genou, peut-être occultée par celle des pieds un peu meurtris quand même en fin de journée. Nous nous sommes quittées en nous promettant un autre rendez-vous sur le Chemin de Saint Jacques, que je n’ai jusqu’à présent pas honoré hélas. Elle par contre, en deux ou trois fois, est arrivée à Compostelle.

Jour 46

Je regardais une émission de TV ces jours-ci qui faisait allusion aux grands travaux menés par Hausmann. Et « travaux » est un bien faible mot. C’était dans la deuxième partie du 19ème siècle à Paris, ce grand projet d’urbanisme présenté par le Baron, accompagné par les politiques de l’époque (grand Empire de Napoléon III) a permis de transformer en moins de 20 ans une grande partie de la ville et ce, contre vents et marées. Il s’agissait de moderniser et surtout de rendre plus salubre ce Paris de l’époque, certes au détriment des plus démunis chassés du centre.

Un grand courage politique. Depuis, de nombreux projets s’en sont suivis, mais toujours dans cet axe-là, en le bonifiant et non pas en le démolissant.

Et même si comparaison n’est pas raison, je me replace dans mon environnement. Ce Dakar que je regarde tous les jours, je vois combien elle se détériore au fil du temps. Et bien qu’elle soit une ville créée de toute pièce par l’administration coloniale, elle a sa logique. Pourquoi ne pas l’accompagner plutôt que de la « démolir », puisque ni eux ni nous n’avons été capables de conserver les quartiers traditionnels Lébus en l’occurrence, ou si peu de choses ! L’histoire est inscrite dans la pierre et c’est notre histoire, ensuite elle a ses techniques et elle est adaptée au climat, ahahaha. Tiens, comme la Flag (bière locale) ! Mais plus sérieusement et de plus, souvent inspirée de l’architecture traditionnelle, alors comment ne pas s’en approprier et lui faire traverser les temps ?

Je donne juste un exemple, celui des portiques (galerie couverte bordant les grands immeubles) autour de la Place de l’indépendance, donc années 50 : ils sont imposés dans le plan d’urbanisme Écochard pour accompagner l’élargissement des rues, mettre en valeur l’immeuble qui est porté et surtout mettre à l’abri le piéton.

Ils sont intelligemment conçus et du bas de la Place de l’Indépendance jusqu’au Palais. Une belle perspective, enfin presque, car difficilement comprise par tous ! Au départ, tous les revêtements en marbre étaient les mêmes et les derniers immeubles qui ont respecté les portiques y ont mis tout et n’importe quoi. Pire, un immeuble a carrément construit jusqu’à la limite de sa propriété, rompant ainsi avec cette perspective. Mieux, j’ai vu comment le marbre des poteaux dans un immeuble d’en face de la présidence a enlevé les plaques de marbre soi-disant endommagées (en partie basse) par les voitures qui visiblement ne savaient pas se garer et remplacées d’abord par de la peinture … bleue, la couleur d’une certaine époque et finalement par de la tyrolienne (béton projeté ou crépi). Si cela ne s’appelle pas donner de la confiture aux cochons !

Pire encore et depuis quelques jours, une partie du portique du « Building des Allumettes » est construite et vient ruiner la perspective mais surtout le confort du piéton qui est vraiment trop malmené à Dakar.

J’aime à donner le nom d’origine que plus personne ne connaît, ce building s’appelle en fait Immeuble Cafal, du nom de la société qui fabriquait les allumettes. Son voisin s’appelle immeuble Air Afrique. Qui s’en souvient ? Doit-on changer de nom à chaque fois que le propriétaire change ? On devrait garder les noms d’origine, question de fixer l’histoire ! Cela contribue à notre patrimoine et renseigne sur les repères. Je me souviens, la « boulangerie jaune » à Liberté 6 extension, quand elle a changé de couleur, en a perturbé plus d’un, même si elle n’est pas une référence patrimoniale bien entendu. Et je pourrai continuer ainsi longtemps, le « Colisée » qui est devenu la Royaltine ou encore l’immeuble « Gentina » qui a changé tant et tant de locataires et qui est en train de devenir l’annexe de l’hôtel « la Croix du Sud », l’un des premiers immeubles construits à Dakar qui lui, est en train de perdre son âme architecturale. Mermoz se retourne sûrement dans sa tombe !

Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle administratrice.

Épisode 1 : AINSI COMMENÇAIENT LES PREMIERS JOURS CORONÉS

Épisode 2 : AVEC LA BÉNÉDICTION DE FRANÇOIS, LE PAPE LE PLUS AVANT-GARDISTE

Épisode 3 : SOCIALISER EN TEMPS DE COVID

Épisode 4 : PREMIÈRE SORTIE EN PLEIN COVID

Épisode 5 : SOUVENIRS DES INDÉPENDANCES

Épisode 6 : LES CONSÉQUENCES INATTENDUES DU COVID

Épisode 7 : LA LUNE ROSE

Épisode 8 : POUR UN VRAI PROJET D’ÉCOLE

Épisode 9 : PÂQUES SOUS COVID

Épisode 10 : DEVOIR DE TRANSPARENCE

Épisode 11 : NOSTALGIE D’ADO

Épisode 12 : DAKAR ET LA RAOULTMANIA

Épisode 13 : UN TEMPS SUSPENDU

Épisode 14 : BELLE RENTRÉE

Épisode 15 : LA PROMENADE DU DIMANCHE

Épisode 16 : BEER LA GLORIEUSE

Épisode 17 : LE COVID, UN AVERTISSEMENT

Épisode 18 : ANGOISSE CONTINUE

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