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Au Sénégal, une plaque commémorative sera déposée, ce samedi 17 décembre, sur la place Mamadou-Dia de Thiès, ville située à 70 kilomètres de Dakar, pour rendre hommage à cet acteur oublié de l’indépendance du pays.
Avec notre correspondante à Dakar, Théa Ollivier
Il y a soixante ans, celui qui était alors le président du Conseil des ministres avait été arrêté pour « tentative de coup d’État » après avoir fait intervenir la gendarmerie à l’Assemblée nationale pour empêcher le vote d’une motion de censure contre son gouvernement qu’il estimait abusive, un tournant pour le jeune Sénégal de l’époque qui passe d’un régime parlementaire bicéphale à un régime présidentiel dominé par Léopold Sedar Senghor.
Babacar Diop, maire de Thiès, se rappelle toujours avec émotion de Mamadou Dia qu’il a rencontré lorsqu’il était étudiant et avec qui il a collaboré pendant des années, avant son décès, en 2009.
« Il ne voyait plus à la fin de sa vie. Je lisais donc pour lui et il me dictait aussi des lettres. Il était très âgé mais il avait une certaine énergie qu’il avait gardée », se souvient-il.
Né en 1910, cet ancien instituteur a milité pour l’indépendance du Sénégal, main dans la main, avec Léopold Sedar Senghor avec qui il a fondé le Bloc démocratique sénégalais (BDS).
Devenu président du Conseil des ministres, Mamadou Dia signe les accords d’indépendance, en 1960, puis partage le pouvoir exécutif avec Léopold Sedar Senghor, avant la crise de décembre 1962.
« Mamadou Dia était un nationaliste. Il était pour le socialisme autogestionnaire et pour l’indépendance économique de notre pays, contrairement à Senghor plus conciliant et plus Français. Donc la crise va éclater et cette crise oppose deux visions différentes », explique Babacar Diop.
Une crise que Mamadou Dia évoquait, sans amertume, avec Babacar Diop récemment récemment élu sous les couleurs de la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi.
« Il a considéré que les indépendances ont été une occasion ratée et après, il a considéré que l’alternance de 2 000 aussi a été une occasion ratée. Il pensait qu’il appartenait à la jeune génération de conduire le processus d’émancipation de notre continent », ajoute Babacar Diop.
Ecarté pendant quarante ans de l’histoire officielle de l’indépendance au profit de Léopold Sedar Senghor, Mamadou Dia est peu à peu réhabilité par les nouvelles forces politiques du pays.
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En quête de nouvelles références
Alors que le nom de Mamadou Dia revient sur la scène politique aux côtés de Thomas Sankara ou de Cheikh Anta Diop, se pose la question de son héritage dans l’arène politique actuelle sénégalaise.
Joint par RFI, Mohammadou Moustapha Sow, enseignant-chercheur en histoire contemporaine africaine, à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD), spécialisé dans la période post-coloniale, parle de déclin de l’ère senghorienne.
« Mamadou Dia s’est mis à se rendre justice, déjà, par la publication de plusieurs ouvrages. Il revient sur ce qui s’est passé en 1962 et donne sa version des faits. On entre déjà dans une bataille mémorielle et c’est un héritage disputé par une bonne partie des formations politiques. Mamadou Dia avait laissé un parti, le Mouvement pour le socialisme et l’unité (MSU), il y a ensuite le parti, le PASTEF [Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, NDLR] qui donne aussi le nom de son siège au président Mamadou Dia, ce qui veut dire qu’il revendique tout l’héritage politique et le parcours de cet homme comme personne qui a incarné l’éthique en politique. Il y a enfin le parti actuel au pouvoir qui revendique, d’une certaine manière, l’héritage politique de Mamadou Dia aussi, et puis, le président a inauguré en grande pompe le building du président Mamadou Dia. C’est le déclin de l’ère senghorienne en fait. On est dans une quête de nouvelles références », analyse-t-il.