SAUVER LES NIAYES

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Annie Jouga2021© Malick MBOW
JOURNAL D’UNE CONFINÉE, PAR ANNIE JOUGA

EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – On invoque les Dieux pour un hivernage pluvieux. Pourquoi alors cette terrible absence de vision qui a transformé notre poumon vert biologique naturel en une urbanisation excessive ?

Annie Jouga  |   Publication 28/11/2021

Jour 53

#SilenceDuTemps – Installée à mon poste de travail, je change encore une fois de place et là j’ai vu sur l’immeuble IBM qui est devenu ABM, et aujourd’hui ? En tout cas s’y sont installées la préfecture, la gouvernance momentanément j’espère, leurs maisons-mère seraient en travaux de réhabilitation.

Or donc, comme aimait à dire Pa’ Léo, de ma fenêtre j’ai une vue imprenable sur les derniers niveaux de cet immeuble et notamment sur le fameux triplex qui il y a des années, avait fait couler beaucoup d’encre, celui appartenant à un certain Bibo qui semble-t-il était le prête-nom d’un non moins célèbre Rimka.

En tout cas de cette même fenêtre, c’est bien la silhouette de Rimka que j’ai vue de temps en temps près de la piscine et des terrasses, partie de l’immeuble que j’ai vue se construire au niveau supérieur.

Il s’agissait de milliards à récupérer à l’époque et il n’y avait que ça dans la bouche des journalistes, des politiciens, et de tous ceux qui les écoutaient, les lisaient.

J’ose à peine me poser la question de la suite donnée à cette affaire, et aujourd’hui où donc est-il passé l’ennemi n°1 de l’époque ? Est-il même toujours l’ennemi ? Où sont passés ces milliards, plus que jamais indispensables aujourd’hui… ?

Le mois de mars était « rempli » d’anniversaires de la famille, avril a suivi pareil et là mai, c’est le mois le plus beau – le mois de Marie – un vrai festival et ce n’est pas fini.

Je passe le mien que j’ai fêté sans publicité, aujourd’hui c’est celui de ma fille Elo’, déjà 33 ans comme si c’était hier ; en parlant avec Mamilou les souvenirs remontent à l’esprit, les moindres détails sont définitivement consignés dans sa mémoire de maman, que dis-je maintenant de grand-mère. Les grandes douleurs s’estompent, s’oublient même, restent les meilleurs moments que l’on cultive dans des jardins secrets ou même des jardins à ciel ouvert et que l’on partage. Le bonheur !

Et puis le plus jeune des sénateurs que je connaisse a eu 17 ans, il y a 2 jours. Et contrairement aux vrais sénateurs qui s’endorment avec ce statut-là, lui va perdre – heureusement – son titre. Kikoune vient de troquer sa casquette de sénateur contre celle de « l’aîné » des petits enfants. Elle lui va bien cette nouvelle casquette, il va bien devoir la prendre en charge, sur ses épaules bien larges déjà au sens physique du terme, « Kikoune mag’um keur », mais attention car aîné quelle responsabilité ! Moi j’aime bien lui distribuer des titres.

«… Ce que ce virus nous apprend … sommes à un point de rupture … ne pas repartir à l’identique … », ai-je retenu d’une vidéo de Nicolas Hulot que j’ai écouté ces jours-ci ! Allez, on se rapproche de la fin, et comme il dit « du temps qui est venu de … »

Jour 54

Lors de mes premières chroniques, j’ai partagé ma frustration de n’avoir pu aboutir le projet du carnaval des identités architecturales de Dakar que nous avions prévu de faire pour la Biennale 2020 avec mes étudiants. À défaut de faire du terrain et des travaux pratiques, j’ai orienté le travail autour d’une réflexion sur « quel parcours vert pour Dakar ». Je leur demande déjà de s’imprégner de leur environnement quotidien et bien entendu de le regarder « autrement » et de restituer.

Ensuite, ils doivent travailler à l’échelle de tout Dakar, repérer les espaces verts existants, ou ayant existé, surtout comprendre la presqu’île, sa composition, son évolution d’hier à aujourd’hui.

Et qui dit espace vert alors il faut aller chercher l’eau !

Bien entendu s’il s’appelait Cap-Vert, c’est que l’eau était bien présente.

Aujourd’hui, l’eau est synonyme de préoccupation dans les villes, ici et là on craint les premières pluies et toute la saison d’hivernage n’est que cauchemar pour de nombreuses personnes ; d’aucuns ont toujours les pieds dans les zones inondées et toute l’année.

L’eau est à l’origine de pratiquement toutes les détériorations dans le bâtiment : défaut de bonne toiture – étanchéité -, les blocs sanitaires peu adaptés aux habitudes culturelles, les canalisations non entretenues entraînent des affaissements de fondations … ! Moins on en a, plus on la gaspille. Et pourtant, l’eau est capitale dans nos sociétés, elle est source de vie, elle est présente dans tous les rituels de purification, de régénération … On invoque les Dieux pour un hivernage pluvieux. Au Sénégal, les génies tutélaires sont presque tous cachés dans les eaux. Les lébus les implorent le long de leurs 12 plages mythiques de Dakar, « Mamy Wata » déesse-sirène largement partagée dans les imaginaires des populations de la côte ouest africaine, règne sur les eaux…

Pourquoi alors cette terrible absence de vision qui a fait qu’au lieu de valoriser ce qui aurait dû être notre poumon vert biologique naturel, en l’occurrence les Niayes, dunes, côtes … nous l’avons transformé en une urbanisation excessive et tous azimuts !

Et la pression foncière ne peut être le seul prétexte…

Les zones les plus impropres à la construction comme celles du côté de la zone de captage n’ont même pas été épargnées. Quel carnage !

Petite, nous allions avec les parents rendre visite à une amie de la famille, elle habitait la zone que l’on appelle à juste titre aujourd’hui « Front de Terre », c’était une vraie forêt. D’ailleurs à chaque visite elle (l’amie) nous parlait du (ou des) serpent (s) qu’elle avait vu la veille, ou le jour même, qu’il ne fallait pas s’inquiéter, le gardien l’avait tué…. Je vous assure que nous n’étions point rassurés ; aller lui rendre visite était un vrai cauchemar.

Dans cette forêt très peu d’habitations, des maisons coloniales appartenant à la société des Eaux, où étaient installées les stations recevant une grande partie des eaux de la ville, d’où son nom, zone de captage. C’est le point le plus bas de la ville, normal !

Allez faire un tour vers là-bas pendant l’hivernage aujourd’hui, il est préférable d’y circuler en barque, et il y a bien pire encore comme zone inondée.

Toutes ces constructions ont totalement perturbé le relief naturel de la presqu’île, bouchant les voies d’eau et par conséquent le réseau hydrographique.

Alors oui, l’exercice que je propose aux étudiants, celui d’être un peu visionnaire, de voir comment revenir à une ville respectueuse de son environnement où l’eau n’est plus un problème mais une solution. Faire un projet « utopique » peut-être mais qui devra, du Cap Manuel à la sortie de Cambérène et même au-delà, sauver ce qui reste des Niayes mais également s’il faut dégager les voies d’eau, libérer les eaux emprisonnées … Cela ne peut se réaliser qu’au dépend de certaines constructions !

Alors rêvons puisque le temps est venu de … Au Maroc, à Fès l’eau est dans les gènes des Fassi, c’est une réalité !

Jour 55

Mais pourquoi donc le Papi aura attendu deux mois pour aller faire un tour, voir 2, 3 … à la Somone ?

Lui qui grâce à son statut de journaliste, a le sésame permettant de passer d’une région à une autre, de vadrouiller hors des lieux réglementés par le couvre-feu … Quand je pense à ceux qui sont obligés de faire du « taat’u laobé » (danse érotique du Sénégal, désolée je n’ai pas trouvé mieux !) pour l’avoir et l’utiliser, ndeysaan !

Bizarre non ? Mais il est parti ce matin, j’avoue l’avoir même un peu poussé, l’ayant entendu dire « finalement je pars après le déjeuner … » ?

Après deux aller-retour maison/cour du RDC, les plantes sont toutes descendues dans la cour pour être prêtes elles aussi à partir … elles sont là sur la terrasse depuis la veille de C. attendant la bonne occas’ …

Je suis tentée plusieurs fois d’appeler pour le localiser, connaissant le bonhomme mais je résiste et lorsqu’il m’appelle : « je suis en train d’arriver à la maison, tu n’es pas étonnée du temps que j’ai mis ?» J’avais l’impression qu’il avait fait vite. Imagine-toi que je me suis retrouvé sur l’autoroute de Thiès … »

Mieux en arrivant à la maison, il demande à Diégane le gardien de décharger les plantes, point de plantes. Le Papi, malgré les 94 marches montées et descendues deux fois, avait oublié de les ranger dans la voiture.

D’où ma question, mais pourquoi donc… ?

Aujourd’hui, notre randonnée a commencé tard et nous sommes rentrés au bout d’une heure, il faisait nuit. Une visite rapide pour déposer des légumes cuisinés pour ma fifille Diarra qui est entourée de mangeurs de viande et nous entamons notre « belle corniche » par le bout, côté port. Très peu de monde puisque nous sommes proches de l’heure de la coupure, juste au coin habituel des « Faxaman » (marginaux ?) toujours nombreux et animés, sinon un calme impressionnant !

La mer est sereine, pas une vaguelette, elle semble vraiment se reposer et nous avec elle.

Nous arrivons à notre plage « pong’bu bess », entre chien et loup, le sable semble rosé, la mer argentée, pas un chat, sérénité absolue … peut-être que nous devrions faire notre séance d’aquagym à ces heures-là ?

Au loin les lumières de la corniche, sûrement le chantier au pied de la présidence. Elle n’est pas éclairée cette corniche sinon par les hôtels et restaurants qui l’habitent. Il fait nuit et nous continuons jusqu’au « baobab » planté au milieu de la chaussée dans le chemin qui monte au « Building administratif » que j’ai mitraillé, pour avoir la preuve ! Il est éclairé plus qu’un sapin de Noël et comme il est complétement transparent, à aucune fenêtre n’ai-je vu âme qui vive !

Sur l’avenue Léopold Senghor ex av. Roume, le gendarme depuis sa guérite au niveau du Palais du président me demande de changer de trottoir, état d’urgence qui ne dit pas son nom et rien à voir avec C., cela fait peut-être deux ans déjà !

L’occasion faisant le larron me permet de mieux regarder les poteaux de l’immeuble Boissier-Palun en face du Palais dont je disais qu’ils étaient passés du marbre au tyrolien ! En fait le marbre est toujours là, ils ont « wiiss » (projeté du béton) dessus ! Personne à part les policiers en faction devant les bureaux de Marème, c’est la coupure depuis quelques temps.

Je lis la chronique de B. Boris Diop, qui sort tous les vendredis dans « Le Témoin » et je me régale ! En fait c’est plus qu’une chronique mais bien une « nouvelle » ; lisez-là !

Boris quoi qu’il dise il le dit si bien, si justement et si simplement … « Comme un dîner d’adieu », se nomme-t-elle.

Jour 56

La « belle » suite du voyage de Viou à la Somone : il a cueilli et rapporté les trois premières mangues !

Non Charles de Praïa ne te réjouis pas trop, car dit-il, le Viou, « cette année il n’y aura pas beaucoup de mangues ! ». Alors si tu veux profiter des soi-disant quelques mangues il va falloir que tu dormes sous les manguiers à partir du déconfinement, disons à partir de fin mai et tu auras de la concurrence car Viou ayant convaincu la moitié de la terre que ses mangues sont les meilleures au monde …

Il m’a aussi rapporté une bouteille de vin blanc que depuis hier je sirote avec un plaisir inouï ! J’adore le vin blanc et je sais le mal qu’il fait …

J’ai des souvenirs de parties de vin blanc, j’avais 14/15 ans et j’étais à Combloux, petite ville en Haute-Savoie près de Annecy, avec celui qui allait être mon beau-frère préféré ; plutôt un village d’où l’on peut voir le Mont-Blanc. Venant de mon bord de mer, j’étais émerveillée, un peu angoissée aussi, la montagne étant quelque chose de bien nouveau pour moi. C’était le temps d’un long week-end et toutes les occasions étaient bonnes pour boire un petit « blanc » de là-bas. J’étais très contente, peut-être un peu fière d’être parmi des grands, les amis de ma sœur Lolo et eux étaient bien contents d’avoir avec eux « the little Lolo ». Moments inoubliables.

Le souvenir de « The little Lolo » me ramène cette fois-ci en Éthiopie. J’y ai passé mes meilleures vacances, je venais d’avoir mon bac, la liberté quoi ! Au bout de trois mois j’avais même décidé d’y rester. Passer une année sabbatique me semblait idéal dans ce pays, ce qui n’a pas du tout était entendu de la même oreille par la mère Lolo et Moctar qui m’ont pratiquement remis dans l’avion, direction Paris.

Ah ces vacances ! Choyée, pouponnée je l’ai été par les parents et tous leurs amis.

Je sais que je les amusais, eux d’honorables fonctionnaires internationaux et autres grands de ce monde.

Et puis je suis allée à la rencontre de cet immense pays, du Nord au Sud d’Est en Ouest, en train, avec le peuple vers l’Est en direction de la Somalie, pour arriver à Harare, sublime petite ville toute de blanc vêtue. Sur la route historique, j’ai découvert un monde à part, des Églises construites dans la terre, impossible de les voir au loin, d’autres habitations dans le flanc de la montagne, inaccessible sinon à dos de mule, des villes comme Asmara, encore éthiopienne à l’époque, des petits ports de pêche dans la mer Rouge … Une si grande diversité de paysage, de personnage mais une unité éthiopienne … en apparence. Et bien entendu j’ai vu « le roi des rois » de près !

Histoires brèves d’anti C. :

Mon amie Tiatiaka a perdu la semaine dernière, son dernier oncle à Rufisque. Il avait 102 ans, il n’était pas du tout grabataire ! On ne peut que remercier Jah Love. Pour l’amuser en guise de compassion je lui ai dit « enfin tu vas être … adulte », me rappelant Dr Diop qui raconte que le jour où sa maman est décédée, il avait 60 ans passés, il a pris conscience qu’enfin il serait adulte.

Depuis hier l’ascenseur qui nous amène à Djélika est en panne, 10 étages ! je lui fais des coucous vidéo mais papi Viou, lui …

Avez-vous remarqué que la saison des fraises cette année dure longtemps ? Depuis janvier et on en trouve encore en ce moment certes moins goûteuses mais quand même, bizarre non !

Mon amie Geneviève de Marseille m’envie et moi … je l’envie ! on finira bien par trouver notre équilibre

Aujourd’hui, Michel Piccoli est mort. À la TV, le film « un homme et une femme » passe. Mes années cinéma défilent à nouveau. « C’est incroyable de s’empêcher d’être heureux », ai-je pu capter de la bouche de J.L. Trintignant !

Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle est administratrice.

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