Le constat est alarmant. Selon une étude de la Direction de la Protection Civile, «de tous les risques de catastrophes à Dakar ces dernières années, les effondrements de bâtiments dominent à côté des risques naturels comme les inondations, l’érosion côtière, risques technologiques comme le transport des matières dangereuses, les risques chimiques et les risques industriels».
Ci-dessus : Le portrait de Fodé DIOP, président de l’Ordre des architectes du Sénégal
Ce qui fait qu’à moyenne, la Direction de la Protection civile reçoit six plaintes par semaine, pour des bâtiments qui menacent de s’effondrer.
La vétusté de certains bâtiments, de l’inobservance des normes de construction combinées souvent à la rouille et à la pluie, ont fait que le phénomène prend des proportions inquiétantes, à Dakar et environs. L’effondrement dans la première quinzaine de ce mois d’avril, d’un bâtiment à Thiaroye sur Mer, faisant trois morts et d’une mosquée à Ouakam avec deux morts, attestent que la gravité du fléau nécessite la mobilisation de tous.
45 morts dénombrés entre 2000 et 2015
C’est lors des derniers effondrements d’immeubles à Thiaroye et à Ouakam, que la Société de services d’inspection et de conseil (Ssic) a fait la révélation à travers un communiqué en date du 14 avril dernier. Le Directeur général de la Ssic, Allé Diouf, s’inquiète sur les effondrements qui ont causé beaucoup de pertes humaines dans notre pays. «L’Etat doit prendre les devants pour amoindrir ces drames, qui ont fait au moins 45 morts au total en 15 ans dans notre pays», précise le document. Ce chiffre provient d’un décompte réalisé au Sénégal par ladite société qui a recensé un total de 37 sinistres similaires entre 2000 et 2015. Toujours dans le document, M. Diouf soutient qu’«aucun des 37 sinistres dénombrés depuis 2000 dans ce pays ne sont liés à des catastrophes naturelles, mais sont plutôt dus à la négligence des hommes et au non-respect des normes». Selon lui «l’objectif de zéro effondrement pour lequel nous nous battons depuis des années reste possible, par le respecte plus stricte des normes de constructions». Ainsi, pour réaliser cet objectif de zéro effondrement, la SSIC, qui évolue dans le contrôle technique de bâtiments et d’ouvrages de génie civil, interpelle tout le monde. «L’ensemble des citoyens et plus particulièrement les acteurs du secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) doivent opérer une prise de conscience, qui ne peut être que salutaire pour notre pays», a-t-elle plaidé.
Fodé Diop, Président de l’Ordre des Architectes du Sénégal, lève un coin du voile
«Au Sénégal, il y a un rush vers le bâtiment, et ce n’est pas toujours des professionnels du secteur qu’on utilise pour la construction, à leur place, on prend des tâcherons c’est pourquoi, nous vivons régulièrement des effondrements», s’offusque, Fodé Diop, Président de l’Ordre des architectes du Sénégal rencontré samedi à l’Ucad. «Des années durant, nous avions tiré la sonnette d’alarme par des sensibilisations, mais nos appels sont restés vains. Ce qui explique notre silence aujourd’hui. De nos jours, tout le monde est architecte, tout le monde est entrepreneur de bâtiment. Les gens ne respectent plus les autorisations de construction. Il ne sert à rien de délivrer des autorisations de construction si on ne respecte pas les normes qu’elles édictent, encore moins le matériel qui doit entrer dans la construction d’un bâtiment digne du nom. Il n y a plus de formation, plus de contrôle. Chacun fait ce que bon lui semble de faire. Nous n’avons aucun moyen coercitif pour mettre fin à cela », a dénoncé Fodé Diop.
«Six architectes dans l’administration sénégalaise»
Selon le Président de l’Ordre des architectes du Sénégal, «la situation du secteur est inquiétante au Sénégal, parce que relégué au second plan». Car dit-il, «comment comprendre qu’un secteur aussi stratégique qui polarise autant d’énergie que de moyens financiers, soit aussi dépourvu de l’essentiel. L’Etat devrait être le premier à sauvegarder ce secteur. Mais, aujourd’hui, il y a moins de 6 architectes dans l’administration sénégalaise. Ce qui montre qu’aucune importance n’est accordée à ce secteur, laissé à son triste sort, expliquant l’anarchie aux conséquences fâcheuses qui y règne avec son corollaire de morts d’hommes», a déploré le Président de l’Ordre des architectes du Sénégal.
«L’école d’architecte de Dakar fermée en 1990»
«L’école de formation des architectes de Dakar, qui faisait la fierté du Sénégal et des pays de la sous-région, a été fermée en 1990, alors que Djibo Kâ, était le ministre de l’Education nationale», a révélé le Président de l’ordre des architectes. Ainsi, Fodé Diop plaide vivement pour la réhabilitation de cette école pour permettre aux architectes sénégalais de se former sur place, connaitre les réalités du terrain, car, dit-il, «un architecte sénégalais formé aux Etats Unis où en France, ne maitrisera que les normes de ces pays et cela est dommage».
Le budget annuel d’assistance architecturale de 50 millions non disponible
Ce constat amer, fait révolter le Président de l’Ordre des architectes du Sénégal. «Un budget annuel de 50 millions de F Cfa est alloué à l’assistance architecturale, mais, cette somme reste invisible. Je suis architecte depuis 27 ans, je n’ai jamais vu cette somme», a déclaré Fodé Diop. A l’en croire, «ce budget allait servir à donné plus de souffle au secteur, qui est aujourd’hui, dans une situation très délicate pour sa profonde mutation. Néanmoins, M. Diop, garde un brin d’espoir, car dit-il, «un architecte de formation, est nommé inspecteur général des bâtiments».
Le rapport d’audit commandité par le chef de l’Etat sur les zones à risque, rangé au placard
En mars 2013, aussitôt après l’effondrement d’un immeuble R+4 en construction dans le quartier Ouakam à Dakar, faisant des morts et des blessés, le chef de l’Etat, lors d’un Conseil des ministres est revenu sur la gouvernance de la Sécurité Civile dans notre pays, exigeant une gestion responsable de l’urbanisme et de l’habitat, de même qu’un ancrage plus fort de la culture citoyenne et de la discipline nationale. En outre, il a requis un recensement exhaustif et sans complaisance de tous les sites, lieux et ouvrages présentant des risques qu’ils soient en milieux urbain, périurbain et rural et, le cas échéant, de mettre en place un mécanisme opérationnel d’alerte et de veille continus sur tous les points névralgiques en matière de sécurité civile. Il avait exigé que le rapport d’audit lui soit transmis avant fin 2013. Il avait instruit le Premier Ministre d’alors, Aminata Touré de dérouler les actions immédiates appropriées, notamment l’application stricte des dispositions du code de l’urbanisme et du code de la construction. Aujourd’hui, avec la multiplication des effondrements d’immeubles dans la capitale, nombreux sont les Sénégalais, qui exigent que l’audit demandé par le chef de l’Etat soit rendu public. Hélas ! Des professionnels du secteur rencontrés redoutent que ce travail, si, il est fait, est rangé dans les tiroirs de l’oubli.
«Une loi d’orientation d’inspection à priori en cours»
Les effondrements répétés de bâtiments soldés souvent par mort d’hommes préoccupent également le gouvernement. Lors du deuxième passage récent du gouvernement à l’hémicycle, le ministre en charge de la question, Diéne Farba Sarr a fait savoir que la volonté du Chef de l’Etat est de mettre en place une loi d’orientation rendant obligatoire une inspection a priori avant toute construction d’immeuble. A l’en croire «c’est le seul moyen de mettre un terme à ces effondrements regrettables notés ces dernières semaines dans la capitale Sénégalaise».Selon Diène Farba Sarr, l’effondrement d’un immeuble à Thiaroye Sur Mer début avril avec l’affaissement d’un bâtiment de deux étages appartenant à Fallou Wade, est occasionné par le fait que la construction date depuis 1999 avec un faible taux de dosage en ciment. Il a également fait savoir que les travaux du bâtiment effondré à Ouakam dans la même période, ont été immédiatement arrêtés.
Les étudiants en Génie Civil tirent la sonnette d’alarme
Abdoulaye Bâ, coordonnateur du collectif des étudiants en Génie Civil (CEGEC) de l’Ecole Supérieure Polytechnique de Dakar, tire la sonnette d’alarme. «En tant qu’acteurs du Génie Civil, nous avons un important rôle à jouer pour la valorisation du secteur de l’architecture. C’est pour quoi, nous comptons dans la deuxième quinzaine du mois de mai, organiser un vaste Forum, sous l’égide de l’administration du département Génie Civil et en partenariat avec l’Agence de la construction des Bâtiments et Edifices Publics (Acbep), de l’Ordre des architectes et de plusieurs autres structures de Génie Civil», a-t-il déclaré. Il a laissé entendre que l’objectif cherché lors de ces journées est entre autres : «la meilleur connaissance du secteur, sa professionnalisation et la prévention des accidents par une sensibilisation des populations sur la nécessité de confier leurs projets de construction aux professionnels du métier». Car selon Amadou Diouf, un autre étudiant en Génie Civil, «c’est seulement par la revalorisation du secteur que le Sénégal pourra éviter des effondrements d’immeubles récurrents, principalement à Dakar».
Source : Gfm