Bertin Nahum, fondateur de la start-up française Medtech, s’invite dans les blocs avec son bras automatisé lors d’interventions sur le cerveau.
Rosa cache bien son jeu. Sous son air hésitant et son physique encombrant, le robot star de la société Medtech est d’une précision chirurgicale. C’est un tueur, dirait-on, s’il n’aidait à soigner les malades du cerveau. Capable de localiser une tumeur au millimètre près dans un crâne et de guider l’aiguille du chirurgien sur la trajectoire optimale, il a contribué, dans les hôpitaux où il est installé, à réduire la durée des opérations, la taille des incisions et, partant, le risque d’infection et la période de récupération des malades.
Son père – biologique, lui – n’en est pas peu fier. A 45 ans, Bertin Nahum, le patron de Medtech, incarne à la perfection cette «French Tech» qui réussit. Depuis deux ans, du Languedoc-Roussillon au ministère de l’Economie, lui et sa fidèle machine sont régulièrement brandis comme des preuves que oui, en matière d’innovation et de robotique, les Français aussi en ont sous le capot. En 2013, le fondateur de la petite entreprise montpelliéraine a même reçu la Légion d’honneur des mains de Fleur Pellerin, alors en charge des PME et du numérique à Bercy. Service rendu à la patrie ? «Spectaculaire, ce robot Rosa», s’enthousiasme un adepte de la «nouvelle France industrielle», ce concept glorifié par Arnaud Montebourg lorsqu’il œuvrait au Redressement productif au sein du gouvernement.
Formes subtiles. Voix de baryton et carrure d’athlète – il fut champion de France junior de boxe -, Bertin Nahum a le visage de l’ambitieux accompli. Fin mars, il nous accueillait tout sourire dans les nouveaux locaux de sa société, à l’est de Montpellier. Un bâtiment sans prétention, d’un seul étage, sans logo en façade, à mille lieux de l’ostentation des voisins Dell, IBM et Orange.
Oui mais ici, la réussite prend des formes plus subtiles : des employés fiers de leur boîte, un Rosa en train de bronzer dans un showroom, une salle d’assemblage qui ne désemplit pas. Et, moins subtil, c’est vrai, une collection de prix attribués à la société, fièrement exposée dans le bureau du boss. «Ce qui m’anime, c’est la conviction que la robotique révolutionne et révolutionnera la chirurgie», observe Nahum.
Il est de ceux grâce auxquels la chirurgie «mini-invasive» se généralise peu à peu. Cette technique vise, notamment à l’aide de systèmes robotisés, à réduire au strict minimum l’incision nécessaire au chirurgien pour accéder aux organes et aux tissus du patient. «On n’a plus besoin de cadre de stéréotaxie pour faire une biopsie», explique Grégory Dran, neurochirurgien à la clinique du Millénaire à Montpellier, en décrivant le dispositif archaïque utilisé jusqu’alors pour prélever des bouts de cervelle. A partir du scanner du cerveau et après avoir effectué un calibrage laser, le Rosa positionne son bras robotique au-dessus de la cible à atteindre de façon à ce que le chirurgien n’ait plus qu’à introduire son instrument dans la tête pour implanter ou prélever le nécessaire. «Je m’en sers pour pratiquement toutes les opérations, c’est d’un grand confort», assure le neurochirurgien. «On a rendu possible les opérations du cerveau sur les enfants de moins de 24 mois. Il y a un vrai sentiment d’utilité dans l’entreprise», glisse un ingénieur de Medtech.
Le Rosa a fait ses preuves partout. Vendu près de 500 000 euros tout compris, le robot blanc et rose a déjà séduit 36 centres médicaux dans le monde, du Sanbo Hospital de Pékin à l’hôpital pour enfants du Texas. L’export représentait le semestre dernier pas moins de 93% du chiffre d’affaires de l’entreprise – sur un total d’1,7 million d’euros, en hausse de 128% sur un an. Les Américains sont les principaux demandeurs. Dans l’Hexagone, huit hôpitaux et cliniques sont équipés. Mais le créateur de Rosa vole régulièrement la vedette à son robot.
«Sens». Bertin Nahum est un self-made-man au parcours peu commun. Sixième d’une fratrie de huit, il voit le jour à Dakar, au Sénégal, l’année où l’homme foulait la Lune pour la première fois. Son père, épicier originaire du Bénin, emmène tout le monde avec lui en région lyonnaise quand il a 1 an. Mais à 8 ans, il perd son père. A 14 ans, c’est au tour de sa mère. Maladies cardiovasculaires. Le jeune Bertin est placé dans un foyer de l’Ain où il passera l’essentiel de sa jeunesse, jusqu’au bac scientifique.
«J’ai eu un parcours scolaire assez moyen. Comme bon nombre d’étudiants, j’ai fait des choix par défaut, sans grande conviction», raconte-t-il. Un IUT puis un master de science option robotique à l’université de Coventry, en Angleterre, avant l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon. Le «sens» tant recherché finit par pointer le bout du nez au cours d’un projet de fin d’études : «Nous devions développer un logiciel capable de diagnostiquer automatiquement des lésions intracrâniennes. C’est à ce moment que j’ai découvert que la technologie servait aussi à quelque chose d’extrêmement noble : sauver des vies !» Le voilà lancé dans la robotique chirurgicale. D’abord dans deux start-up américaines, puis chez le français Immi, où il participe au développement du robot Neuromate, qui reste aujourd’hui un des rares concurrents de son Rosa.
«J’ai toujours vu le monde comme rempli d’opportunités. Je n’avais qu’une ambition : les saisir», lance très naturellement Bertin Nahum. Sa situation confortable de cadre dans une entreprise qui n’est pas la sienne ne lui convient pas. Il la fuit pour s’installer en Languedoc-Roussillon et fonder Medtech en 2002. Son projet : développer un robot d’assistance à la chirurgie du genou. Il s’appellera Brigit. «Bertin est quelqu’un d’exigeant et de cash, qui se trompe rarement, et qui sait le reconnaître quand c’est le cas», décrit un employé. Qui, comme tous, l’appelle par son prénom. A l’extérieur de la boîte, Bertin tarde pourtant à faire l’unanimité. «On a fait le tour des fonds d’investissements parisiens, mais personne n’a voulu mettre le moindre kopeck dans la société», raconte l’entrepreneur. Quatre ans plus tard, la petite start-up est finalement repérée par le leader mondial de la chirurgie orthopédique, l’américain Zimmer. Tournant majeur. «Plutôt que de se faire racheter, on leur a proposé d’acquérir les brevets. Ça ne nous intéressait pas de devenir salariés d’un grand groupe.» Chèque en poche, Nahum poursuit dans la santé avec l’ambition de concevoir un robot d’assistance à la chirurgie crânienne. Il sera commercialisé en 2009 sous le nom de Rosa Brain. Pour assurer le lancement outre-Atlantique, le patron n’hésite pas à s’expatrier à Montréal, puis à New York de 2010 à 2012.
Là encore, la reconnaissance est venue d’ailleurs. Sa mention par l’éditeur canadien Discovery Series dans son top 10 des entrepreneurs high-tech révolutionnaires – derrière Steve Jobs, Mark Zuckerberg et James Cameron – l’a propulsé dans le radar des médias. Réveillant l’intérêt de la France pour Medtech. Le patron en sourit, un peu amer : «Il y a une incroyable créativité ici, et pas qu’au niveau technologique. Mais on passe tellement de temps à se dénigrer qu’on est parfois les derniers à se rendre compte de nos propres forces.»
Boom. Il croit cependant en la sienne. Assez pour voir en Medtech un futur leader mondial de la robotique chirurgicale. Ce créneau est en plein boom. Seuls 1 000 robots de ce genre se sont vendus en 2013, d’après la Fédération internationale de la robotique (IFR), mais ce marché pèsera près de 20 milliards d’euros en 2020, estime le cabinet américain Grand View Research. Signe peu trompeur, Google s’est lancé dedans fin mars en s’associant au géant pharmaceutique américain Johnson & Johnson. Nahum est trop concentré sur la commercialisation du Rosa «Spine», le dernier-né de la famille qui assiste également les chirurgiens dans leurs opérations de la colonne vertébrale, pour se préoccuper de Google. «On pourrait faire plein d’autres choses, comme traiter des tumeurs avec un laser fixé sur un bras robotisé. Nos clients nous suggèrent sans cesse de nouvelles applications», observe Lucien Blondel, en charge de la R&D chez Medtech. «Mais on n’est pas là pour remplacer les chirurgiens», tient bien à préciser Bertin Nahum, pour qui la technologie sert seulement à fiabiliser les opérations. Sous le soleil de Montpellier, le patron pratique toujours la boxe. Et il ne semble pas encore à bout de souffle.
Source : Le Figaro