Né en Côte d’Ivoire, Patrick Meier a grandi au Kenya avant d’intégrer les prestigieuses universités américaines où il s’est imposé comme une figure de proue de l’innovation au service de l’humanitaire. Ce chercheur transdisciplinaire a notamment contribué à développer l’application kényane Ushahidi devenue une référence de la cartographie interactive de crise.
Pour le compte de l’ONU ou d’autres institutions internationales, Patrick Meier a développé des systèmes de cartographie en temps réel de zones de guerre ou de catastrophes naturelles et a cofondé la Harvard Humanitarian Initiative. Désormais directeur de l’innovation à l’Institut de recherche en sciences informatiques du Qatar, il mène diverses expériences utilisant des drones.
Quel regard portez-vous sur le foisonnement de projets utilisant des drones civils en Afrique ?
Je pense que nous ne sommes qu’au début, mais les résultats sont très encourageants. Ce qui compte, à mon sens, ce n’est pas seulement la technologie mais bel et bien l’usage qui en est fait. Et les drones en Afrique sont de plus en plus utilisés pour des projets scientifiques, humanitaires et sociaux, mais aussi de protection de la faune, de santé… Indéniablement, ces expériences sont encourageantes tant les capacités des drones ouvrent le champ des possibles et permettent de s’affranchir des contraintes géographiques ou du manque d’infrastructures.
Peut-on parler d’une ruée des drones sur l’Afrique ?
Nous assistons à une révolution du drone en Afrique, au service de défis complexes et divers comme la connectivité, la lutte contre le braconnage, le transport de médicaments et de denrées vitales ou des problématiques environnementales. Qui aurait imaginé, il y a vingt ans, que les téléphones mobiles allaient transformer les télécommunications en Afrique, permettant le développement d’applications bouleversant le secteur bancaire par exemple.
Les drones vont peu à peu devenir moins chers, plus simples d’utilisation, plus performants et capables de contribuer à relever certains défis du continent africain. Les drones vont contribuer largement à révolutionner l’agriculture, le transport à prix réduit, et à élargir la zone de couverture de la 3G, 4G, du Wi-Fi. Ce qui aura un impact socio-économique à moyen terme.
Pouvez-vous présenter deux expériences auxquelles vous avez participé ?
Mon travail utilisant des drones en Afrique porte sur deux thématiques : la protection de la faune et la réduction du risque de catastrophes ainsi que la réponse humanitaire. Par exemple, au nord du Kenya, j’ai participé à l’expérience de l’ONG canadienne The Sentinel Project intitulée Una Hakika (« Etes-vous sûr ? »). Dans la zone reculée du delta Tana, ce projet vise à combler le vide en matière de source d’information neutre et vérifiée en permettant aux habitants de poser des questions et de partager de l’information par SMS gratuit. L’objectif étant d’empêcher la propagation de rumeurs qui peuvent créer un climat de violence comme ce fut le cas lors des violences post-électorales en 2007-2008. Récemment, des drones ont été introduits dans ce projet comme outil de vérification d’informations.
Auparavant, avec une autre équipe, nous avons fait voler des drones dans la réserve de Kuzikus, en Namibie, en mai 2014, puis un an plus tard, dans le cadre d’un projet de protection de la faune. La qualité des images et la quantité de données récoltées à travers les drones sont impressionnantes. A tel point que nous avons ensuite lancé le projet MicroMappers, une plate-forme de crowdsourcing. Cette initiative du bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) et du Qatar Computing Research Institute, a permis de réunir près de 500 volontaires en ligne qui ont bénévolement étudié et décrypté ces images et de traiter les données à des fins scientifiques et pour aider les agents de lutte contre le braconnage sur place à optimiser leurs actions.
Comment sont perçus les équipes sur le terrain ?
Il n’y a pas d’études sociologiques à ce sujet. Mais les communautés locales sont curieuses, intéressées et désireuses d’apprendre, de discuter. Je n’ai jamais observé de réactions hostiles. Il est important que les groupes d’utilisateurs de drones intègrent les communautés locales dans leurs projets et partagent avec eux leurs découvertes.
Le continent africain devient un laboratoire ou du moins un terrain d’expérimentation de drones. Comment réagissent les Etats ?
Je pense qu’il faut continuer à expliquer les projets, à collaborer avec les autorités pour pouvoir mener à bien ces expériences innovantes. Il existe encore peu de contrôle et de régulation de la part des Etats africains sur l’usage de drones. Le Malawi, par exemple, se montre particulièrement ouvert et convie des humanitaires à mener des expériences. L’autorité de l’aviation civile d’Afrique du Sud vient d’adopter une régulation encadrant l’usage de drones. Et d’autres pays vont suivre. Ce qui est une bonne chose si elle prend en compte les enjeux d’innovation et de services aux populations. Il y a toujours une tension entre innovation et régulation. La France ou le Canada ont par exemple adopté des mesures contraignantes concernant les usages de drones. Les Etats-Unis ont une régulation parmi les moins progressistes au monde. Malheureusement, nombreux pays tentent de suivre l’exemple américain.
Dans vingt ans, il n’est donc pas utopique, selon vous, d’imaginer des fermiers utilisant des drones dans des zones reculées d’Afrique ?
Encore une fois, cela dépendra des régulations et des politiques. L’usage des drones pour l’agriculture ? La technologie est déjà prête. Donc ce n’est plus qu’une question de prix, mais surtout de régulation. Cette réalité future pourrait se concrétiser dans quelques années ou quelques dizaines d’années, selon les politiques des Etats à l’égard des drones et plus largement de l’innovation.
Source : Presse