Au moment où les opposants au projet de l’architecte Roland Castro fourbissent leurs armes, « L’Obs » s’est rendu dans le premier quartier construit pour lier le parc de La Courneuve à la ville.
• Dans les cartons depuis des années, le projet de « Central Park du Grand Paris » en Seine-Saint-Denis refait surface depuis qu’il a été retenu parmi les sites possibles pour la construction de logements dans le cadre des OIN, opérations d’intérêt national, voulues par Manuel Valls.
• Dans la foulée, un collectif pour la défense et l’extension du parc Georges-Valbon de La Courneuve s’est mis en place pour exiger le retrait du projet qualifié de « désastre ».
• Ce projet, c’est le bébé de l’architecte Roland Castro. Pour comprendre de quoi il retourne, il conseille la découverte du quartier des Trois Rivières, à Stains, où son atelier a réalisé ce qu’il considère comme une préfiguration du « Central Park » dont il ferait partie. « L’Obs » est allé voir.
Shaïna, Diana et Naella se poursuivent dans la structure à grimper couverte d’un maillage de cordes. Parc de La Courneuve, à Stains, aux abords du quartier des Trois Rivières : les animatrices du centre aéré laissent les filles se défouler avec les équipements dernier cri et profitent du soleil printanier. Shaïna, 8 ans, habite non loin de là, dans une tour des années 70. C’est une véritable aficionada du parc où elle vient aussi pique-niquer avec sa famille. La gamine adore ce coin de verdure bordé d’un ensemble de maisons récentes qui se fondent dans la végétation. Seule une discrète clôture et un cheminement à l’extérieur du parc séparent les deux espaces.
Shaïna rêve de vivre dans une de ces maisons :
Sonia, jeune animatrice, partage l’enthousiasme de la gamine. Elle a même déposé une demande de logement pour habiter dans ce quartier :
Fabriquer une ville jardin
L’architecte Roland Castro défend avec passion le travail réalisé sur cette parcelle de Seine-Saint-Denis. Il s’enthousiasme pour cet endroit construit en 2006 et qu’il décrit avec sa gouaille de titi parisien :
Pour les maisons, l’atelier Castro et Denissof a travaillé dans les limites des hauteurs autorisées. Sur les parcelles où cela était permis, il a fait grimper de petits immeubles. De loin, l’ensemble donne l’impression d’une superposition de maisons intégrée dans la végétation. « L’idée est de fabriquer une ville-jardin productive et intense. Surtout pas lâche. A Trois Rivières, on a plus de 110 maisons à l’hectare alors que la moyenne habituelle est de 25. »
Les habitants, qu’ils soient en logement social ou en accession à la propriété, s’y côtoient sans distinction. Ou plutôt s’y côtoyaient. Depuis plusieurs mois, des panneaux « maison à vendre » prennent les fenêtres d’assaut. La mutation du quartier représentait pourtant une formidable réussite, véritable vitrine pour la mairie.
Mais le reste de Stains n’a pas évolué au même rythme, loin de là. Et la mairie prend aujourd’hui ses distances avec le projet de Roland Castro. Tout l’enjeu était de faire des Trois Rivières une porte sur le parc. Pour le moment, le site demeure coupé de la commune par d’anciens entrepôts, dans une situation d’enclavement, sans le développement des transports en commun. La future gare Stains-Cerisaie de la ligne ferroviaire tangentielle nord est prévue pour 2017.
En attendant, Azzedine Taïbi, maire communiste de cette ville qui fait partie des plus déshéritées de Seine-Saint-Denis, ne cache pas sa colère face aux baisses des dotations de l’Etat aux collectivités qui représentent plus trois millions d’euros pour Stains. L’édile juge impossible d’augmenter les impôts locaux dans une commune où seuls quatre ménages sur dix sont imposables.
Centre de santé, rénovation des écoles et des équipements publics passent avant le quartier de Trois Rivières où les propriétaires se sentent abandonnés.
Elle peste contre les soirées alcoolisées sous les fenêtres, le trafic de drogue qui prend de l’ampleur :
Lorsqu’un soir Marie-Christine a retrouvé l’un d’eux sur son balcon, la police n’a pas pu venir : « Ils m’ont dit qu’ils n’avaient qu’une voiture disponible et qu’il n’y avait pas eu d’effraction… »
A sa fenêtre, un homme d’une quarantaine lâche sa colère. Il a acheté il y a trois ans mais n’attend plus qu’une chose : partir, « encore deux ans à tenir à cause de la plus-value. » Il reconnaît que le quartier est bien conçu, c’est d’ailleurs ce qui l’avait attiré ici. Amer, il pointe la dégradation des conditions de sécurité, l’augmentation des cambriolages :
Un choix politique, un choix de société
Avec ses espoirs et ses déboires, le quartier des Trois Rivières préfigure bien ce que pourrait devenir l’urbanisme des six villes qui bordent les 417 hectares du parc de La Courneuve : Stains mais aussi La Courneuve bien sûr, ainsi que Saint-Denis, Garges-Lès-Gonesse, Le Bourget et Dugny. La polémique actuelle montre qu’il s’agira avant tout d’un choix politique, d’un choix de société. Hier favorables, certains élus sont aujourd’hui contre le projet. L’idée d’une Opération d’intérêt national avec les prérogatives des communes récupérées par l’Etat crispe les oppositions.
Président du conseil départemental, le socialiste Stéphane Troussel prend ses distances avec le projet. Interrogé par « L’Obs » quelques semaines avant sa réélection en mars dernier, il ne niait alors pas le besoin de nouveaux logements, ni celui de désenclaver le parc :
Les Trois Rivières prouvent l’attente des habitants et l’urgence qu’il y a à intervenir. Sur place, certains sont amers, d’autres en colère mais on sent qu’il ne manque pas grand-chose pour retrouver l’envie de rester.
Et puis, pour redonner confiance à Roland Castro, il y a aussi Nelly, jeune trentenaire et mère de deux enfants, croisée sur la large allée qui mène au parc. Avec son mari, en 2007, ils ont acheté un appartement dans un des petits immeubles. Elle promène son fils en poussette et savoure ce cadre si calme en plein après-midi :
Si la fronde naissante d’élus du département ne la fait retomber au bord du chemin, l’idée toute simple défendue par l’architecte depuis le début des années 80 peut fonctionner : « Les banlieues ont aussi droit au beau et à la qualité. »