Menahem Pressler, le pianiste

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Menahem PRESSLER - Le grand virtuose
Menahem PRESSLER

À 92 ans, ce virtuose génial a mené une vie et une carrière romanesques en déjouant tous les soubresauts de l’histoire. Après avoir triomphé un demi-siècle au sein d’un trio de légende, il vient de sortir un disque de sonates de Mozart qui est un pur chef-d’oeuvre. Il a reçu Point de Vue chez sa fille, à Boston.

Assis au fond de son fauteuil, dans le salon d’un appartement moderne, le vieil homme ne s’éloigne pas de son piano. Difficile d’imaginer que ce personnage qui aurait pu inspirer un dessin de Sempé a vu le jour presque un siècle plus tôt, en 1923, dans une Allemagne prête à basculer sous le joug des nazis. À 92 ans, Menahem Pressler, avec son visage parcheminé de hibou sage ou de vieux maître Yoda, a toujours su déjouer les coups du sort. C’est sans doute pour cela qu’il vient de s’inventer, après avoir parcouru le monde durant cinquante ans au sein du Beaux Arts Trio, une nouvelle vie de soliste. Et qu’il a pu faire ses débuts avec le Philharmonique de Berlin un soir de Saint-Sylvestre, une consécration dont il n’aurait jamais osé rêver quand, adolescent chétif, il a dû fuir la Nuit de cristal avec sa famille.

« Nous avons sauvé un génie »

Le 31 décembre 2014, quand les premières notes du Concerto de Mozart n°23 ont retenti dans le mythique auditorium, les célèbres « Philharmoniker » sont restés suspendus aux doigts agiles de ce vieil homme aussi appliqué qu’un petit garçon, comme hypnotisés par l’extraordinaire fraîcheur de son jeu. Et quand le pianiste a regardé Simon Rattle au moment précis où l’orchestre reprend la mélodie pour enchaîner sur la suite de ce mouvement ample et émouvant, la ferveur commune des musiciens était palpable.

Ce que le maestro anglais et ses condisciples ignoraient, c’est que leur soliste était en fait foudroyé par une rupture d’anévrisme. De retour aux États-Unis, où il vit depuis 1946, Pressler découvre la gravité de son état. Horrifiés, les médecins de l’hôpital de l’Indiana annoncent le pire à sa fille Edna, qui le conjure alors de prendre un second avis au Massachussetts Institute de Boston. Contre toute attente, l’équipe médicale accepte de l’opérer. Et le sauve. La fille du miraculé n’en revient toujours pas. « Les médecins se repassaient sans arrêt la vidéo du concert du nouvel an en me disant: ‘C’est incroyable que votre père ait pu jouer dans cet état. Nous avons sauvé un génie’. »

Courtesy of Julien Mignot/Courtesy of Julien Mignot/La Dolce Volta

Le vieux maître à son piano lors d’une séance d’enregistrement.

Beethoven et Schubert pour ne pas oublier la culture germanique

L’ange gardien de Menahem Pressler a de la suite dans les idées. Et le vieux musicien qui regarde sa fille avec gratitude sait bien que cette incroyable baraka qui le protège depuis son enfance a partie liée avec le don qu’il a reçu. « Au départ, je voulais jouer du violon, comme mon père, raconte-t-il d’une voix douce, dans un anglais choisi, patiné d’une pointe d’accent austral. Mais mon frère est tombé malade, et quand son professeur de piano venait à la maison, je prenais la leçon à sa place. Un jour, j’ai joué quelques notes d’un morceau de Schubert [il chantonne], et mon père a dit: ‘Comme c’est bien…' »

Dans l’Allemagne de l’époque, c’est un organiste catholique -« un homme extrêmement cultivé et gentil », qui accepte de lui donner des cours. Jusqu’au moment où la situation devient critique pour les Juifs. « Mes parents ont décidé de partir juste avant la Nuit de cristal. Tous les membres de ma famille qui sont restés y ont perdu la vie. Nous avons pris un bateau pour Trieste, en prétextant des vacances en Italie, et de là nous avons patienté trois semaines avant d’embarquer sur le dernier navire en partance pour la Palestine. » Dans l’immeuble italien peuplé de migrants, le jeune Menahem déniche un piano et un professeur. En attendant l’exil, il joue du Beethoven, comme pour mieux se convaincre que l’âme allemande n’est pas morte avec l’avènement d’Hitler. « La culture germanique telle que mes parents me l’ont transmise est le bien le plus précieux qui soit », souffle-t-il encore. Aujourd’hui, quand il joue Mozart ou Schubert, c’est cet héritage qui se fait entendre, mémoire vive d’une certaine idée de la civilisation européenne.

La consécration américaine

À Jaffa, le parfum des oliviers accueille les fugitifs. Après l’organiste catholique, c’est le pianiste Eliyahu Rudiakow, bonne fée improvisée, qui encourage le jeune homme à poursuivre le piano. Puis le virtuose français Paul Loyonnet, en tournée en Israël, a vent du jeune prodige. « Je lui ai dit que je voulais aller à San Francisco disputer le concours Debussy. Après m’avoir écouté jouer La Première arabesque et le Clair de lune extrait de la Suite bergamasque, il a organisé mon départ pour les États-Unis avec la complicité de Max Rabinoff, l’un des plus grands imprésarios américains de l’époque. » Une fois de plus, une bonne étoile veille sur le garçon. À peine débarqué à Manhattan, il file s’entraîner dans les sous-sols du magasin Steinway, la célèbre marque de pianos d’origine allemande. Émerveillé par son jeu, Monsieur Steinway en personne met ses instruments d’exposition à sa disposition pour préparer son concours. « J’étais en Amérique depuis quelques heures, et j’avais déjà un studio de répétition hors du commun », raconte le vieil homme, encore reconnaissant.

Évidemment, le jury de San Francisco édition 1946, où figurait Darius Milhaud, couronna Menahem Pressler. « Vous pouvez imaginer ma joie. Rabinoff a aussitôt envoyé le télégramme en Israël: ‘Il a gagné le premier prix!' » C’est le début d’une carrière solo qu’il interrompt en 1955 pour fonder le Beaux Arts Trio avec le violoniste Daniel Guilet et le violoncelliste Bernard Greenhouse.

Courtesy of Julien Mignot/La Dolce Volta

Après un premier disque d’inspiration viennoise, il vient de se lancer dans une intégrale des sonates de Mozart, toujours pour le label La Dolce Volta.

Mozart par Menahem Pressler

Durant plus de cinquante ans, la formation, dont Pressler sera le seul membre permanent, sillonne le monde de concert en concert, devenant une référence dans l’univers de la musique de chambre. Et Pressler aime par-dessus tout la communion qu’exige l’exercice du trio. « Il s’agit de se laisser guider par la musique qui est en nous, de se mettre à son service. » C’est quand le dernier violoniste en date, Daniel Hope, envisage de se lancer en solo en 2013, que Menahem Pressler décide de reprendre du service et d’enregistrer l’intégrale des sonates de Mozart avec le jeune label français La Dolce Volta.

Le premier disque de cette série, sorti en mars dernier, est un chef-d’oeuvre d’une simplicité lumineuse. Après avoir annulé une première tournée en Europe à la suite de son opération, le génial pianiste sera au Festival de Verbier, pour jouer Mozart, Chopin et Schubert. Et le public réuni ce jour-là dans l’église de la station suisse pourra savourer sa chance d’avoir rendez-vous avec une légende.

Festival de Verbier, le 27 juillet 2015 à 11 heures, et le 30 juillet 2015 à 20 heures, avec le baryton Matthias Goerne.

 

Source : Presse

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