Après avoir annoncé en juillet dernier le maintien en l’état de la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, la Commission européenne garde espoir de trouver un accord malgré la pression de onze pays états membres. Décryptage.
Trois mois après avoir annoncé le maintien en l’état de la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, Bruxelles ne relâche pas ses efforts. « Depuis la proposition de la révision entérinée en 2016, nous avons espoir, à ce jour, de trouver un accord », nous signale une porte-parole de la Commission européenne. En constatant, en effet, « une grosse avancée ». Une confirmation relayée, ce jeudi 6 octobre 2016, par les équipes du cabinet de Marianne Thyssen, commissaire responsable de l’Emploi et des Affaires sociales, qui ne laissera pas insensible les professionnels du bâtiment et des travaux publics.
« Pas de dead line pour l’agenda »
Désormais, l’enjeu est de taille : la proposition de Marianne Thyssen doit recevoir l’aval du Parlement européen, dont ses missions sont en cours, et du conseil des 28 ministres de l’Union européenne, chargés des questions sociales et de l’emploi.
Seul bémol, onze pays européens, dont 10 d’Europe de l’Est (lire article) et le Danemark bloquent pour l’instant le processus. « Ces pays avancent avant tout des arguments de compétitivité », ajoute l’entourage de la Commission européenne. Mais, cela peut être aussi, pour certains d’entre eux, des « arguments électoraux ».
« La France est dans son rôle pour exercer son travail de lobbying dans les deux prochains mois »
D’ailleurs, pour tenter de fragmenter un peu le bloc des 11 pays, qui ont lancé une procédure de carton jaune » contre l’initiative de la Commission, la ministre du Travail française, Myriam El Khomri, se rendra en Pologne le 12 octobre prochain. « La France est dans son rôle pour exercer son travail de lobbying dans les deux prochains mois », reconnaît une source à Bruxelles. Avec l’application de la loi Macron, l’engagement de la France à renforcer les contrôles dans le plan de lutte contre la fraude, sans oublier la carte d’identification du BTP, « la France fait partie des locomotives pour le maintien de la révision de 1996 », a ajouté l’entourage de la commissaire.
Un chiffre à retenir. Sur les 1,92 million de travailleurs détachés en Europe, « 43,7 % des contrats de travail concernent des ouvriers du secteur de la construction », nous précise une source européenne. « Et la durée du détachement oscille en moyenne entre trois et quatre mois. » Et la France ? « Elle se situe dans la moyenne européenne, avec 44 % des travailleurs des détachés en France dans le secteur de la construction ». Et contrairement aux idées reçues, les travailleurs détachés proviennent majoritairement des Etats fondateurs de l’Union européenne. 41 % d’entre eux viennent de nouveaux Etats membres.
« Il est clair que le bâtiment est le secteur d’activité le plus concerné par le recours au détachement avec 27% des déclarations de détachement en 2015 (hors travail temporaire) », confirme aussi le ministère du Travail.
En détails, cette proposition de révision « s’engage à ce que les travailleurs détachés puissent bénéficier de manière générale des mêmes règles en matière de conditions de rémunération et de travail que les travailleurs locaux », nous explique-t-on de nouveau. Dans le bâtiment, les régimes des travailleurs détachés devraient être alignés sur ceux de la main d’œuvre locale, selon le principe, « à travail égal, salaire égal », a répété à maintes reprises Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. Autre nouveauté : « Des propositions de textes pour la révision sont en cours pour favoriser les bénéficiaires, notamment en matières d’allocation familiales, les soins de longue durée, les retraites et l’assurance chômage. » A noter que le prochain conseil des ministres consacré à la Directive de 1996 sera le 8 décembre prochain.
La France et l’Allemagne même combat
En parallèle, La France et l’Allemagne veulent jouer un rôle « moteur » dans la lutte contre le détachement illégal de salariés en Europe. Pour preuve, les deux pays se sont entendus, ce lundi, pour soutenir, ensemble, la création d’une base de données unique sur les travailleurs détachés à l’échelle européenne. Cette proposition a été faite lors d’une conférence de presse, qui s’est tenue le 3 octobre au ministère du Travail, en présence de Myriam El Khomri, ministre du Travail et d’Andrea Nahles, son homologue outre-Rhin.
« Nous nous sommes mises d’accord aujourd’hui pour l’élaboration d’une base de données unique des formulaires A1 (de détachement des travailleurs) sur le plan européen », avait déclaré Myriam El Khomri à la presse, à l’issue de cette rencontre. Le « formulaire A1 » est un document remis par leur pays d’origine aux travailleurs détachés en règle, qui atteste qu’ils sont soumis aux cotisations sociales de leur pays, et non à celles du pays de détachement. « Nous allons commencer au niveau bilatéral et ensuite nous espérons élargir cette coopération » à toute l’Union européenne, avait précisé la ministre allemande, qui veut avancer « au plus vite, sans attendre le calendrier européen ».
Une base de données commune permettrait de vérifier les données fournies « en temps réel »
ministère du Travail
Interrogé, le 6 octobre, le ministère du Travail, nous précise que « chaque Etat dispose de sa propre base de données mais elles ne sont pas interconnectées entre elles. » « Si un Etat veut procéder à des vérifications il doit demander à l’organisme compétent de l’Etat concerné, qui n’est pas tenu de lui répondre dans un délai donné, nous explique-t-on. En outre, aujourd’hui ces formulaires sont délivrés sans réel contrôle, au motif de la bonne coopération entre Etats membres. Une base de données commune permettrait de vérifier les données fournies en temps réel. »
De son côté, Bruxelles, ne commente pas cette initiative.