L’après-Blaise ancre, chaque jour, le Burkina Faso dans une bourrasque intermittente et infernale. L’agenda du chaos est surchargé. Hier, une prise d’otages tragique dans un luxueux hôtel de la capitale diffusait la peur.
Aujourd’hui, les attaques meurtrières contre les positions de l’armée dans la partie semi-désertique du pays et les infiltrations déstabilisatrices le long de la frontière ivoirienne collent la fièvre obsidionale, c’est-à-dire une psychose d’assiégés, aux tenants du pouvoir à Ouagadougou. Bref, le tournis est à son paroxysme, chez les plus hautes autorités de l’Etat burkinabé, avec l’arrestation mouvementée et sanglante de suspects hors du commun (des malabars militairement formés) par des gendarmes en faction sur un pont.
Largement suffisant pour que le ministre d’Etat, ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré, monte au créneau, sonne l’alerte maximale et dénonce une tentative de déstabilisation des institutions suivant trois plans (A, B et C) dont la mise en œuvre serait, aux yeux des spécialistes, totalement cauchemardesque, tant au niveau du Burkina qu’à l’échelle sous-régionale.
En effet, l’assaut projeté contre le Palais présidentiel de Kosyam par une poignée d’hommes principalement venus de l’extérieur, l’éclatement concomitant d’une mutinerie dans quelques garnisons de la capitale et des provinces et, enfin, la dévastation programmée de la Prison militaire n’aboutiraient pas à une prise viable et durable du Pouvoir, mais à un gigantesque chaos qui transformerait le Burkina Faso en Burkina Foutoir. Pire, une telle perspective – à ne pas écarter définitivement – offrirait le Burkina (sur un plateau d’argent) aux djihadistes solidement sanctuarisés au Nord-Mali mais en perpétuelle balade dans le Sahel. Un scénario sombre qui ne dissuade ni les acteurs extrémistes ni les commanditaires revanchards des tentatives répétées de déstabilisation du régime du Président Christian Roch-Marc Kaboré.
Davantage que les objectifs des comploteurs, ce sont les suspects sous les verrous et les suspicions hors des frontières qui renseignent sur les évènements. A cet égard, la proximité entre la date des entretiens Blaise Compaoré-Henri Konan Bédié (le 10 octobre) et celle de l’annonce de l’arrestation des infiltrés (le 21octobre) taraudent l’esprit des responsables burkinabés qui y décèlent la première activité publique de l’ex-maitre du Faso, jusque-là inerte et effacé dans son exil abidjanais. Un tête-à-tête Bédié-Compaoré dont le prologue a été délibérément surmédiatisé et l’épilogue enveloppé d’un silence lourd d’interrogations. Pourquoi une telle mise en scène qui mixe une dose de médiatisation et un volet de mystère ? Seule Mami Watta pourrait répondre à cette question. Par conséquent, bonjour les conjectures les plus noires !
Certes, Bédié ne préside pas présentement aux destinées de la Côte d’Ivoire ; toutefois sa communion politique et son entente stratégique avec le Président Ouattara au sein du Rassemblement des Houphouêtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP fondé en février 2005), suggèrent que les deux leaders s’activent comme deux larrons en foire. Leur complicité autour de la nouvelle Constitution en est, d’ailleurs, une réelle illustration. Il s’y ajoute que lors d’un sommet africain, Alassane Ouattara a fait au Président de la Transition, Michel Kafando, la confidence que voici : « Je dois beaucoup à Blaise ». Y compris un renvoi d’ascenseur. Une dette partiellement remboursée, puisque que l’ancien réfugié et nouveau citoyen ivoirien s’appelle désormais Blaise Kouamé Compaoré. C’est ce qu’on lit sur son passeport. Last but no least, la bonne mine et la fraicheur physique (le toujours beau Blaise) n’annoncent ni un repos ni une résignation ; encore moins une extinction des ambitions. A ce propos, Blaise Compaoré (il n’était pas encore Blaise Kouamé) disait, dans les années 90, à un ambassadeur d’Algérie, dans la solitude de son bureau : « Excellence, nous les Présidents africains sommes tous programmés pour être ensuite déprogrammés ». Glaçante vérité ! Question : lui le programmé-déprogrammé se sent-il maintenant reprogrammé ?
Le syndrome congolais – perte et reconquête du pouvoir par Denis-Sassou Nguesso via la guerre civile – étant difficilement transposable au Burkina, il va sans dire que le régime, en place à Ouagadougou, redoute un 18 Brumaire burkinabé orchestré par le CDP et le RSP, c’est-à-dire l’ex-Parti politique et l’ancienne Garde prétorienne de Blaise Kouamé Compaoré. L’angoisse du triumvirat dirigeant (le chef de l’Etat, Marc Kaboré, le Président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo, et le Ministre d’Etat, Simon Compaoré) est palpable et, surtout justifiée, au vu des leviers disponibles pour la subversion politico-militaire. Le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) est dissous et dispersé dans les régions militaires. Cependant, des éléments déserteurs éparpillés entre la Côte d’Ivoire, le Mali et le Togo restent toujours en contact secret avec les inconditionnels de Blaise camouflés dans l’armée. Tous se considèrent comme les gardiens de l’âme et les sentinelles de la légende du Régiment. C’est donc, sans aucune surprise, que l’Adjudant-chef Gaston Coulibaly figure parmi les infiltrés arrêtés par la Gendarmerie. Au sein du mort-vivant RSP, les sous-officiers vouent aux officiers supérieurs (Gilbert Diendéré, Boureïma Kéré et autre Aziz Korogho) un respect qui frise la vénération.
De son côté, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) tient la dragée haute face au régime. Son Président intérimaire Achille Tapsoba est clair : « Jamais nous ne renierons Blaise ». Déclaration faite à l’issue du Bureau politique du 26 septembre 2016. Sans commentaires. Absent de la présidentielle de 2015, le CDP est implanté dans tout le pays et sponsorisé par des argentiers vivant en exil. Parmi ceux-là figure, en bonne place, Mme Alizéta Ouédraogo, richissime femme d’affaires et belle mère de Blaise Kouamé Compaoré. D’aucuns disent que c’est elle qui, depuis l’Etranger, torpille la politique économique du Président Kaboré, en téléguidant le Patronat burkinabé vers le désinvestissement. D’où l’atonie ambiante au plan social.
Le regain d’activités des ennemis de la démocratie burkinabé n’est pas stratégiquement fortuit. Bien au contraire. La pression subversive s’amplifie au moment où les failles, les faiblesses et les vulnérabilités s’amoncellent à Ouagadougou. D’abord, la santé de deux des trois personnages du triumvirat, fondateurs du MPP et tombeurs de Blaise, est chancelante. Le ministre d’Etat en charge de la Sécurité, Simon Compaoré, est malade. Cet ancien maire de la capitale travaille avec difficulté et marche péniblement. Il est miné par la maladie. Moins affecté que Simon, le patron des députés, Salif Diallo, n’a pas visiblement une meilleure santé.
Ce juriste formé dans les facultés de Dakar est un animal politique intellectuellement alerte mais physiquement diminué. Ensuite, les conspirateurs tablent sur la vulnérabilité que représentent les divergences de vues et, surtout, la dégradation inexorable des relations entre le Président de la république et le Président de l’Assemblée nationale. En un mot, les nostalgiques et les revanchards de tout acabit, trouvent que le mur d’en face se lézarde et, du coup, leur offre des opportunités de destruction ou de franchissement sans précédent.
Evidemment, les menaces intérieures et extérieures sont bien prises très au sérieux, à Ouagadougou. Mais l’appareil policier est en interminable restructuration. Le renseignement, jadis coordonné par le Général Diendéré, reste le talon d’Achille du régime qui cafouille encore dans ce domaine. Une prudente réorganisation est en cours avec la nomination du Colonel François Ouédraogo à la tête des services secrets rattachés à la Présidence du Faso. Face à l’avalanche de menaces aux frontières et au regard du nombre croissant de secousses intérieures, le Burkina a, un moment, envisagé de s’attacher les compétences de Honoré Gbanda, l’excellent patron des services de renseignement du Président Mobutu. Un homme surdoué qui est consulté par plusieurs chefs d’Etat d’Afrique centrale et de l’Ouest. Le choix n’a pas prospéré, puisque Honoré Gbanda est très lié au régime des Eyadema (père et fils) qui accueille à Lomé, l’épouse du Général Diendéré, Madame Fatou Diendéré née Diallo, ex-commissaire de la Police burkinabé. Prudence et vigilance tous azimuts !