Pour la grande majorité des eurodéputés, conservateurs inclus, une victoire républicaine aurait sur l’UE l’impact «équivalent à un Brexit gigantesque».
Il faut aller chercher à l’extrême droite et chez les europhobes (les deux familles ne se recoupant pas totalement) pour trouver des députés européens souhaitant la victoire de Donald Trump. En dehors de cette grosse centaine d’élus, sur 751 membres du Parlement européen, le candidat républicain provoque une répulsion unanime sans précédent. Même au sein du groupe PPE (conservateur), l’équivalent européen du Parti républicain, «personne ne le soutient», affirment en chœur Cristian Dan Preda (PPE, Roumanie) et Andreas Schwab (PPE, Allemagne), rencontrés à Bruxelles. «En tous les cas, assure ce dernier, je n’ai rencontré personne qui s’en vante.» Dan Preda ironise : «Les supporters de Trump ce sont Nigel Farage, l’ex-patron du Ukip, le parti europhobe britannique et Marine Le Pen, la présidente du FN. Tout est dit. Pour la première fois dans une élection américaine, les valeurs de centre droit que je défends ne sont pas représentées par un candidat républicain.»
Autant dire que les quatre cinquièmes de l’hémicycle votent des deux mains pour la démocrate Hillary Clinton, des écologistes aux conservateurs en passant par les socialistes et les libéraux : «J’espère que l’on vit un cauchemar et que l’on va se réveiller», soupire Sylvie Goulard (libérale, France). «On espère tous la défaite de Trump, même si Clinton est trop liée au monde des affaires, aux grandes banques d’affaires»,reconnaît, résigné, Ernest Urtasun, de la gauche verte catalane. Après toutes les critiques sur les insuffisances d’Obama, «on va vite s’apercevoir qu’on l’a sous-estimé», prédit encore Andreas Schwab.
Trump, «une star populiste folle»
L’élection américaine passionne au sein du Parlement européen car elle est le reflet de la crise que traverse l’ensemble de l’Occident. Pour Esteban González Pons (PPE, Espagne), qui a assisté à la convention républicaine, «la campagne américaine est un parfait résumé de la confrontation idéologique occidentale entre l’émergence d’un populisme, due à une mondialisation que les citoyens ne comprennent plus, et des partis politiques classiques, incapables d’expliquer ce qu’ils font. L’affrontement est désormais entre la démocratie représentative et le populisme, et non plus entre la gauche et la droite.» Une analyse que partage Martin Schulz (socialiste, Allemagne), le président du Parlement européen : «L’avenir de la politique, c’est la démocratie contre le populisme.»
[quote]La campagne américaine est un parfait résumé de la confrontation idéologique occidentale entre l’émergence d’un populisme, due à une mondialisation que les citoyens ne comprennent plus, et des partis politiques classiques, incapables d’expliquer ce qu’ils font. [/quote]— Esteban González Pons (PPE, Espagne)
Que Trump soit l’incarnation du «populisme pur et dur», comme le dit le député Jo Leinen (socialiste, Allemagne), ou «une star populiste folle»,selon l’expression de Cristian Dan Preda, personne ne le conteste. Mais «il ne faut pas se moquer du candidat républicain, on a déjà les mêmes chez nous», souligne la libérale Sylvie Goulard. «Cette radicalisation et cette vulgarisation du débat politique sont déjà présentes en Europe»,renchérit Jo Leinen, pour qui «le Premier ministre hongrois Viktor Orbán n’est pas très éloigné de Trump». L’émergence de ce populisme est due «à un fort sentiment d’insécurité créé par la crise financière de 2007 qui touche les classes moyennes, analyse le social-démocrate allemand. Elles ont le sentiment qu’elles en sont les principales victimes et elles recherchent de la sécurité que le populisme semble leur offrir. Trump, c’est l’incarnation de la révolte contre l’establishment».
«Il faut écouter les gens qui disent des horreurs»
«C’est une catharsis, approuve Sylvie Goulard. Les classes moyennes américaines exorcisent les conséquences de la crise qui a été infiniment plus brutale chez eux que chez nous. Des gens ont tout perdu, leur emploi, leur maison, alors qu’il n’y a pas de filet social. Les élites américaines n’ont pas pris au sérieux le Tea Party : or, il faut écouter les gens qui disent des horreurs.» Elle aussi pointe le malaise face à la mondialisation qui ne touche pas que les États-Unis, mais l’ensemble de l’Occident : «Tout le monde est secoué par la globalisation. C’est le rapport au reste du monde et à la solidarité qui est questionné». «Les 90% de la croissance du PIB depuis la crise ont profité à seulement 1% des Américains les plus riches, renchérit Ernest Urtasun. C’est tout le modèle néolibéral qui est en crise.» Pour Andreas Schwab, la résistance au pouvoir fédéral explique aussi le succès de Trump : «Le phénomène est plus prononcé aux États-Unis que dans l’Union européenne, contrairement à ce qu’on croit de l’extérieur. Il y a une vraie allergie à tout ce qui vient de Washington alors qu’en Europe les citoyens comprennent encore la nécessité d’une collaboration entre les Etats».
Hélas, pour Ernest Urtasun, «les Américains semblent préférer le modèle autoritaire incarné par Trump, qui rejette la faute de la crise sur les Noirs ou les Mexicains, au modèle alternatif proche des valeurs européennes qu’incarnait Bernie Sanders. Clinton, elle, est le choix de la continuité.» C’est bien tout le danger : «Même si c’est une femme, elle n’incarne pas le renouveau à la différence d’Obama», souligne Sylvie Goulard pour qui «un système sain doit générer du renouveau». C’est bien la crainte des eurodéputés : que Trump parvienne in extremis à l’emporter, car porteur d’un changement qui sera gros de dangers, pour les Etats-Unis, mais aussi pour le reste du monde. «Si Trump est élu, on va vivre l’équivalent d’un Brexit gigantesque», met en garde Esteban González Pons