Laser du lundi : Le socialisme à hauteur d’homme et…de Code pénal (Par Babacar Justin Ndiaye)

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Portrait de Babacar Justin Ndiaye © Malick MBOW
Portrait de Babacar Justin Ndiaye © Malick MBOW

Hier, le Président Léopold Sédar Senghor – homme politique très friand et assez féru de hautes réflexions – avait récusé le socialisme scientifique qu’il jugea précisément trop « scientifique » et peu humain. En grammairien cultivé, fécond et performant, le futur académicien et l’éternel humaniste opta pour la trouvaille que voici : le socialisme à hauteur d’homme. Une somme de doctrine et de système qui créent des richesses matérielles pour l’homme, tout en sublimant les nourritures spirituelles. Par-delà l’apologie, la propagande, le réquisitoire et la controverse, l’Histoire (admirez le grand H) tirera les leçons et les conclusions du socialisme à hauteur d’homme, cher au premier Président de la république du Sénégal.

Davantage dauphin juridique (article 35 de la Constitution d’alors) qu’épigone idéologique de Senghor, le Président Abdou Diouf ferrailla plus sur le front infernal des ajustements structurels édictés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International que sur les axes – trop labyrinthiques aux yeux d’un technocrate – de la pensée socialiste. Cette carence politique (sur fond de faible légitimité liée à l’article 35) amorça un processus de dévitalisation des ardeurs et d’affaissement des convictions à tous les échelons du Parti Socialiste. Bonjour l’atonie dans la vie du PS qui culmina avec le musellement orchestré et/ou validé par le Président Abdou Diouf, au profit du Premier Secrétaire Ousmane Tanor Dieng. C’est l’épisode bien nommé ou mal nommé du Congrès sans débats de 1996. C’est, aussi, le temps du socialisme à hauteur d’oukase du Président Diouf, par opposition, au socialisme à hauteur d’homme de Léopold Sédar Senghor.

L’ère Ousmane Tanor Dieng a commencé alors sous les auspices de l’urgence, du colmatage et du redressement. Après les hémorragies sans perfusions immédiates (départs de Djibo Ka, de Moustapha Niasse, de Robert Sagna, de Souty Touré, de feu Assane Diagne et d’Abdoulaye Makhtar Diop etc.), il a fallu requinquer le mammouth esquinté. Opération laborieusement mais finalement réussie par Ousmane Tanor Dieng et une poignée de farouches et fidèles militants du Parti Socialiste, aiguillonnés puis gonflés à bloc par le duo soudé Tanor Dieng et Khalifa Sall. Le mérite des « survivants » de la défaite et des défections d’avant et d’après 2000, est d’autant plus grand que le malin et machiavélique Abdoulaye Wade a tout essayé pour précipiter le PS dans sa tombe. Présente et non éliminée de l’échiquier politique, durant les deux mandats de Me Wade, la formation socialiste a contribué, en 2012, à la chute du Pape du Sopi.

A l’instar d’une secousse tellurique, la chute du Président Abdoulaye Wade a engendré une réplique (deuxième secousse) qui a lentement mais inexorablement ébranlé les fondations du PS. Vainqueur parmi les vainqueurs de mars 2012, le PS est au cœur d’une coalition gouvernementale qui lui colle un dilemme digne de Corneille : faire de la coalition Benno Bokk Yakaar, une cage et s’y emprisonner volontairement ; ou alors en faire une rampe de lancement pour la « fusée verte », successivement en 2017 et 2019. Voilà le dilemme dévastateur qui est à l’origine de la cassure au sein des instances dirigeantes (Khalifa Sall, Aïssata Tall Sall et autre Bamba Fall sont en délicatesse avec Tanor), de la casse de Colobane, de la convocation à la Police et de la comparution devant un juge. Le socialisme à hauteur d’homme est mort. Le socialisme à hauteur d’oukase est dépassé. En ce début d’année 2017, le PS expérimente le socialisme à hauteur du Parquet et du Code pénal. Quel destin hideux pour un Parti glorieux !

Certes, le Parti Socialiste – issu des entrailles du BDS et des flancs de l’UPS – ne vit pas sa première et très grave crise interne. Bien au contraire. Preuve qu’il n’a rien à voir avec une organisation foncièrement totalitaire ou stalinienne. Même s’il connut, jadis, des soubresauts qui conduisirent des militants (Mamadou Dia, Waldiodio Ndiaye et Joseph Mbaye) en prison et un militant (Abdou Ndakaha Faye) devant le peloton d’exécution. Toutefois, ces déchirements séditieux (le coup d’Etat fondé ou non de Mamadou Dia) et sanglants comme l’assassinat, à Thiès, du ministre Demba Diop, eurent lieu dans un contexte politique et institutionnel où le Parti UPS, l’Etat et le gouvernement du Sénégal s’enchevêtrèrent ou s’entrelacèrent de façon inextricable. Pour cause de bicéphalisme constitutionnalisé. Circonstances atténuantes (moins d’une décennie d’indépendance) dans la marche heurtée d’un pays qui n’avait pas encore calcifié sa souveraineté. Du reste, ces tensions vives à l’intérieur du Parti n’ont jamais créé des crises de longue durée. Le bloc monolithique, autour de Senghor, s’est toujours et vite refait. Mieux, les opposants ont été régulièrement ciblés et cognés. On se souvient de l’uppercut violent que le député puis ambassadeur, Moustapha Cissé de Louga, administra au Professeur Cheikh Anta Diop, automatiquement plongé dans un coma profond. Motifs : critiques acerbes proférées à l’endroit de Léopold Sédar Senghor, par l’homme du carbone 14. L’union était sacrée chez les pionniers du socialisme, nonobstant les débats internes en vigueur dans les hautes instances. Ousmane Ngom de Thiès disait poliment mais clairement ses quatre vérités, au Secrétaire Général de l’Union Progressiste Sénégalaise : le camarade et non moins Président de la république Senghor.

Aujourd’hui, la particularité effarante et ahurissante du débat transformé en duel cruel, découle du fait que ni le Président de la république ni le Premier ministre, encore moins le Président de l’Assemblée nationale n’appartiennent au Parti Socialiste. C’est bien après la plainte déposée contre le groupe de Bamba Fall que Tanor Dieng a été catapulté à la tête du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT). Donc le feu allumé dans le PS a précédé le fromage obtenu dans la coalition BBY. Le cas de figure est rarissime : un Parti qui s’autodétruit dans le purgatoire. Car la coalition n’est pas le pouvoir, sans être évidemment l’opposition. D’habitude, on scelle solidement l’unité dans un moment où l’on patiente entre désert et oasis. Pour mieux envisager d’être le futur maitre de cette dernière. L’inverse ainsi est observé avec un Parti d’obédience socialiste (longtemps à hauteur d’homme) qui arbitre maintenant ses débats, par le Code pénal et non avec et par la force du catalogue de ses beaux idéaux. Pierre Leroux, inventeur du mot « socialisme » et le Président Senghor, auteur de l’ajout « à hauteur d’homme», bougent dans leurs tombes respectives. La politique – affaire de gladiateurs invétérés – change les idéaux en idioties, puis les transforme en cauchemars.

Difficile d’escamoter la question : comment en est-on arrivé à ces situations extrêmes chez les socialistes qui ont fait de l’épave de 2000, un navire flottant, à défaut d’être électoralement superbe ? En filigrane, il y a principalement le choc des stratégies et subsidiairement le télescopage des ambitions et/ou des analyses. En politique – comme au cinéma – on meurt plusieurs fois et on se relève maintes fois. Toutefois, Ousmane Tanor Dieng a raisonnablement révisé ses ambitions personnelles, à la baisse. Davantage que les ambitions (légitimes et raisonnables chez Khalifa Sall), c’est la quête de la stratégie opportune ou adéquate qui est l’élément dynamiteur du PS. Ousmane Tanor est clair. Selon ses propos dans moult médias, aucun Parti ne peut gagner, seul, les grandes élections au Sénégal, notamment la présidentielle. Moralité : le PS a un destin de coalisé et non de vainqueur en solitaire. L’argument n’est pas faux mais il est sommaire pour être vrai ou convaincant. Il s’agit d’une demi-vérité. Effectivement, la carte électorale est si bariolée, en termes de suffrages constamment répartis entre les Partis, qu’elle ressemble parfaitement à une peau de léopard très tachetée. Cependant, le PS peut aspirer à être la locomotive d’une coalition, autre que BBY. En d’autres termes, le PS peut être un chef de coalition et de coalisés. L’APR née, en fin 2008, n’a pas le monopole des prouesses. Si le très historique PS baisse pavillon, sa vocation et sa raison d’être seront définitivement en berne.

En vérité, la question de la stratégie est à la base du tangage, des débordements et des dégâts. Jusque dans le bureau du Doyen des juges, Samba Sall. Tout comme le Président Macky Sall déchiquette – tel l’acide au contact de l’étoffe, et sans le vouloir – la cohésion dans les rangs du PS. Le chef de l’Etat et de l’APR est, à la fois, un élément précieux et pernicieux pour le PS. Des sources bien informées renseignent que l’ex-Président Abdou Diouf « vote » Macky Sall et congédie Khalifa Sall. Pourquoi ? Parce que l’illustre vaincu de mars 2000 considère qu’un grand regroupement autour de Macky Sall (ses moyens et son bilan) demeure la meilleure digue antilibérale. D’où les encouragements et les conseils discrets qu’il prodigue à Tanor. Ce point de vue de l’ex-patron de la Francophonie dégouline de pertinence, aux yeux de certains observateurs. En effet, un rapide inventaire des forces politiques révèle, d’emblée, le rôle non négligeable voire majeur que jouera la galaxie libérale (les gros débris du PDS) aux côtés du REWMI d’Idrissa Seck et de la cohorte des forces naissantes ou montantes de la néo-opposition incarnées par Abdoulaye Baldé, Malick Gakou, Abdoul Mbaye etc. Voilà qui explique que des personnalités socialistes (désormais situées désormais hors du champ politique) déconseillent tout sabordage aventureux et périlleux de la coalition BBY. La perspective d’un retour du PDS et des Wade père et fils – même fondus ou noyés dans un conglomérat de Partis – hante des sommeils et, par ricochet, désintègre, d’ores et déjà, le Parti Socialiste.

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