DECRYPTAGE – Propriété intellectuelle de la maquette numérique, répartition des responsabilités, impact en matière d’assurance construction… Le BIM est un sujet aux multiples facettes, mais ses aspects juridiques restent encore relativement inexplorés. Deux avocates, maîtres Marie-Alexandra Vankemmelbeke et Wanda Bellaiche, apportent leur éclairage.
Une appréhension injustifiée, selon les deux avocates, qui se basent sur les retours d’expérience étrangers, en particulier à Singapour, où le BIM joue bien son rôle en assurant la traçabilité des échanges de données et en facilitant l’imputabilité des erreurs de saisie ou d’effacement de données. « De plus, des circuits de validation des modifications existent toujours« , insistent les experts du droit. Pour elles, « toute la question est de savoir si la faute incombe à celui qui donne le fichier erroné ou à celui qui le traite sans voir que l’erreur existe déjà, hors BIM« . Si les cas les plus complexes peuvent effectivement mener à une expertise pour déterminer s’il s’agit d’un problème technique indépendant, la plupart des erreurs ne susciteront pas de désordres de gravité décennale, n’entraînant alors que la responsabilité civile de son auteur.
La question du BIM manager et des prestataires extérieurs
« La confusion peut toutefois exister lorsque l’auteur de l’erreur porte plusieurs casquettes, comme ce peut être le cas pour le BIM manager, en charge de la gestion des échanges d’information, de la description des structures fichiers et des structures de stockage« , poursuivent les avocates. A en croire les professionnels consultés, cette nouvelle fonction, essentielle dans le process, devrait être « assumée par un constructeur déjà en charge de l’opération et non un intervenant extérieur avec un profil d’ingénieur, car elle nécessite une expérience de projet« . Dans ce cas, les juristes avancent qu’il conviendra de déterminer quelle mission est défectueuse pour connaître le type de responsabilité (civile ou décennale) qui sera engagée. « A l’inverse, si le BIM manager est un prestataire extérieur, seule sa responsabilité civile sera susceptible d’être retenue en cas de faute« , avertissent-elles. La responsabilité des éditeurs de logiciels et celle des prestataires informatiques pourra également être recherchée : « Il faudra veiller, dans les contrats, à exclure les causes exonératoires de responsabilité et à négocier la réversibilité du matériel en cas de résiliation anticipée« .
La responsabilité décennale ne sera pas bouleversée par l’adoption de la méthode BIM, comme l’expliquent Marie-Alexandra Vankemmelbeke et Wanda Bellaiche : « D’une part, parce que le régime légal, d’ordre public en droit privé, repose sur la présomption de responsabilité de tout constructeur ayant un lien d’imputabilité avec les désordres et qu’il est peu probable qu’une erreur de saisie ou informatique soit constitutive d’un cas de force majeure, en l’absence d’imprévisibilité. D’autre part, parce que le glissement de responsabilité qui risquerait de se produire dans un schéma BIM existe déjà hors BIM : par exemple, en cas de succession d’entreprises ou dans les contrats de conception-réalisation« . Les spécialistes recommandent de porter une attention particulière à la rédaction des différents contrats spécifiques : cahier des charges BIM du maître d’ouvrage, protocole BIM entre les différents utilisateurs, contrat entre l’éditeur du logiciel BIM et les utilisateurs, contrat relatif au stockage des données… Elles mettent en exergue l’exhaustivité de termes des contrats et la précision dans l’attribution des rôles, responsabilités et obligations de chacune des parties. Un modèle de protocole ainsi qu’un clausier devraient être établis prochainement par Medi@construct.
BIM et assurances : vers une police unique ?
Concernant les questions assurancielles, où la réponse repose sur la connaissance du risque, les deux avocates écrivent : « Pour l’instant, la France est au niveau deux du BIM, qui permet la collaboration mais pas le partage en temps réel. A ce stade, le risque reste sensiblement identique à celui encouru hors BIM, du moins pour les aspects constructifs, et il ne semble pas nécessaire de mettre en œuvre un contrat d’assurance spécifique. Il pourrait en être autrement lorsque la France aura atteint le niveau trois du BIM : les assureurs pourraient alors envisager de mettre en place une police unique, avec un ou plusieurs assureurs, couvrant la totalité des risques potentiellement engendrés par les différents acteurs travaillant sur le projet« .
Maîtres Vankemmelbeke et Bellaiche estiment qu’en l’état de la démarche, on manque de recul sur la mise en œuvre. Traçabilité et baisse de la sinistralité restent à démontrer, mais elles estiment que « la possibilité pour les assureurs d’accéder à la maquette numérique (incluant idéalement les données administratives de l’opération en plus de ses données techniques) (…) pourrait faciliter l’instruction du dossier« , à la fois lors de la rédaction du contrat et en cas de sinistre. Elles envisagent que le BIM pourrait aboutir à une baisse des primes de cotisations… ou à leur hausse « si par extraordinaire, le BIM engendrait une hausse de la sinistralité« , sans toutefois modifier le régime d’assurance. Un scénario peu probable puisqu’il est question de labelliser le BIM et d’en faire un gage de qualité. Les assureurs réfléchiraient également à proposer de nouveaux produits couvrant les nouveaux risques liés aux aspects informatiques tels que l’erreur de saisie, la perte ou le piratage des données. « En conclusion, les contraintes juridiques du BIM ne sont aucunement un frein à son expansion, bien au contraire, d’autant que le contrat reste son allié privilégié« , déclarent les avocates.
Au terme de cinq mois d’échanges et d’une consultation national, le rapport dresse le sujet sous deux angles : les spécificités du droit du numérique lors de la construction et de la rénovation des bâtiments (la « phase amont ») puis au moment de l’habitation des bâtiments (la « phase aval ») et énonce 11 propositions :
Les solutions aux problématiques juridiques liées à la phase d’amont de la construction
Proposition 1 : Régler contractuellement le régime de propriété de la maquette numérique. Toutefois, le groupe de travail ne recommande pas l’application d’un régime de copropriété.
Proposition 2 : Définir les accès à la maquette, leur temporalité, leur modalité (consultation, ajout, modification).
Proposition 3 : Former un acteur du BIM au management des données, notamment personnelles. Le groupe de travail s’est toutefois montré opposé à la création d’une nouvelle profession.
Proposition 4 : Adapter les contrats du secteur immobilier au numérique en mettant à disposition un standard contractuel pour le contrat entre les contributeurs à la maquette et un clausier standard pour les contrats du numérique et du bâtiment (Ex. Projet Smart City).
Proposition 5 : Transférer les données de la maquette numérique au carnet numérique et instaurer une interopérabilité des données pour permettre leur exploitation dans le cadre de la Smart City.
Proposition 6 : Standardiser les données qui ont vocation à rentrer et à sortir de la maquette numérique et certifier les logiciels BIM par la mise en place d’un consortium.
Les solutions aux problématiques juridiques liées à la phase d’aval de la construction
Proposition 7 : Régler contractuellement la responsabilité des acteurs du BIM, des auteurs de la maquette numérique, des éditeurs de logiciel et prestataires de services informatiques.
Proposition 8 : Certifier les données du carnet numérique par la mise en place d’un GIE constitué des acteurs du BIM et d’un spécialiste des données avec l’aide de la CNIL.
Proposition 9 : Proposer la définition et l’adoption par la CNIL d’un Pack de conformité « Bâtiment Connecté » s’appliquant à la vie du bâtiment au profit de l’ensemble de la filière Immobilier.
Proposition 10 : Informer pré contractuellement les habitants ou utilisateurs de la Smart City (avant l’acquisition d’un bien ou d’un service).
Proposition 11 : Labelliser les Smart Grids en fonction de la sécurité des données.
Proposition 12 : Valoriser les données collectées de la maquette numérique, passant par le carnet numérique, les objets collectées et les Smart Grids et la Smart City, par la licence et la mise en place de cartographie de flux obligatoire pour chaque projet.
source : rapport Pican. Retrouvez l’ensemble du rapport en suivant ce lien
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