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REPORTAGE. Après le premier centre humanitaire parisien à la Porte de la Chapelle, Batiactu a découvert le second construit en quatre mois et demi sur la commune d’Ivry-sur-Seine. Son architecte Valentine Guichardaz- Versini, de l’Atelier Rita nous explique son parti pris social et architectural.
Des quartiers conçus comme autant de « villages à taille humaine ». Ici, dans le second centre humanitaire pour migrants ouvert à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), le 19 janvier dernier en présence d’Emmanuelle Cosse, nous sommes loin de l’architecture du site de la Porte de la Chapelle, 18ème à Paris conçu par l’opérateur Emmaüs Solidarité et l’agence Julien Beller Architecte.
Une plate-forme de 4.800 m²
L’opération est située le long de l’avenue Jaurès à Ivry-sur-Seine et au croisement de la rue de la baignade, à proximité de Vitry-sur-Seine. La plate-forme de 4.800 m² a été intégralement construite en quatre mois sur pilotis notamment au sein de l’emprise de l’ancienne usine des Eaux de Paris de 90.000 m². Une particularité : la plate-forme a été construite au-dessus même des bassins filtrants de l’ex-unité de production d’eau potable. Une mission qui a nécessité de construire un radier et des pilotis en moins d’un mois !
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La structure sociale est intégralement construite sur pilotis
« Ici, à Ivry-sur-Seine, nous n’avons pas voulu faire de copier-coller avec la ‘Bulle’ conçue sur le boulevard Ney dans le 18ème arrondissement par Julien Beller, nous explique ce 13 avril 2017, Valentine Guichardaz- Versini, architecte et gérante de l’Atelier Rita, basée dans le 10ème arrondissement. Les deux centres n’ont pas les mêmes vocations, les mêmes usages et voire même les mêmes obligations. En revanche, j’ai dû apprendre à construire en un mois une opération complexe. »
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Construit comme un village divisé en quartiers
Avant d’ajouter : « Plutôt qu’un immense site, nous avons fait le choix de le concevoir comme un village divisé en quartiers. Grâce à un permis de construire précaire n’obligeant pas le recours à la RT 2012, nous avons imaginé pour une durée de 4 ans six îlots de bois pouvant chacun accueillir 67 bénéficiaires, dans des chambres modulables selon la composition de la famille. »
« Ce sont les entreprises Brezillon et Ossabois qui ont mis au point un process de conception de modules construits sur place près de Nancy en voulant s’inspirer des structures modulaires commandées par le ministère de la Défense », ajoute l’architecte.
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Logements modulables entre 12 et 40 m²
« La force de ce projet, c’est d’avoir des logements modulables, poursuit l’architecte. Les chambres, entre 12 et 40 m², sont adaptées en fonction de chaque famille et nous avons prévue d’accueillir des familles de 10 personnes. »
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Huit yourtes
Chaque quartier regroupe à ce jour environ 70 résidents autour de la « yourte ». Huit yourtes servent à la fois de pôles d’activités, de salles de restauration et le lieu d’enseignement. « C’est une structure inspirée de l’habitat mongol, fournie par Yourte & Co où les migrants pourront se restaurer et participer aux activités collectives – ateliers sur la parentalité, formation au droit des étrangers », nous complète Stéphanie Leboyer, directrice de Territoire de l’association Emmaüs Solidarité.
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Une capacité de 400 personnes
Après l’inauguration en janvier, le site a accueilli un groupe de 90 migrants, selon l’association gestionnaire Emmaüs Solidarités, avant d’atteindre progressivement sa pleine capacité à la mi-mars : 400 personnes. « Au total 400 personnes ont été réorientées depuis le centre de pré-accueil qui fonctionne déjà dans le nord de Paris, et 50 places ont été attribuées à des familles roms issues des bidonvilles qui vivent dans la rue à Ivry-sur-Seine », précise l’opérateur social.
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Pour des démarches complexes
Et de nous expliquer l’avenir de ces personnes migrantes : « Ces femmes, ces couples et leurs enfants resteront entre trois et cinq mois dans cette structure. Le temps de formuler une demande d’asile et d’être transférés vers des Centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) pour attendre la fin de leurs démarches. »
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Renforcer les capacités d’accueil existantes
« Le centre dispose aussi d’un pôle santé, géré par l’association Médecins du monde et doté de pédopsychiatres, et d’un pôle administratif dédié aux démarches », détaille Stéphanie Leboyer, directrice de Territoire de l’association Emmaüs Solidarité. A noter aussi qu’une école avec quatre classes a été ouverte en mars dernier pour les enfants.
Héberger des migrants pour une durée de trois à cinq mois
« L’objectif ici à Ivry-sur-Seine est de renforcer les capacités d’accueil existantes, mais aussi d’éviter la formation de campements sauvages en région parisienne, ajoute la directrice. Les familles pour la majorité afghanes (un tiers) et ensuite érythréennes, éthiopiennes, somaliennes sont accueillies pour une période de trois à cinq mois en attendant d’être orientées vers des centres d’accueil pour demandeurs d’asile. La structure propose également un accompagnement pour les démarches administratives et des cours de français. »
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Emmaüs Solidarité « travaille à des améliorations »
Le centre complémentaire situé dans le 18ème arrondissement de Paris fonctionne différemment : il est conçu comme une « bulle » d’accueil, où tous les migrants peuvent se présenter, mais qui n’héberge que des hommes seuls pour une durée maximale de cinq à dix jours avant leur transfert dans des structures adaptées en France.
Depuis son ouverture début novembre, 8.511 ménages ont été hébergés dont 1.617 mineurs isolés, 794 femmes seules et famille et 6.100 hommes célibataires hébergés sur place dans la Halle, conclut l’opérateur social. En complément, 4.517 en sont sortis via une orientation en structure adaptée.
Emmaüs Solidarité « travaille à des améliorations », a insisté la directrice du site. Le rythme des rendez-vous administratifs doit s’accélérer, pour assurer une meilleure rotation d’hébergement.
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Coût du projet: 11,5 millions d’euros
Quant au budget d’investissement du centre d’hébergement Ivry-sur-Seine, il avoisine les 11,5 millions d’euros (Ndlr : coût de construction 9,2 millions d’euros) dont 6,5 millions d’euros de la Ville de Paris et 5 millions d’euros de l’Etat via la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (DRIHL). « Sans les maires d’Ivry, de Paris et la DRIHL, cela n’existerait pas », ont reconnu l’architecte et l’opérateur social.
« Le camp de Grande Synthe n’a pas sa place en France ! », affirment les Architectes de l’Urgence
Après l’incendie qui a ravagé, il y a deux jours, le camp de migrants à Grande Synthe (Région Hauts-de-France), les Architectes de l’urgence considèrent ce jeudi dans un communiqué que « le traitement réservé aux populations migrantes dans ces camps qui induisent des conditions de vie inacceptables, et une stigmatisation permanente, est totalement inadapté aux besoins de ces populations, par ailleurs il est totalement opposé au concept d’intégration. »Avant d’affirmer : « La France n’est pas un pays du tiers monde et il existe des solutions bien plus adaptées et acceptables que de faire des cabanes non pérennes et dangereuses pour accueillir les migrants. La question de la reconstruction du camp de Grande Synthe ne doit pas être un sujet de débat car il est tout à fait possible d’envisager d’autres solutions comme cela a été le cas pour le démantèlement la Jungle de Calais. »
La fondation Architectes de l’urgence a, en effet, déjà expérimenté d’autres possibilités comme l’aménagement et la sécurisation de bâtiments existants et désaffectés (industriels ou autres) pour permettre de mettre à l’abri temporairement mais dignement ces populations, signale-t-elle.