Mamadou Daffe, Apics : ‘’ La ressource humaine sénégalaise est peu considérée’

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Mamadou Daffe, Apics : ‘’ La ressource humaine sénégalaise est peu considérée’’
Mamadou DAFFE – DG d’IDEV-IC

Les ingénieurs conseils seront célébrés ce 11 mai. Même si ces derniers interviennent dans les infrastructures qui sont construites dans ce pays, le président de l’Association des professionnels de l’ingénierie conseil du Sénégal (Apics) considère que leur expertise est peu sollicitée. Dans cet entretien, Mamadou Daffé dénonce la concurrence déloyale des cabinets étrangers avec la complicité de certaines autorités.

Votre cabinet de conseil (Idev-IC) célèbre ses 30 ans d’existence ce 11 mai, quelle sera la particularité de cette journée ?

Idev a décidé de célébrer ses 30 ans. La particularité est que nous avons considéré que 30 ans, c’est à la fois beaucoup et peu. Mais au lieu de célébrer Idev, nous avons décidé de célébrer l’entreprise du génie conseil. Idev est un élément d’un système, d’un secteur du génie conseil qui est nouveau dans le cadre du secteur privé. Nous avons considéré qu’il faut célébrer l’entreprise du génie conseil, la faire connaître du public sénégalais mais aussi du public international.

Après 30 ans d’existence, qu’est-ce que vous tirez comme bilan ?

Si on doit faire une sorte de bilan, nous pouvons répartir notre existence en 3 phases : La première phase concerne les 10 premières années pendant lesquelles nous avons bataillé d’abord pour exercer le métier. Nous avons dû nous efforcer pour pratiquer notre profession. Nous sommes formés dans les mêmes écoles pour la plupart des cabinets étrangers. C’était une phase de genèse et d’exercice d’un métier.

Ensuite, durant 10 ans,  nous avons mis l’accent sur notre participation au marché. Entre-temps, beaucoup de cabinets ont été créés et le tissu de l’entreprise commençait à s’élargir. Il fallait montrer qu’on est capable de participer aux marchés et de fortifier notre expérience. C’était un peu la phase d’adulte.

Enfin, aujourd’hui nous avons 30 ans. Et les professionnels commencent à prendre leurs parts des marchés avec la participation à différents grands programmes de développement du pays. On s’est rendu compte qu’il fallait maintenant organiser la profession. C’est pourquoi nous avons créé l’Association des professionnels de l’ingénierie conseil du Sénégal (Apics). Durant ces 10 dernières années, nous avons mis en place cette structure qui commençait à organiser la profession, nous avons rencontré les autorités pour davantage nous faire connaître pour dire que nous sommes un sous-secteur important du grand secteur privé. Il a fallu s’imposer. Pendant tout ce temps, nous avons participé à d’importantes réalisations de différents projets qui ont marqué le développement économique de notre pays.

Aujourd’hui comment se porte la profession d’ingénieur conseil au Sénégal ?

Elle a fait des progrès dans sa prise en charge. Quand l’Association nationale des consultants sénégalais (ANCS) a été créée, nous avons pensé que cette structure a été portée par des soucis extérieurs. C’est la Banque mondiale qui a un peu favorisé la création de cette association en mettant même un financement à part dans le renforcement des capacités. Mais l’Apics qui est l’association actuelle qui regroupe la plupart des cabinets d’ingénieurs conseils est née de notre propre prise de conscience.  Depuis 2012, nous avons mis en place un bureau qui a élaboré un  plan d’action que nous sommes en train de dérouler. L’Association commence à être assez bien connue, assez bien appréciée parce que rien qu’en 2017, nous avons eu 3 adhésions sérieuses.

Il faut une solidarité entre nous, parce que les cabinets étrangers ayant compris qu’il y a une expertise dans les différents pays viennent de plus en plus installer leurs succursales et nous concurrencer directement. Tant qu’ils étaient à l’étranger, ils ne pouvaient pas concourir au budget national sauf si leur présence est indispensable et prouvée. Si leur présence, du point de vue de l’apport technologique, est nécessaire, en ce moment, ils peuvent aller avec un cabinet sénégalais qui est toujours tête de file. Mais aujourd’hui, des Bureaux sont là, ils ont pris la nationalité sénégalaise de par leurs succursales, ils peuvent être en compétition avec nous au budget national. Aujourd’hui la profession a pris conscience de ça.

Est-ce que ces cabinets étrangers constituent une menace pour vous les nationaux ?

Ah oui ! La plupart de ces cabinets ont, en moyenne, 60 ans et plus d’existence. Ils ont quand même acquis des expériences et des références importantes. Ils ont travaillé partout, ont des références sérieuses. Quand ils viennent en compétition, ils viennent avec leurs experts, leur savoir-faire. Mais nous (les nationaux) avons l’avantage d’être moins coûteux. Là où ils facturent à 8 millions, parfois jusqu’à 15 millions par mois pour un expert, nous, nous sommes à 2 millions jusqu’à 4 millions maxima. Ils peuvent aujourd’hui postuler au budget national comme vous et moi parce qu’ils sont censés payer les impôts et recrutent des Sénégalais. Il y a certains bureaux dont le cabinet s’appelle X, la succursale au Sénégal Y et ils font la combinaison entre X et Y pour postuler aux marchés. Du coup, ils ont l’avantage d’être sénégalais et d’être international. Malheureusement, les textes du Sénégal ne permettent pas d’appliquer la préférence nationale contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. Dans certains pays de l’Uemoa, il faut nécessairement s’associer à des cabinets nationaux pour pouvoir participer à des marchés.  Voilà la véritable menace.

Mais est-ce que vous avez proposé des solutions pour mettre fin à cette situation ?

Nous avons considéré, et nous nous sommes battus pour ça, qu’il faut la préférence nationale. A priori, s’il s’agit du cabinet constitué, l’Etat peut octroyer jusqu’à 5 points. Même certains bailleurs le font. Dernièrement, nous étions dans une compétition où, a priori, la participation des nationaux donne 5 points d’avantages. Partout dans le monde, la préférence nationale est appliquée d’une manière ou d’une autre.

Mais quelles sont les actions que vous avez eu à mener pour faire prévaloir la préférence nationale ?

Lorsque nous tenons des  rencontres avec les autorités, nous faisons passer ce message. Nous avons discuté de ça à l’ARMP (Autorité de régulation des marchés publics) mais le code ne permet pas de le faire. C’est une volonté politique. Si elle n’est pas prise en charge par l’autorité politique, elle ne sera jamais applicable parce que ce sont les pays qui décident souverainement que leurs ressources doivent être dédiées à la communauté nationale avant d’aller ailleurs. Nous nous battons tous les jours à chaque rencontre, conférence, que nous organisons. Mais je considère que l’autorité sénégalaise, de ce point de vue, est trop frileuse pour prendre en charge cette question. Ce qui est dommage. Nous sénégalais, nous ne demandons pas qu’on se replie sur nous-mêmes mais dans n’importe quel secteur privé, on demande à ce que l’Etat choisisse d’abord de faire avec les nationaux. Quand ça dépasse la capacité du niveau national, maintenant on peut s’ouvrir tout en disant que tout ce qu’on connaît comme partenariat, on peut aussi l’instaurer.

L’accès à la commande publique pose souvent problème pour vous les nationaux, quels sont les facteurs bloquants ?

Qu’est-ce qui bloque ?  Actuellement, nous sommes dans un partenariat avec un cabinet international et ce dernier est tête de file. Ce cabinet a déployé, à notre demande, des ingénieurs sénégalais. La dernière fois, nous avons eu une remarque comme quoi le partenaire extérieur n’est jamais présent dans la mise en œuvre des activités de ce marché. Je vous donne cet exemple pour vous montrer un peu la mentalité de certains de nos dirigeants. Ils nourrissent souvent  le complexe des ingénieurs étrangers. Je considère que derrière ce complexe, les gens préfèrent parfois faire leurs deals avec l’étranger que de le faire avec le Sénégalais.

Du point de vue du code, théoriquement, il n’y a pas de blocage si on l’applique normalement. Quand on postule  à un marché, on nous demande le quitus fiscal, le quitus de l’Ipres, celui de la Caisse de sécurité sociale. C’est-à-dire qu’il faut être en règle avec la réglementation, ce qui est normal. Mais souvent, nous sommes  en compétition avec des cabinets à qui on n’exige pas les mêmes papiers. Il y a problème. Il y a donc quelques améliorations à apporter du point de vue de l’application du code des marchés publics. Ce que nous déplorons est que jusqu’ici, la préférence nationale ne soit pas mise dans le processus de sélection des cabinets. Cela me paraît indispensable à l’heure actuelle, surtout qu’aujourd’hui, le problème de l’accès au marché se pose sous plusieurs angles. Les grands cabinets, les grandes entreprises, font des offres spontanées, viennent avec leur personnel, leurs technologies et on ne peut pas leur imposer des cabinets nationaux parce qu’ils viennent avec leur offre. Ainsi, le Pse (Plan Sénégal émergent) est globalement réalisé de cette manière avec le PPP (partenariat public-privé). Quelle est la part qui reste aux Sénégalais qui ne peuvent pas faire des offres spontanées, des PPP parce qu’ils n’en n’ont pas les capacités ?

Donc vous êtes désavantagés par le Pse ?

Totalement. Il y a les grands travaux du grand public qui sont entrepris sous forme de PPP. Du fait des offres spontanées des grandes entreprises internationales qui viennent avec leurs services et leur technologie.

Parlant du Pse, juste après son lancement en 2014, vous aviez émis quelques griefs, notamment le manque de prise en compte de certains acteurs, particulièrement les ingénieurs conseils. Aujourd’hui, après 3 ans de mise en œuvre, quelle analyse faites-vous de ce projet ?

Tout est devenu aujourd’hui Pse. Même si au départ une activité est conçue bien avant la référence du Pse, ce dossier est devenu Pse. C’est une sorte de guichet global. Ce que nous avons considéré qu’il fallait faire avant même la mise en œuvre du Pse, est que le secteur privé national s’approprie le Pse. Nous demandons à l’autorité de considérer que nous sommes dans la conception des infrastructures de ce pays sauf si elle considère qu’elle peut la faire avec d’autres ; ce que moi j’appelle l’expertise importée. Nous sommes des ressources humaines nationales. Il faut faire d’abord avec nous. J’ai mal au cœur quand je considère que la ressource humaine sénégalaise nationale est peu considérée par ceux à qui nous avons confié le mandat de conduire ce pays. C’est l’incognito total. Il faut faire de la politique pour qu’on te considère. Tout le monde ne peut pas être dans la scène politique politicienne même si, par ailleurs, nous avons des positions politiques sur des questions essentielles. C’est le militantisme du travail qui doit l’emporter sur tout, sinon l’émergence se fera avec les autres. Quand elle se fait avec les autres, une bonne partie va chez les autres. Pour qu’il y ait  une véritable émergence, il faut repenser la planification territoriale locale, ensuite régionale et puis  nationale, selon les potentialités de chaque localité.

source : Seneweb

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