Le gouvernement a été élagué, à peine retouché, légèrement remodelé et totalement apprêté pour l’élection présidentielle de 2019. Un exercice effectué via un processus peu lisse. C’est-à-dire sans les automatismes qui découlent de la coutume républicaine très en vigueur dans un contexte consécutif à un scrutin législatif. Un raté ou un contretemps de taille : le Premier ministre démissionnaire – non reconduit immédiatement dans le bureau du chef de l’Etat – a rempilé, moins de 48 heures plus tard, après sa propre déclaration prévoyant la formation d’un gouvernement dans « les jours et peut-être les semaines à venir ». Même si le Premier ministre Mohamed Boune Abdallah Dione n’est pas l’académicien Maurice Druon, il n’ignore sûrement pas que le mot « semaines » (au pluriel) installe, d’emblée, dans une quinzaine de jours et projette dans des mois. Le lapsus étant invraisemblable, on est en face du type de mystère qui ouvre les vannes des supputations et des hypothèses, allant des plus charitables (amateurisme au sommet d’Etat) aux plus accablantes, comme l’ultime défection (pour convenances personnelles) d’une personnalité pressentie ou l’élimination brutale d’un successeur déniché mais handicapé par des casseroles secrètement trainées et tardivement signalées par les services de renseignement. Dans tous les cas de figure, le Président Macky Sall doit mieux apprivoiser les mœurs républicaines, afin d’éviter de tels loupés.
Or donc, à l’issue d’une gestation inhabituellement longue – une quarantaine de jours après les législatives du 30 juillet – la montagne a accouché d’un bébé-souris. Avec une ossature inchangée et une silhouette épargnée, l’ancien gouvernement et la nouvelle équipe gardent un air de famille. Quelques restructurations ont certes concerné la physionomie de l’Exécutif, mais les hommes et les femmes ont, dans l’ensemble, plus glissé que valsé. C’est l’illustration de la discontinuité dans la continuité. Macky Sall pratique l’art d’adjoindre la dissemblance à la ressemblance. Le remaniement léger et le redéploiement timide sont bien mixés. C’est d’autant plus vrai que le Président de l’APR ignore royalement l’orthodoxie républicaine et culbute allègrement le culte de la démocratie dans sa quintessence électorale. Comment comprendre que des ministres qui ont délibérément et courageusement croisé le fer avec l’opposition, figurent dans le gouvernement post-législatif, après un fiasco électoral ? Le courage politique est indivisible. Le test non concluant ou infructueux du suffrage universel, commande la démission volontaire et automatique dans une république non bananière. Tout se passe comme si l’organisation des législatives et la sanction du suffrage universel étaient des péripéties sans importance ni incidence. Pourtant, le scrutin du 30 juillet, a révélé un tableau instructif des rapports de force politiques ; en dépit de sa mauvaise organisation. Dans une démocratie adulte, la perte d’un siège cantonal entraine la démission d’un ministre-candidat. A fortiori, un échec dans une élection d’envergure et d’incidence nationales. Le suffrage est un baromètre sacré dans un système démocratique.
Une anatomie plus poussée du nouvel attelage impose – par-delà les multiples dosages plus ou moins réussis – une pincée de remarques doublement liées à la configuration imprimée à l’Exécutif gouvernemental et à la mission octroyée aux ministres de la république. La nomination du polytechnicien Ali Ngouille Ndiaye se passerait de commentaires, si le départ d’Abdoulaye Daouda Diallo ne résultait pas d’une demande insistante (aux allures de diktat) formulée vigoureusement par l’opposition. Ici, il ne s’agit point de défendre l’artisan de l’inqualifiable foutoir électoral du 30 juillet 2017, sans précédent dans les annales de l’Histoire du Sénégal indépendant et démocratique. Il s’agit, plutôt et précisément, du profond amour de la République qui commande de défendre les principes. Principes qui sont, chaque jour, plus orphelins de défenseurs. A l’apogée du gaullisme, on disait en France : « Ce n’est pas au café de commerce ou à la bourse de Paris qu’on fait ou défait le gouvernement de la France ». A juste raison.
Au Sénégal, la rue, le marché Sandaga et les grand ‘places ne doivent pas remanier un gouvernement digne de ce nom. L’antécédent est corrosif pour les institutions et dégradant pour la gouvernance. Même si les griefs de l’opposition sont du roc, le prestige et la solidité de l’Etat sont en jeu. Bien conseillé, Macky Sall aurait mieux fait de maintenir Abdoulaye Daouda Diallo, durant deux trimestres, tout en nommant un Ministre délégué auprès du Premier ministre (loin du ministère de l’Intérieur) chargé exclusivement des Elections. Evidemment, d’un point de vue purement politicard, Macky Sall boit du petit-lait. Après tout, A. D. Diallo a fait le « sale boulot », le 30 juillet dernier, en jugulant une cohabitation rampante et inquiétante pour la majorité présidentielle. Le sacrifier, maintenant, sur l’autel d’une décrispation superficielle et/ou d’un dialogue cosmétique, est une opération vraiment peu coûteuse et assez payante, pour le chef de l’Etat et de l’APR.
Par ailleurs, la création, l’éclatement et le saucissonnage de certains ministères ne sont pas exempts d’observations. Sous réserve, bien entendu, de l’indispensable coup d’œil sur le libellé du décret qui ventile les compétences entre les départements ministériels et, surtout, fixe clairement les périmètres d’intervention. A ce propos, le Code minier est-il un super-chantier justifiant valablement la création d’un Ministère (plein) des Mines et de la Géologie qui trouverait aisément ses marques dans celui de l’Industrialisation, concept plus dynamique, plus revitalisant et plus inclusif que la démodée Industrie ? Question posée au Président Macky Sall et à la ministre Sophie Gladyma qui sont deux bons géologues. Vivement que les performances grandement attendues dans ce secteur, rendent ultérieurement cette interrogation purement provocatrice et…saugrenue !
Plus impérieux et plus sérieux à ausculter, est l’avènement du Ministère du Pétrole et des Energies renouvelables. Sa création donne corps à une volonté farouche et une option claire, en faveur d’un développement amplifié et solidement adossé à une ressource d’exception : l’or noir. L’ambition est louable. Cependant, l’expérience étant le nom par lequel on baptise nos erreurs et les erreurs d’autrui, les experts sénégalais doivent butiner le passé et le présent pétroliers des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Algérie, l’Angola, le Nigéria et le Tchad. Voire le Venezuela. Autant de pays dont les développements respectifs ont été dopés puis déraillés par le fameux et inflammable pétrole. D’où l’extrême délicatesse des terminologies. Ne fallait-il pas choisir la dénomination : Ministère des Ressources Energétiques ? Histoire d’exorciser, c’est-à-dire, de ne pas tenter le diable ou titiller les démons de la déstabilisation. En effet, le pétrole crée toujours une flambée des espoirs de bien-être chez les populations. Mais, il flambe souvent des pays. Deux exemples, parmi d’autres, en Afrique au sud du Sahara : la tragique sécession du Biafra et la sanglante guerre civile au Congo-Brazzaville, entre partisans de Sassou Nguesso et militants de Pascal Lissouba. Une orgie de violences qui portent les empreintes ou les signatures de grandes compagnies pétrolières. Pas besoin de les citer, elles tiennent le haut du pavé au Sénégal et ailleurs.
Il va sans dire que ce gouvernement post-législatif pue la politique à mille kilomètres, à la ronde. Macky Sall l’a installé sur deux béquilles qui ont pour noms : le pari et l’atout. Réélire le Président de la république, en 2019, est un pari à gagner impérativement pour Boune Abdallah Dione et son équipe. L’atout, c’est le condensé des épines dorsales du PSE, à savoir le TER, l’autoroute Ila Touba censée fasciner Touba et le PUDC qui séduit jusqu’aux Grands Lacs. C’est donc un gouvernement de mission et de séduction. La rupture étant mise sous le boisseau. Entre la coupe (soif de deuxième mandat) et les lèvres (horizon 2019) s’intercale une période qui, courte soit-elle, ne rime jamais avec un fleuve tranquille, dans la vie démocratique et sociale du remuant Sénégal. Avis aux deux têtes de l’Exécutif !
source : Dakar Actu