Le Japon s’apprête à reconduire le Premier ministre Shinzo Abe lors des législatives de dimanche. Mais les électeurs iront aux urnes à reculons : ses mesures économiques – les « Abenomics » – et les scandales politiques en rebutent plus d’un.
Et à la fin c’est le Parti libéral-démocrate (PLD) qui gagne au Japon. Depuis 1955, cette formation de centre droit a dominé presque sans interruption le paysage politique japonais, et les élections législatives du dimanche 22 octobre ne devraient pas faire exception. Le Premier ministre sortant Shinzo Abe, issu du PLD, apparaît bien placé pour battre sa principale concurrente, la gouverneure de Tokyo Yuriko Koike, du Parti de l’espoir.
Mais ce sera un troisième mandat par défaut. La popularité de Shinzo Abe est en berne – à peine au-dessus de 30 % de satisfaction –, et il ne doit sa victoire annoncée qu’à l’effondrement du phénomène Yuriko Koike. Cette dernière avait lancé son nouveau parti le 25 septembre 2017 dans l’enthousiasme général, mais elle n’a pas réussi à se démarquer de “son image très conservatrice et finalement proche politiquement de Shinzo Abe”, souligne Franck Rövekamp, directeur de l’Institut allemand de l’Asie de l’Est et spécialiste du Japon, contacté par France 24. L’électorat s’est ensuite considérablement refroidi lorsque Yuriko Koike a annoncé qu’elle ne comptait pas briguer le mandat de Premier ministre en cas de victoire de son parti pour pouvoir se consacrer pleinement à Tokyo.
Un chômage sous 3 %
Le pire ennemi de Shinzo Abe pour cette élection est donc lui-même et sa politique, notamment les fameuses “Abenomics”. Ce vaste programme économique mis en œuvre fin 2012 et qui repose sur “trois flèches” – relance budgétaire (hausse des dépenses), politique monétaire pour favoriser le crédit (baisse des taux d’intérêt) et réformes structurelles – n’a jamais cessé d’être controversé.
À deux jours du scrutin, bien malin qui pourrait dire avec certitude si les « Abenomics » ont fonctionné. Shinzo Abe soutient que le Japon se porte économiquement mieux grâce à ses réformes. « Il a construit sa seconde vie politique [il avait déjà été Premier ministre entre 2006 et 2007, NDLR] autour de ce programme économique », souligne Sébastien Lechevalier, spécialiste de l’économie japonaise à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), contacté par France 24.
Le Premier ministre n’est pas seul à considérer qu’il a réussi à relancer le pays, qui était depuis les années 90 dans un état de stagnation économique. “La situation économique est bonne : le chômage est à son plus bas niveau depuis la crise financière de 2007 [en dessous de 3 %], le pays vient de connaître son sixième trimestre d’affilée de croissance et la Bourse est au plus haut en onze ans”, rappelle Franck Rövekamp.
Un tableau flatteur, surtout comparé à la situation que Shinzo Abe avait trouvée en arrivant au pouvoir. Le Japon ne réussissait alors pas à sortir de la déflation (baisse des prix) qui, couplée avec le vieillissement de la population et la concurrence d’autres pays asiatiques comme la Chine et la Corée du Sud, empêchait l’économie de croître.
Les oubliés des “Abenomics”
Shinzo Abe a donc réussi là où ses prédécesseurs ont échoué. Et pourtant, à l’étranger comme au Japon, les “’Abenomics’ sont majoritairement perçues comme un échec”, rappelle Sébastien Lechevalier. Le Premier ministre s’était en effet fixé deux objectifs à l’aune desquels il voulait que sa politique économique soit jugée. L’inflation devait atteindre 2 %, mais la hausse des prix tourne autour des 0,7 %, et la croissance s’élever à 2,2 %. Mais le PIB augmente en moyenne de moins de 1 % par an depuis 2012.
La politique du gouvernement n’a pas non plus permis de diminuer les inégalités sociales. Les “oubliés” des « Abenomics » sont de plus en plus nombreux : près de 40 % des actifs ont un emploi précaire (CDD, intérim ou temps partiel). “Le taux de chômage est peut-être bas, mais il n’a jamais été très haut au Japon et ce que les électeurs notent surtout lorsqu’ils reçoivent leur feuille de paie, c’est que les salaires n’ont pas vraiment augmenté depuis près de 15 ans”, souligne Sébastien Chevalier. Les rémunérations stagnent “justement parce qu’il y a une partie de la population, les femmes et les personnes âgées, qui accepte ces petits boulots complémentaires mal payés pour tenter d’arrondir leurs fins de mois”, explique Guibourg Delamotte, spécialiste du Japon à l’Institut nationale des langues et civilisations orientales (Inalco), interrogée par France 24.
Des relations avec l’extrême droite
Alors, certes, comparé à ses prédécesseurs, Shinzo Abe a un bilan économique qui “ne peut pas lui faire de mal politiquement”, reconnaît Sébastien Lechevalier. Mais il est trop controversé pour contrebalancer les autres casseroles que le Premier ministre a accumulées. Il s’est ainsi retrouvé en eaux très troubles, en mars dernier, lorsque les médias ont révélé sa proximité avec le mouvement d’enseignement ultra-nationaliste Moritomo Gakuen, connu pour sa nostalgie de l’époque de l’empire japonais. Un scandale qui a fortement terni l’image du Premier ministre, d’autant plus que Moritomo Gakuen a été accusé d’avoir utilisé ses relations avec Shinzo Abe afin d’obtenir un prix défiant toute concurrence pour l’achat d’une parcelle de terrain destinée à la construction d’une école élémentaire.
En outre, depuis sa campagne pour relancer les centrales nucléaires au Japon, le Premier ministre est aussi perçu comme l’ami du lobby du nucléaire. Dans une société encore traumatisée par l’accident de Fukushima en 2011, ce n’est pas l’étiquette politique la plus flatteuse.
Heureusement pour lui, il n’a pas d’opposition sérieuse. Il doit néanmoins faire attention : un nouveau candidat, Yukio Edano, est en train de monter dans les sondages. Cet ancien du Parti démocrate japonais a lancé un nouveau mouvement, le Parti démocrate constitutionnel, début octobre. En moins d’un mois, il a déjà réussi à attirer 7 % des intentions de vote : c’est loin d’être suffisant, mais reste un signe que Shinzo Abe et ses « Abenomics » sont loin d’avoir conquis les électeurs.