La crémation du corps de Rama IX, mort il y a un an, a lieu jeudi à Bangkok. Un événement national tant le monarque était profondément respecté par ses sujets. Les militaires, qui ont pris le pouvoir en 2014, semblent durablement installés dans le paysage politique.
Un gigantesque crématorium a été dressé devant le palais royal, à Bangkok. Pendant quelques jours ce lieu sera le centre du monde aux yeux des Thaïlandais. Le monument éphémère, d’une hauteur de 50 mètres, représente le mythique mont Méru, Olympe des religions orientales. Autour de lui gravitent symboliquement les quatre continents et les sept océans.
Du mercredi au dimanche, la Thaïlande fait ses adieux au roi Bhumibol Adulyadej, décédé il y a un an. Pour l’occasion, la population, qui respectait énormément les qualités de celui qu’elle considère comme un bouddhiste exemplaire, bénéficiera de jours fériés afin de pouvoir assister aux cérémonies. Tout le monde devra se vêtir de couleur sombre, jusqu’à la télévision, dont la saturation a été réduite de 40% afin de s’approcher du noir et blanc.
Un bouleversement pour les Thaïlandais
Au cours de ces quelques jours d’hommage, le moment le plus important sera sans conteste jeudi, jour de la crémation du corps du roi Rama IX (de son nom dynastique). Celui qui est monté sur le trône en 1946, dont le règne a duré 70 ans, qui est passé au travers de 19 coups d’État, dont chaque rue, chaque carrefour affiche en portrait le visage de cire, s’en ira alors pour toujours. Un bouleversement pour les Thaïlandais qui, dans leur immense majorité, n’ont jamais connu que cet homme sur le trône.
C’est officiellement pour assurer la stabilité de la monarchie que les militaires ont justifié leur coup d’État de 2014, repoussant sans cesse toute éventuelle transition politique: les prochaines élections législatives ont été fixées à novembre 2018. Les débats autour de l’avenir du pays ont été suspendus il y a un an, pendant la période de deuil. Mais «les militaires ont mis ce temps à profit pour avancer, protéger ce qu’ils estiment être nécessaire pour sortir le pays de la crise récurrente qui est la sienne depuis plus de dix ans», estime la chercheuse associée Centre Asie de l’Ifri, Sophie Boisseau du Rocher.
Organiser des élections ne signifie pas renouer avec les prémices démocratiques des années 1990. Ces dernières «sont perçues comme un mécanisme de légitimation, plus que de sélection, selon la chercheuse. La dernière constitution, écrite sur mesure par les militaires en 2016, est un texte qui avalise le pouvoir de fait de l’armée. Il indique que le premier ministre peut être désigné: le général Prayuth se donne les moyens de rester à son poste.» Pour les militaires, le débat démocratique apporte plus de turbulences que de bienfaits, selon cette experte, de sorte qu’ils verrouillent le champ politique.
Mais l’état actuel des forces politiques thaïlandaises permettrait-il seulement un débat? Rien ne le garantit. Le Parti démocrate n’a pas apporté d’idées nouvelles depuis des lustres. Le Pheu Thai, le parti des Shinawatra, riche famille qui a promu une politique populiste appliquée par deux premiers ministres, traverse une phase difficile depuis que la junte est au pouvoir. «Il est compliqué pour cette famille de s’exprimer actuellement», explique Olivier Guillard, chercheur associé à l’Iris et directeur de l’information à Crisis 24. Le premier ministre Thaksin Shinawatra a été renversé en 2006 et est depuis persona non grata dans son pays. Sa sœur, Yingluck Shinawatra, également premier ministre, a elle-même été déposée par les militaires en 2014 et a été récemment condamnée. «Cette famille possède toujours de l’argent, tempère cependant Olivier Guillard. Elle pourrait aisément trouver quelqu’un pour porter leurs idées populistes. Si leur parti se reforme, il y a fort à parier qu’il regagnerait une partie de son électorat.»
Un retour du parti des «Rouges» ne garantirait pour autant pas sa victoire. Loin de là: la junte comporte nombre de supporters dans le pays. «Une recherche sur le terrain montre que la population thaïlandaise, dans sa majorité, soutient le pouvoir du général Prayut Chan-ocha «parce qu’il a remis le pays au travail» et permis une transition monarchique normale, explique Sophie Boisseau du Rocher. J’ai été frappée d’observer que le Thaïlandais moyen, à Bangkok comme en province, est reconnaissant aux militaires d’avoir ramené un calme apparent. La démarcation entre «Jaunes» et «Rouges» est moins marquée et moins instrumentalisée aujourd’hui qu’elle n’a pu l’être dans le passé (Les Jaunes étaient les partisans de l’ordre et pro-monarchie, largement représentés par l’élite de Bangkok; les Rouges étaient quant à eux les partisans des Shinawatra, d’extraction plus populaire, NLDR) . Elle pourrait réapparaître si les demandes de meilleure répartition des richesses n’étaient pas traitées» par le régime actuel.
Face à cette situation, le nouveau roi prend ses marques. La Constitution lui réserve un rôle strictement protocolaire. Les experts soulignent «que l’attachement de la population thaïlandaise à son père explique, entre autres, que Rama X ne bénéficie pas d’emblée, d’un crédit émotionnel». La crémation passée sera signe d’une nouvelle ère, à tous niveaux.