Le directeur général de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas), Lansana Gagny Sakho, dénonce, dans cet entretien, le vol des plaques et la transformation des canalisations en dépotoir d’ordures. Ces comportements irresponsables limitent la performance des réseaux d’évacuation des eaux usées. En dépit de ces actes, il a assuré que les autorités vont continuer à investir dans le secteur afin de réduire les disparités en termes d’accès aux services de l’assainissement.
Vous êtes à la tête de l’Onas depuis quelques mois. Pouvez-vous décliner les nouvelles orientations que vous comptez apporter ?
Nous souhaitons traduire en actes l’assainissement pour un meilleur cadre de vie, au bénéfice de nos concitoyens. Ce travail se fera avec les pouvoirs publics, les partenaires techniques et financiers et l’ensemble des parties prenantes. La concrétisation de cette vision passe par l’amélioration de nos produits et services, une adaptation permanente de notre organisation, le choix des meilleures technologies et systèmes d’information, la valorisation des femmes et des hommes qui, tous les jours, essaient de donner corps à notre organisation.
Avez-vous déjà pris des mesures qui vont concourir à améliorer la performance des services ?
Toutes les études effectuées ces dernières années ont pointé l’énorme décalage entre l’organisation de l’Onas et les missions assignées. A titre d’exemple, si vous prenez les textes de l’Office comme la loi 96-02, elle date du 22 février 1996. Son contenu n’a plus rien à voir avec les missions actuelles de la société. Ces textes constituent, à la limite, un frein. Par conséquent, nous devons nous inscrire dans une perspective de positionner durablement l’Onas dans une stratégie de performance opérationnelle. A cet effet, nos actions majeures seront axées dans une démarche inclusive de transformation de notre organisation qui sera couplée avec une revue obligatoire des textes. Trois axes majeurs seront l’épine dorsale de notre stratégie. Ils tourneront autour de l’élaboration d’une vision partagée liée à nos missions en cohérence avec des stratégies bien définies, la priorisation des aspects liés aux études à la planification qui serviront de boussole à l’ensemble de nos activités. A cela s’ajoute le transfert de l’exploitation au secteur privé, afin que nous nous concentrions sur notre cœur de métier : la gestion du patrimoine.
Comment renforcer la confiance avec les partenaires financiers ?
Le montant des investissements au cours des dernières années montre qu’en réalité il n’y a pas de problèmes avec les partenaires techniques et financiers. Paradoxalement, la dernière étude que nous avons effectuée dans le courant du mois de décembre 2017, dans le cadre du programme des boues de vidange financé par la Fondation Bill & Melinda Gates, a révélé que seuls 50 % des interviewés étaient globalement satisfaits de leur interaction avec l’Onas… C’est donc l’histoire du verre à moitié rempli ou à moitié vide. Les résultats de cette étude doivent nous pousser à faire autrement. Nous savons que des améliorations significatives sont à faire, notamment en ce qui concerne le renforcement du dialogue avec l’ensemble des parties prenantes qui interviennent dans l’assainissement.
Certains projets ont connu des retards dans leur exécution. Par exemple celui de dépollution de la Baie de Hann. Est-ce que le financement est disponible pour le conduire à bon port ?
La volonté politique pour dépolluer la baie de Hann est réelle avec deux Conseils présidentiels et quatre Conseils interministériels qui ont été organisés. L’Onas, de son côté, a assuré, avec une concertation régulière avec les riverains, les indemnisations aux familles affectées, la fermeture totale du point de dépotage de boues de vidange situé dans la zone industrielle et le curage du canal 6. Une première en 50 ans. Il y a aussi la mission de benchmarking effectuée au Maroc et des actions de la Rse au profit des jeunes sportifs de cette baie, si belle dans un passé récent.
Les résistances à la réalisation du projet et les incompréhensions sont dépassées. Une réelle volonté politique, une mobilisation des partenaires au développement, une participation effective des populations riveraines et une équipe technique compétente nous permettrons d’avoir une baie où il est possible de se baigner et de pêcher. Une baie de Hann propre changerait le visage de Dakar. Mais, il faut le reconnaître, depuis 10 ans, nous sommes à un stade de projet, malgré l’engagement très fort de l’Agence française de développement (Afd). Je dois avouer qu’il y a eu des difficultés, mais le plus important, c’est de regarder l’avenir avec sérénité. Nous sommes dans une phase de révision des dossiers d’appel d’offres. Notre objectif est une attribution des marchés de travaux au plus tard en octobre 2018 pour un démarrage des travaux avant le début de l’année 2019.
L’Onas exécute plusieurs projets. Est-ce qu’il y aura des ruptures dans leur suivi et évaluation ?
Je ne sais pas si l’on peut appeler cela rupture, mais le principe de base d’une gestion de projets intègre le suivi-évaluation, surtout quand on fait référence à la criticité de l’assainissement dans nos pays. Ce que je puis vous affirmer est que nous avons récemment recruté un responsable du suivi-évaluation des projets et, tous les mois, un point précis sera fait pour évaluer l’état d’avancement des programmes et corriger les éventuels dysfonctionnements.
La collecte des redevances de l’assainissement était une équation. Avez-vous réfléchi à la mise en place d’une politique de recouvrement plus agressive ?
En réalité, la collecte de la redevance n’a jamais été une équation. C’est le montant de la redevance qui en est une. Sur quelle base rationnelle a-t-elle été fixée ? Le coche a été raté, il y a 20 ans, lors de la première réforme de l’hydraulique urbaine. On a voulu faire plus « facile » sans prendre en compte toute la problématique du secteur (eau-assainissement). Aujourd’hui, je dois vous avouer être « traumatisé » à l’idée d’avoir à incorporer de nouveaux ouvrages dans le patrimoine de l’Onas, simplement parce que je n’ai pas les moyens financiers et humains d’en assurer l’exploitation optimale. C’est toujours la problématique du financement de l’assainissement qui se pose avec acuité. Nous réfléchissons à des pistes de solutions.
Cependant, cette réflexion ne saurait se limiter à trouver les moyens de financer l’assainissement. Il faut passer à une échelle supérieure et commencer à un transfert de l’exploitation à des opérateurs privés et repositionner l’Onas sur ce qu’il devrait être depuis près de 20 ans : une société de patrimoine.
Il y a eu des acquis dans la lutte contre les inondations. L’Onas continuera-t-il de se concentrer davantage sur ces questions ?
Il reste certain qu’il y a eu des améliorations considérables. Nous allons continuer dans cette perspective. Mais, il est important de rappeler qu’il y a plusieurs acteurs impliqués dans la lutte contre les inondations qui travaillent en parfaite synergie. Cependant, devra-t-on limiter l’assainissement à la lutte contre les inondations ? A mon avis, je n’y crois pas, dans la mesure où la grande partie des problèmes est essentiellement liée à des aspects liés à nos comportements. Nous devrions faire une évaluation de ce qui a été fait ces dernières années en termes d’efforts financiers et de résultats obtenus. Cette évaluation pourrait probablement nous pousser à changer d’approche. Il reste toutefois évident que l’on ne peut pas limiter l’assainissement à la lutte contre les inondations.
Depuis 2012, le gouvernement injecte plusieurs milliards de FCfa dans le secteur de l’assainissement. Aujourd’hui, est-ce qu’il est juste de considérer l’assainissement comme le parent pauvre en termes d’affectation des ressources publiques ?
Il ne faut pas se voiler la face. Il est impérieux « d’assainir nos comportements » pour avoir de bons résultats dans ce secteur. Quand les regards des égouts sont volés pour être vendus comme ferraille, quand les canaux d’eaux pluviales sont transformés en dépotoirs d’ordures et les branchements clandestins tendent à devenir la règle, nous ne pouvons pas avoir les résultats escomptés. Tous les regards qui étaient sur la corniche ont disparu. Nous ne pouvons pas avoir un assainissement efficace sans un « assainissement de nos pratiques ». Malgré tout, le gouvernement continue de consentir de lourds investissements au profit du secteur. Ce qui a été réalisé depuis 2012 correspond exactement à la vision de Son Excellence le Président Macky Sall. Des efforts très importants ont été faits avec une logique d’améliorer les conditions de vie des populations.
Il existe cependant des besoins résiduels liés à la croissance des populations dans les zones urbaines, mais surtout à une base de référence qui était pratiquement nulle avant 2012. Les efforts vont se poursuivre et devraient permettre de résorber ces écarts.
Des projets majeurs sont en cours d’exécution à Rufisque, Cambérène, Tivaouane, Touba, Kaolack, Tambacounda, Matam, Saint-Louis, Pikine, Louga, Sédhiou, Ziguinchor… L’année 2018 sera celle des réalisations à porter au crédit du bilan du Chef de l‘Etat qui, je le rappelle, a toujours placé l’amélioration des conditions de vie des populations au cœur de son système de gouvernance.
Entretien réalisé par Idrissa SANE