L’évidence : « Meïssa Diodio Touré », Ce nom est inconnu de la plupart des mourides. Pourtant cet homme est l’un des artisans de l’édification de la grande mosquée Masalikoul Djinan. Meissa Touré est l’architecte qui a conçu le joyau qui fait aujourd’hui la fierté de tous les musulmans, en particulier la communauté mouride.
Sorti de l’école d’architecture et d’urbanisme de Dakar en 1987, M. Touré est un pur produit de l’Ecole sénégalaise. Le numéro 92 sur le tableau de l’Ordre des architectes est celui qui a été invité par le Président Wade à travailler sur le projet qui s’appelait à l’époque la grande Mosquée Mouride de Dakar. A travers cet entretien qu’il a accordé à la Rédaction de L’Evidence, l’homme dévoile le processus qui a conduit à l’édification de ce joyau situé au cœur de Dakar.
Présentez-vous à nos lecteurs
Je suis Meïssa Diodio Touré. Je suis architecte de formation. Je suis sorti de l’école d’architecture et d’urbanisme de Dakar en 1987. Je n’ai jamais étudié nulle part ailleurs qu’au Sénégal. Je suis le numéro 92 sur le tableau de l’Ordre des architectes. J’ai créé mon cabinet en juin 1988. Je suis cet architecte qui a été invité par le Président Wade à travailler sur la mosquée Masalikoul Djinan qui s’appelait la grande Mosquée Mouride de Dakar.
Vous êtes l’architecte concepteur de Massalikoul Jinan.
Pouvez-vous nous expliquer comment est-ce que ce choix a été porté sur vous ?
Le choix porté sur ma personne a été initié par le Président Abdoulaye Wade, et Serigne Saliou Mbacké l’a validé d’abord, ensuite il a confirmé. Le Président Wade avait rencontré le roi du Maroc en Malaisie lors d’un sommet de l’OCI. Il lui a révélé son intention de faire une grande Mosquée à Dakar et a sollicité son aide à faire les travaux de décoration.
Il avait toujours en tête que cette Mosquée c’est à nous de la faire, nous Sénégalais. Maintenant, quand il s’agit de la décoration, il a fait appel à l’expertise des Marocains qui sont de grands artisans, des maîtres. Ils ont l’art de la géométrie depuis des lustres. Ensuite, le roi du Maroc lui a envoyé deux architectes, le Président Wade leur a donné le projet que le doyen Atépa avait fait dans l’intention de le donner gratuitement à la communauté mouride.
Malheureusement, le Président Abdoulaye Wade, quand il a présenté ce projet à Serigne Saliou Mbacké, ce dernier ne l’a pas validé pour des raisons que j’ignore. Moi, à l’époque, Serigne Saliou m’avait demandé de lui faire l’agrandissement de la Mosquée de Touba, d’en faire une dimension telle que d’ici un siècle personne n’aura plus rien à y ajouter. J’ai sollicité son « ndiguël » pour aller à la Mecque, chez les Arabes pour visiter leurs constructions. Il m’a donné l’autorisation, je suis allé à la Mecque puis à Médine pour visiter les mosquées. A mon retour, j’ai entendu parler de ce projet de Grande Mosquée Mouride à Dakar qui est proposé par Pierre Goudiaby.
Donc je n’ai eu aucune réaction si ce n’est de dire Alhamdoulillah. Alors pendant que le Président a reçu les deux architectes, ils sont repartis et il n’y a pas eu de retour pendant neuf mois. Un jour, il est parti à Touba pour rendre visite à son marabout Serigne Saliou et il est passé par Djanatoul Makhwa et il a trouvé une mosquée en construction avec un style turc. Ça lui a vraiment plu. Il pensait que c’est des Chinois qui l’on fait mais son aide de camp, le colonel Cissokho lui a dit non ce n’est pas des Chinois mais plutôt votre architecte M. Touré. Il lui a dit de m’appeler. Il m’a demandé si c’est moi qui ai fait cette mosquée, j’ai répondu oui. Il m’a dit pourquoi tu ne m’as pas parlé de cela ? J’ai répondu : « Tout ce que je fais pour vous je n’en parle qu’avec vous monsieur le président et tout ce que je fais pour Serigne Saliou je n’en parle qu’avec lui ». Il m’a dit : tu as raison, demain matin à la première heure viens me trouver au Palais. Une fois au palais, il m’a dit d’aller au Maroc pour me renseigner sur les deux architectes parce qu’ils n’ont pas donné des nouvelles, je lui ai dit qu’il me faut les directives et l’autorisation de Serigne Saliou. Il me dit d’aller le voir.
Je suis parti à Touba. Le Saint homme m’a reçu et nous avons discuté devant Serigne Moustapha Abdou Khadre l’actuel Imam pour les prières de l’Ai del Kabîr et l’Ai Del fitr. Il m’a donné ses directives notamment sur le nombre de minarets, sur la dimension de l’ouvrage etc. Car, selon lui, une mosquée doit refléter la grandeur de la ville où elle se trouve. Donc je dois faire en sorte que la mosquée reflète la grandeur de la ville de Dakar. C’est comme ça que je suis rentré dans ce projet.
Quand on m’a mis dans ce projet, j’ai commencé à sortir pour faire le tour du monde parce que nous autre Sénégalais nous sommes des musulmans mais il y a des gens qui ont beaucoup plus de culture islamique dans la chose décorative que nous. C’est une question qui date de très longtemps. J’ai commencé à faire le tour du monde. Je suis parti au Maroc, en Turquie, en Iran, à Dubaï, à Abu Dhabi… Je suis allé un peu partout pour visiter leur construction.
Ainsi, j’ai travaillé pendant 15 ans dans cette mosquée. La construction nous a pris 8 ans et ces 8 ans reflète un peu les 8 ans que Serigne Touba a fait au Gabon. Ça n’a pas été calculé ni planifié. On s’est rendu compte au finish que les travaux ont duré 8 ans.
Comment est-ce que le terrain a été acquit après que le projet soit fait ?
Quand nous avons commencé à construire sur le premier terrain qui était une acquisition de la communauté mouride et portée par le Khalife Général Serigne Abdou Ahad Mbacké. Nous avions commencé le projet sur le site et nous nous sommes rendu compte que le projet par rapport au plan qui nous a été remis par les services du Cadastre, il y avait un tombeau qui n’était pas signalé. Ce tombeau était celui d’un chérif de la famille des Aïdara qui a été assassiné dans les événements de 88-89. A l’époque c’était Serigne Seydou Nourou Tall qui était le Khalife de Cheikh Omar Tall. Il avait envoyé Thierno Mountaga Tall pour qu’il aille l’enterrer. Quand Thierno Mountaga est venu, il a vu que le corps du chérif était découpé. Automatiquement, il a dit que cet individu est « sayyid » et c’est ici sa place. Ils l’ont enterré dans sa chambre, là où il a résidé pendant 60 ans. Et lorsque moi je suis entré dans le projet, j’ai commencé le chantier et on avait même donné 300 millions à la CDE et on a comme à poser nos chaises. Malheureusement on a buté sur le tombeau. La famille a complètement refusé de faire déplacer le tombeau, elle s’en est farouchement opposée, « on l’a tué depuis 1988 et personne ne nous a dit qui l’a tué », dit-elle. Ils ont remblayé tous les trous que nous avions creusés. J’en ai parlé au Président Pape Diop pour qu’il vienne régler le problème, il m’a dit que lui il ne recevra personne et le Président Wade non plus. Je lui ai écrit ainsi que le Président Wade, personne n’a répondu. C’est ainsi que j’ai arrêté les travaux et j’ai fait une injonction à l’entreprise l’interdisant de couler un seul morceau de béton. A l’approche de la Korité, le président Wade m’a appelle au palais et il m’a demandé où est ce que j’en étais avec la mosquée.
Je lui ai dit : Monsieur le Président, j’ai arrêté le chantier. Il m’a dit quoi ? Ça va pas non ? Mais la Korité c’est dans quelques jours et tu me dis que tu as arrêté le chantier. Je lui ai dit mais monsieur le président il y a un tombeau dans l’enceinte de la mosquée, j’ai écrit à Pape Diop, il ne m’a pas répondu. Je vous ai écrit aussi vous n’avez pas répondu. Je ne peux pas rester sur place jusqu’à ce que des communautés religieuses s’entretuent. Il m’a dit : « mais quand est-ce vous m’avez écrit ? », il a appelé la secrétaire. Cette dernière lui a dit : « monsieur le président certainement vous l’avez oublié mais il a écrit et je vous l’ai présenté et vous avez écrit une note là-dessus ». Il a dit : « Ah bon je ne me rappelle pas…et tu dits que Pape Diop n’a pas réagi ? » Il m’a dit de parler à Mbackiyou Faye, j’ai répondu que je ne sais pas qui est-il, et il n’a pas de prérogative sur ce projet. Il est juste l’ancien maire de Grand-Dakar et membre de la communauté « Gouye » Mouride mais moi je ne reçois des ordres de lui.
Le président Wade a ainsi appelé Pape Diop et c’était chaud. Et puis il m’a dit : « vous pouvez rentrer chez vous je vais convoquer une réunion ». Il a convoqué une réunion avec la famille de Cherif qui était au nombre de 8, il y avait lui, le Président Pape Diop, le ministre Madické Niang, le directeur de cabinet Zakaria Diaw, le directeur de cabinet politique Babacar Gaye et moi-même. Il a demandé à Abdoul Aziz Sy Junior de venir présider la réunion. Il y avait également un représentant de la famille. Il y avait enfin Mbackiou Faye, mais la famille du chérif ne voulait pas qu’il participe. Elle a menacé de bouder si jamais Mbackiyou assistait à cette réunion.
Finalement, le Président Wade lui a demandé de sortir. Lors de la réunion, la famille a campée sur sa position, elle a dit qu’on peut prendre toutes leurs maisons et terrains mais elle ne laissera personne touché au tombeau de leur parent, surtout les femmes qui pleuraient de chaudes larmes. Le président a posé la question à Abdoul Aziz Sy Junior à savoir « entre un tombeau et une mosquée si on doit déplacer un, qui est priorité entre ces deux-là ? ». Alors que Junior a répondu : « Avant-hier, lorsque le tombeau de l’une de nos tantes dans le Walo commençait à être englouti par les eaux, nous avons déplacé le corps vers un endroit plus convenable. Si les eaux seulement ont pu justifier le déplacement un tombeau alors que dire d’une mosquée, un lieu de culte ? ». Je pense donc que le tombeau doit être déplacé pour laisser place à la mosquée.
Le président s’est tourné vers moi et il m’a demandé si devait déplacer le tombeau comment vais-je faire ? Après avoir expliqué la stratégie je compte employer sans même toucher aux os, il était étonné. Il m’a dit : « même moi je croyais que vous alliez prendre les os un à un et les déplacer… et il s’est tourné ensuite vers la famille et leur a dit ceci : « nous allons tout financer et mieux nous allons vous donner des terrains et financer les constructions de votre institut islamique… ». Elle a dit niet personne ne touche à leur parent.
Le président Wade a mis fin à la réunion et m’a ordonné d’étudier la mise en œuvre mon projet. Après avoir fait les études avec le géomètre, nous constaté que le tombeau se trouve juste à l’endroit où l’Imam se met. J’étais avec l’un des membres de la famille malheureusement elle est restée sur la position. Une fois chez le Président Wade je lui ai exposé les résultats de nos études. Il m’a demandé si la famille a accepté, j’ai répondu non mais je peux faire en sorte que nous puissions avoir la mosquée sans toucher au tombeau. Il m’a dit « moi Abdoulaye Wade je ne veux pas créer des problèmes entre les familles religieuse et demain s’il y a un malentendu ils diront tous que c’est à cause de moi. Je refuse, il faut me chercher un autre endroit pour la mosquée. Je lui ai suggéré de contacter le directeur du Cadastre et celui des domaines Tahibou Ndiaye et Ibrahima Wade qu’ils viennent nous trouver dans son bureau. Il les a contactés et je suis parti avec eux dans le siège du cadastre où ils m’ont donné toute la situation du cerf-volant ainsi que tous ceux qui ont des beaux sur le site. C’est par la suite que j’ai refait le plan d’aménagement, j’ai défini la situation ainsi que toute la voirie. J’ai implanté la mosquée sur 4 hectares, 40 milles mètres carrés. Ensuite il restait 1 hectare 800 devant. Quand j’ai présenté ça au président Wade, il m’a dit « Voilà ça c’est bien…et ce qui est là devant c’est quoi ? » Je lui ai dit que c’est le conseil régional qui était devant avec d’autres parcelles. Il m’a dit de tout raser et d’y mettre la résidence Cheikhal Khadim avec l’institut Islamique dont je lui ai déjà parlé, ce que j’ai fait pour que si le Khalife vienne à Dakar, qu’il puisse avoir un espace dans sa mosquée où il peut résider avec toutes les dépendances qu’il faut et tout ce qui est sécurité. Mais aussi pour que si un Emir, un Roi ou un Président vient ici qu’on puisse le loger là-bas. C’est à ce moment que le Khalife Mohamadou Lamine Bara est venu pour qu’on fasse la pose de la première pierre. Quand ceci a été fait les gens discutaient d’un cinquième minaret. Le Khalife quand il est rentré, Serigne Fallou Mbacké qui était l’ancien Imam m’a appelé pour me dire que le khalife ma remis son téléphone pour que tu l’appelles. II a besoin de vous parler. J’ai appelé et il m’a dit : « J’aimerai qu’on inclue le cinquième minaret dans le projet ». J’ai donc reformulé tout le projet pour mettre le cinquième minaret au milieu. C’est comme ça que Massalikou Djinane ressemble à la mosquée de Touba. Ça n’a pas été quelque chose que l’on avait pensé avant mais ce sont des circonstances qui ont amené à cette ressemblance.
Aujourd’hui Massalikoul ne peut être autre comme il est. On a travaillé avec souffrance et « Ndigeul » jusqu’à la réalisation. Voilà l’histoire de ce cinquième minaret. Serigne Bara n’ayant fait que 30 mois au Khalifa, Cheikh Sidy Mokhtar est venu. Un mois après son installation, je suis allé le voir. II m’a reçu à 23 h je lui ai rendu compte de tout ce que je faisais avec Serigne Saliou Mbacké, Serigne Bara et le Président Wade. Et je lui ai dit que je gère tout ce qui concerne l’aspect technique. En ce qui concerne les aspects financiers, le Président Wade a demandé à Mbackiyou Faye de les prendre en charge. Le Khalife m’a demandé d’appeler Mbackiyou. Quand je suis sorti, je l’ai appelé pour lui dire que le marabout a demandé de nous voir seuls. Il est venu et nous avons parlé pendant une heure d’horloge. Je ne suis pas un politicien, mais on ne peut pas ne pas rendre un grand hommage au Président Abdoulaye Wade qui a beaucoup fait pour que cette mosquée puisse voir jour.
Lorsque les travaux ont démarré, les études ont montré que 8 mètres au sol n’étaient pas viables pour la construction de la mosquée. Nous avons donc opté pour la refondation profonde. On n’a utilisé plus de 1000 des micro-pieds pour régler le problème du sol. L’entreprise CDE nous avait demandé 120 000f par mètre linéaire. Je suis parti voir un de mes amis, Omar Guindo qui travaillait à l’AGTIPE, il a accepté de nous faire les pieds à 40 000f le mètre linéaire. Le tout à 500 millions ce qui nous a permis de faire 700 millions d’économie. C’est parce que Omar Guindo est un talibé mouride qu’il a accepté de nous réduire le coût. C’est pourquoi il obtenu la bénédiction de Serigne Mountakha Mbacké.
Selon vous quelle est la capacité d’accueil de cet édifice ?
C’est Serigne Saliou Mbacké qui l’avait défini dès le départ. La mosquée a une esplanade pour qu’elle puisse respirer. La salle de prière des hommes peut accueillir 5000 jusqu’à 8000 personnes selon le positionnement des tapis. Pour les femmes à priori c’est 2000 personnes à 4000. La mosquée pouvait contenir plus mais pour plus de sécurité on a maintenu ces chiffres parce qu’il fallait prendre en charge certain aménagement. II y a deux salles d’apprentissage coranique. Il y a également deux locaux techniques pour vidéo surveillance et électricité. Des caméras drones sont à l’intérieur pour faciliter le travail à la presse, une régie télévisuelle et audiovisuelle.
Peut-on savoir le coût ?
Je m’abstiendrais de répondre à cette question pour la bonne et simple raison que la mosquée a été gérée par deux méthodes parallèles. La première, il s’agit des appels d’offre avec des entreprises, c’est ce que j’ai géré. L’autre méthode ce sont les finances que je ne connais absolument pas. Les dépenses que nous avons fait tourne autour de 5 milliard FCFA maintenant les autres milliards dont on parle je n’en sais rien, il faut demander à Mbakhiyou Faye.
Quels sont vos sentiments en tant que Sénégalais d’avoir conçu un édifice religieux aussi fascinant ?
Un sentiment de satisfaction. Mais cela ne me donne pas une grosse tête. Heureusement que je ne suis plus un jeune parce que si j’avais construit cette mosquée à l’âge de 30 ans peut être que j’aurais eu la grosse tête. Je l’ai réalisé à un âge mûr, à 50 ans et plus. Cependant, ma satisfaction ne vient pas de l’œuvre mais plutôt de la chance que le Khalife Général des mourides m’ait confié ce travail. Serigne Saliou m’a permis de travailler pour Serigne Touba et il m’a laissé avec mes compétences. C’est une très grande fierté pour moi. J’ai eu la chance d’être un contemporain de Serigne Saliou Mbacké mais également du président d’Abdoulaye Wade qui a des envies d’adolescent. II n’a pas de limite dans la grandeur des choses, il n’a peur de rien. C’est ce qui explique la réalisation de cette mosquée.
Par Sadio FATY