Ecaille de reptile, pomme de pin ou aile de libellule… Les architectes sont de plus en plus nombreux à s’inspirer des formes naturelles. Pour des raisons écologiques autant qu’esthétiques.
Vu du ciel, l’air de famille est difficilement contestable : agrandi et repensé par l’architecte Jacques Rougerie – qui se qualifie de « mérien » (habitant de la mer) –, Nausicaá, le nouvel aquarium de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), ressemble à une gigantesque raie manta. En 2019, c’est l’aéroport de Pékin conçu en forme d’étoile de mer par Zaha Hadid qui sera inauguré. L’année d’après, Nanterre prendra des airs d’archipel, avec le projet Origine : plus de 70 000 mètres carrés de logements, boutiques, bureaux et une crèche, répartis sur trois îlots imitant les bancs de récifs coralliens. « Tout est parti d’une magnifique photo en noir et blanc d’îlots indonésiens. Je voulais que les constructions d’Origine se fassent tantôt récifs, tantôt icebergs, qu’elles jouent le rôle de refuges “naturels” pour les urbains », explique Maud Caubet.
« On a enfin arrêté de nous prendre pour des utopistes. Nous avons démontré que ces constructions bio-inspirées dopent la performance énergétique. » Vincent Callebaut, architecte
Pour Bagnolet, l’architecte travaille également sur Live, un bâtiment aussi arrondi qu’un galet, recouvert d’une peau métallique de plus de 3 000 éléments, « exactement comme un lézard avec sa multitude d’écailles ». La liste pourrait être encore bien plus longue, tant les architectes ont tendance à puiser leur inspiration dans le vivant.
Ce biomimétisme consiste à imiter le génie de la nature non seulement dans ses formes, mais aussi dans ses propriétés énergétiques. Certains projets pionniers avaient marqué les esprits début 2000. Parmi eux, le Centre d’arts de Singapour, recouvert de sortes de « piquants de hérisson » : DP et Michael Wilford sont partis de la peau d’un fruit exotique peu attirant, le durian, pour thermoréguler naturellement le bâtiment. Le Belge Vincent Callebaut a fait de ce type de projets sa signature : il a conçu une résidence aux allures de termitière qui sera livrée au Caire en 2019 ; ses fermes verticales qui s’inspirent des ailes de libellule ont marqué les esprits et pourraient être implantées en plein New York.
Mais son plus gros chantier prendra fin cet été à Taïwan : il s’agit de la tour Tao Zhu Yin Yuan, dont la forme en double hélice reprend celle d’une molécule d’ADN. Cette torsion inédite permet aux arbres des balcons de pousser en plein ciel et non pas à l’ombre de l’étage supérieur. « Les 23 000 arbres présents sur le sol et les balcons pourront absorber 130 tonnes de CO2 par an à Taïwan », affirme l’architecte. Avant de soupirer, satisfait : « On a enfin arrêté de nous prendre pour des utopistes. Nous avons démontré que ces constructions bio-inspirées dopent la performance énergétique, et la demande devient forte en Europe. »
Vivre en symbiose avec la nature
Si, à présent, les promoteurs s’enthousiasment, Vincent Callebaut estime que « le grand public, lui, est prêt depuis longtemps. C’est dans ces constructions innovantes, en symbiose avec la nature, que les urbains de 25 à 35 ans veulent vivre ». Ce ne sont pas les quatre architectes et paysagistes de l’Atelier Georges qui le contrediront. Ces trentenaires ont fait de ce « retour à l’ingéniosité et à la simplicité de la nature » leur leitmotiv dans l’urbanisme. « La réutilisation de certains concepts organiques peut surprendre. Les gens parlent d’une architecture “gratuite”, qui ne crée pas de valeur, or c’est le contraire », explique le paysagiste Mathieu Delorme.
Jusqu’à récemment, en effet, le biomimétisme était considéré comme un délire d’architecte à visée strictement esthétique et souvent trop coûteux. Les temps ont changé. Ainsi, le collectif Atelier Georges a été colauréat du concours baptisé Inventons la métropole du Grand Paris, avec le projet Ecotone, un bâtiment biomimétique qui sortira de terre en 2023 sur une colline d’Arcueil (Val-de-Marne) : les parois du bâtiment, sorte de grand épiderme vivant, s’ouvriront selon la météo, à l’image des écailles d’une pomme de pin. Une épaisse couverture végétale recouvrira le bâtiment en été et laissera filtrer le soleil en hiver, comme les fourrures d’animaux qui s’affinent ou sont plus fournies au fil des saisons.