La presse française, à commencer par Le Monde et Le Parisien a publié des portraits dépourvus de toute distance de Piotr Pavlenski, le personnage trouble qui a diffusé la vidéo sexuelle de Benjamin Griveaux. Une dérive inquiétante qui dessert l’image des médias.
Pouvait-on seulement le prévoir? Depuis quelques jours, un certain nombre de journaux, et pas des moindres, Le Monde et Le Parisien notamment, se sont découverts une nouvelle figure de proue. Les deux quotidiens publient en effet des portraits quasi énamourés, dépourvus de toute distance, de Piotr Pavlenski le personnage au moins trouble qui a diffusé la vidéo sexuelle de Benjamin Griveaux- par ailleurs piètre candidat à la mairie de Paris, mais là n’est pas la problème.
Il serait aisé, face à une telle (et sinistre) réalité, d’aligner les adjectifs grandiloquents- stupéfiant, effarant, effrayant, scandaleux… Mais il est essentiel de comprendre plutôt que de s’émouvoir : que se passe-t-il au juste dans la société française et dans ses médias pour que Le Monde, notre quotidien » de référence « , et Le Parisien, notre journal populaire du matin, mettent en scène Pavlenski en » artiste « , en » performeur » selon le qualificatif en vigueur parmi les » branchés « . Et cela sans la moindre distance. Une » performance « , la dénonciation de Griveaux? C’est ce qu’on croit comprendre à la lecture de ces longs articles. » L’artiste explique au Monde « , souligne notre confrère qui avait pourtant publié une première enquête d’une incontestable sévérité. « L’artiste russe qui a divulgué en toute illégalité une vidéo intime de Benjamin Griveaux (…) se livre et se raconte. Sans concessions »: voilà le sous-titre quasi admiratif du Parisien. » L’artiste « , et non pas le délateur; » l’artiste » et non pas le voyou; » l’artiste « , et non pas le voleur puisqu’il revendique haut et fort avoir dérobé la vidéo à sa compagne.
« Lanceur d’alerte » : un mensonge
Certes la délation est un » art « . Un » art » crade et tout d’exécution. À ce titre, Pavlenski est un » artiste » confirmé: la cible- humaine cette fois – a été atteinte, pulvérisée, détruite. Une vidéo, comme une balle, en pleine tête. Tué net, Griveaux. A-t-on encore la possibilité sans passer pour un rabat-joie d’émettre l’hypothèse selon laquelle » cafard 2.0 » eut été plus approprié qu’ » artiste » ou » performeur « ? Mais non car, dès lors qu’est désormais évoqué le personnage Pavlenski, le ton, l’écriture, les commentaires varient entre rigolade, ironie et admiration (un peu). Le dégoût par exemple n’est pas de mise. Convenons-en: nous ne nous attendions pas à pareil engouement en faveur de cet » artiste » dont l’humanisme et le respect de l’autre ne sont pas las premières vertus.
Par ailleurs est-il seulement concevable que des journalistes confirmés, des confrères de grande réputation et à juste titre, se prêtent eux aussi à la dialectique meurtrière de la confusion: un délateur n’a rien de commun, rien, avec un » lanceur d’alerte « . Pavlenski, » lanceur d’alerte « … Une insulte pour tous ceux qui ont pris tant de risques, jusqu’à la privation de liberté, pour » sortir « , pour débusquer, des informations parfois aussi essentielles que dissimulées. Par définition, les journalistes travaillent avec les mots. Les lecteurs sont donc au moins en droit d’exiger que nous utilisions le bon vocabulaire. Pavlenski » lanceur d’alerte « , c’est un mensonge, une duperie, un contresens.
Le sauveur de Macron
Il y a plus désastreux encore: Pavlenski procéderait à des » performances politiques » (Le Monde), à de « l’art politique » (Le Parisien). Si, si… Ces médias, si on poussait le ridicule jusqu’au bout, pourraient comparer son travail à » Guernica « , le chef d’œuvre de Picasso. Comme si l’on pouvait percevoir la moindre geste, le plus infime démarche artistique dans un acte de mouchardage heureusement condamné par la loi, car depuis les Lumière on sait que le droit au jardin privé, à la part de mystère de l’humain, est une condition de la liberté.
Certains vont plus loin dans le mal-raisonnement: Pavlenski aurait » dynamité le cours de l’élection à la mairie de Paris « . Cette analyse est erronée: le mouchard a précipité la chute de Benjamin Griveaux et provoqué un scandale, mais le processus démocratique suit son cours sans la moindre anicroche. On pourrait même ajouter qu’en favorisant l’entrée en lice d’Agnès Buzyn, il a peut être sauvé Emmanuel Macron du naufrage parisien. Alors que son avocat- agitateur se rengorgeait qu’ils aient ensemble coulé le président de la République! Voilà des » peintres du dimanche » en politique, des amateurs tant ils sont maladroits.
Alors pourquoi cette volonté de politiser l’action du Russe? Pourquoi ce refus obstiné de le définir comme un voyou aux méthodes répugnantes ? Pourquoi tant d’indulgence? Pourquoi tant de laissez-faire? Pourquoi affecter de prendre au sérieux les plus invraisemblables fariboles qu’il raconte, par exemple au sujet de sa compagne pour mieux inventer de toutes pièces un couple « à la Bonnie and Clyde « ? La réalité: avec la complicité de » l’avocat » Juan Branco, Pavlenski a commis un sale méfait contre un homme et sa famille, il raté son véritable objectif, Emmanuel Macron et, en allié objectif, il a renforcé l’extrême-droite car le type de désordres qu’il affectionne tant ne fait que renforcer les plus anti-démocratiques partisans de l’ordre. Bref, Piotr Pavlenski n’est pas un héros, mais un zéro.
source : Découverte Challenge