PARCOURS. Depuis l’épidémie du Covid-19, le philanthrope chinois renforce sa présence sur le continent, au point d’être parfois assimilé à un ambassadeur.
Par Agnès Faivre
« L’Afrique peut avoir une longueur d’avance sur le coronavirus. À chacun des 54 pays africains, nous allons donner 20 000 kits de test, 100 000 masques et 1 000 combinaisons de protection et visières au personnel soignant. » Ce tweet de Jack Ma date du 16 mars. Alors que l’on dénombre à cette période moins de 500 cas de coronavirus en Afrique, le créateur de la plateforme d’e-commerce Alibaba, désormais à la tête de la Fondation Jack Ma, est déjà sur le pont. Le 22 mars, le matériel promis est débarqué d’un avion-cargo d’Ethiopian Airlines à l’aéroport Addis-Abeba, avant d’être acheminé à travers le continent par la compagnie aérienne éthiopienne. « Jack Ma est, avec la Chine, le donateur le plus visible au Kenya jusque-là », observait dans un entretien au Point Afrique la politiste Nanjala Nyabola le 7 avril. Et ce n’est qu’un début. Ce même jour, les fondations Jack Ma et Alibaba annoncent une nouvelle livraison de matériel médical en Afrique, contenant en sus des respirateurs artificiels.
Les deux fondations ont aussi créé, avec l’appui d’Alibaba Cloud Intelligence et Alibaba Health (branches data intelligence et santé du groupe Alibaba), un centre de consultation médicale en ligne sur le Covid-19 ouvert au personnel de santé du monde entier. On y trouve notamment un outil de séquençage du génome qui permet de dépister le virus en 14 heures – contre deux jours en général. À destination des soignants, enfin, gratuit et téléchargeable, un manuel de prévention et de traitement du Covid-19 a été élaboré dans une vingtaine de langues, dont le haoussa et le kiswahili.
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Au nom de la coopération Sud-Sud
La rapidité avec laquelle le philanthrope Jack Ma a mis en route un plan d’aide internationale – dont l’Afrique n’est certes pas l’unique récipiendaire mais fait l’objet d’une attention particulière – contraste avec l’inertie des pays occidentaux, aux prises avec une catastrophe sanitaire. Ce n’est que récemment, le 8 avril, que la France a annoncé une aide de « près de 1,2 milliard d’euros » pour lutter contre la propagation du Covid-19 sur le continent. La veille, l’Union européenne s’engageait à garantir 15 milliards d’euros aux pays les plus vulnérables du continent. L’ONU, de son côté, réclamait le 30 mars 2 500 milliards de dollars pour affronter la pandémie dans les pays en développement, incluant un gel du remboursement des dettes.
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Une solidarité internationale que les actions des fondations Jack Ma et Alibaba font donc, pour l’heure, passer en arrière-plan. Mais l’action du milliardaire, « combinée à l’aide de la République populaire de Chine, souligne aussi de manière écrasante la rhétorique selon laquelle la Chine aide l’Afrique en cas de besoin, ce qui est une démonstration claire de la solidarité Sud-Sud constamment prêchée par la Chine à ses homologues africains depuis les années 50 », analyse Richard Aidoo, maître de conférences à la Coastal Caroline University, en Caroline du Sud. Au Ghana, pays d’origine de ce politologue résidant aux États-Unis, les liens avec Pékin remontent au traité d’amitié sino-ghanéen signé en 1961, six ans après la conférence de Bandung dont émergeait le Mouvement des non-alignés.
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Jack Ma, « électron libre »
Pour qui roule donc Jack Ma, généreux bienfaiteur de 56 ans, dont les plans d’aide liés au coronavirus s’enchevêtrent à ceux de la Chine ? Membre du Parti communiste chinois, reçu en grande pompe dans les capitales africaines lors de ses déplacements, le fondateur du géant du commerce en ligne Alibaba est-il inféodé à Pékin ?
Pour Thierry Pairault, sinologue et spécialiste de la Chine moderne et contemporaine, il faut surtout le voir comme « un électron libre ». « Il jouit d’une grande liberté d’action et de mouvement, puisqu’il a de l’argent [Jack Ma est la deuxième fortune chinoise, NDLR], et lorsqu’il agit à l’extérieur, en particulier en Afrique, il n’est pas mandaté par Pékin », insiste le directeur de recherche émérite (CNRS-École des hautes études en sciences sociales). Et d’établir un parallèle avec l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale Justin Yifu Lin, fort lui aussi d’une notoriété internationale : « Ces personnages jouent un évident rôle de VRP pour les entreprises chinoises lors de leurs déplacements à l’étranger, mais il serait faux de les assimiler pour autant à des ambassadeurs de Pékin. Ce sont eux qui décident des actions qu’ils mettent en œuvre. » S’il n’entreprend rien qui s’opposerait aux intérêts chinois, Jack Ma suivrait donc au premier chef un agenda personnel.
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Et en Afrique, il « capitalise sur son expérience et sa vision dans le secteur numérique. À cet égard, le continent lui offre la possibilité de recréer un empire », complète Thierry Pairault, en allusion à son départ de la présidence du groupe Alibaba en septembre 2019, dans des circonstances encore floues.
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Pari sur les entrepreneurs de la tech
Le 16 novembre 2019, Jack Ma est à Accra, capitale du Ghana. « C’est ma quatrième visite en Afrique, mais c’est la plus importante », commence-t-il lors d’un show retransmis à la télévision. Deux ans après son premier séjour sur le continent, il s’apprête à attribuer un prix d’un million de dollar à des « héros des affaires africains ». L’épilogue d’un programme de soutien aux entrepreneurs du secteur de l’innovation (Africa Netpreneur Prize Initiative, ANPI) initié par sa fondation. Dix mille compétiteurs africains sont en lice en 2019. Seuls dix d’entre eux se partageront la récompense. Pour cette première édition du concours, il est venu accompagné d’éminentes personnalités, parmi lesquelles l’acteur chinois Jet Li ou le Sud-Coréen Ban Ki-moon, ex-secrétaire général de l’ONU.