Jair Bolsonaro se tire une balle dans le pied en acceptant de se séparer d’un allié de poids comme l’ancien juge anticorruption Sérgio Moro, qui devient son principal rival. Mais la peur a été plus forte que la raison, estime cet éditorialiste.
En poussant le ministre de la Justice Sérgio Moro à la démission [le 24 avril], Jair Bolsonaro vient de tourner le dos à la moitié de ses soutiens politiques, de fournir au Congrès des munitions qu’il pourra utiliser contre lui pour la procédure d’impeachment qui semble de plus en plus probable et, par-dessus le marché, de renforcer Moro lui-même, son plus redoutable adversaire à la prochaine présidentielle. Pourquoi se tirer ainsi trois balles dans le pied ? Et pourquoi aujourd’hui ?
Avant les hypothèses, revenons aux faits. Selon l’analyse réalisée par le cabinet Arquimedes [le jour de la démission de Moro], dans cette arène politique qu’est Twitter, Bolsonaro s’est retrouvé isolé comme on l’a rarement vu. Des 44 % de mentions favorables qu’il recevait la veille, le président est tombé à 18 % le vendredi. Et si le cabinet spécialiste des réseaux se contente d’extraire les tweets mentionnant à la fois Moro et Bolsonaro, la déculottée est plus sévère encore : 90 % sont favorables au ministre sortant, contre 10 % au président.
Bolsonaro vient ainsi de perdre les Brésiliens attachés au Lava Jato [la vaste opération contre la corruption lancée en 2014, conduite par Sérgio Moro, alors juge en charge des investigations].
Il a perdu des soutiens opportunistes
Ce sont eux qui en 2018 avaient rendu son élection possible, en reportant sur le candidat du PSL [Bolsonaro] toute leur volonté de défaire le PT [la gauche de Lula]. Ils s’étaient ralliés à sa candidature après son agression au couteau [le 6 septembre 2018] dans le Minas Gerais, qui l’avait fait disparaître du débat politique, c’est-à-dire une fois qu’il avait cessé d’embarrasser tous ceux qui, tentés de voter pour lui, n’étaient retenus que par la honte. Sans eux, Bolsonaro revient aujourd’hui à sa cote de popularité d’avant cette agression.
Et le président continue de s’aliéner de plus en plus ces lava-jatistas à mesure que son entourage haineux concentre sur les réseaux sociaux ses feux sur le magistrat héros de la grande opération “mains propres” du Brésil contemporain.
Moro a quitté le gouvernement en emportant une belle collection de messages WhatsApp compromettants pour le président, mais ce n’est pas tout. L’ancien juge va prendre à Bolsonaro ces sympathisants anti-PT qui auraient aimé apprécier sa présidence sans parvenir à se trouver de bonne excuse.
Un hara-kiri pour sauver ses fils
En annonçant qu’il cherchait un emploi et se mettait “à la disposition du pays”, Moro a endossé le costume du candidat et comblé ce vide d’emblée. Il a déjà sa légende, et même son colistier. Le parti Podemos et l’ancien ministre de la Santé Mandetta se sont empressés de le rejoindre.
Il faut qu’il y ait une raison grave et urgente pour que Bolsonaro jette ainsi son gilet pare-balles, et sorte son épée pour la pointer contre son propre ventre politique. Ce hara-kiri présidentiel n’est pas un hasard. Et si cette auto-agression au couteau a une cause, elle doit aussi avoir des conséquences espérées.
Personne ne réunit un tel aéropage de généraux dans un palais sans que le mot “stratégie” ne résonne des centaines de fois. Les militaires planifient des batailles, sélectionnent des cibles, recensent leurs troupes, même en l’absence d’ennemis.
Sur les réseaux, l’hypothèse la plus en vogue pour expliquer la décision du président de limoger le directeur général de la police fédérale et de déclencher des crises politiques en série, c’est la peur.
Un lourd prix à payer
Le président a peur que les enquêtes de la police fédérale ne mettent bientôt en cause 01 [son fils Flávio]. Cependant la principale explication ne peut être la “rachadinha” de Flávio Bolsonaro [système d’emploi fictif comme assistant parlementaire et/ou de détournement de fonds, dont il est notamment accusé]. L’enquête qui dérange le plus le président est celle qui porte sur le financement de campagnes de diffamation en ligne par des hommes d’affaires de son entourage, qui pourrait remonter jusqu’à 02 [son fils Carlos], voire jusqu’à 00 en personne [Jair Bolsonaro lui-même].
Dans cette hypothèse, tourner le dos à Sérgio Moro, à la campagne anticorruption du Lava Jato et à ses partisans serait le prix politique (exorbitant) à payer pour maintenir la bride sur le cou à la police fédérale et faire en sorte que la famille Zéro conserve sa liberté de mouvement.
Mais le scénario tourne mal : Bolsonaro ne s’est pas seulement créé un nouvel adversaire électoral, il en a fait un ennemi. Un ennemi convaincu qui, quand il en a besoin, est maître dans l’art de recueillir des preuves.
L’ingérence de Bolsonaro dans le travail de la police fédérale, si elle est avérée, est un délit sur lequel le Congrès sera dans l’obligation d’enquêter. S’il veut y échapper, le président va devoir distribuer les faveurs à ses nouveaux vieux amis, des gens condamnés et emprisonnés dans l’affaire du mensalão [un scandale de corruption de parlementaires, révélé en 2005]. Le président n’a plus qu’une seule échappatoire, celle qu’il appelle lui-même la politique de la patifaria – la fripouillerie.