Par Rémi Clément le 24.05.2020
INTERVIEW – Depuis le début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron multiplie les erreurs de communication. Pour retrouver la confiance des Français, il doit reprendre pied dans le réel selon le conseiller en communication et enseignant à Sciences Po Philippe Moreau-Chevrolet.
Emmanuel Macron dans son bureau de l’Elysée
Explications confuses sur la pénurie de masques, déclarations échevelées lors de l’annonce de son très attendu plan pour la culture, interventions mal calibrées… Les critiques se multiplient sur la communication présidentielle alors que la cote de popularité d’Emmanuel Macron décroche face à celle de son Premier ministre, Edouard Philippe. Selon le conseiller en stratégie de communication et enseignant à Sciences Po Philippe Moreau-Chevrolet, le chef de l’Etat doit dépoussiérer sa communication, trop tournée vers le passé, et renouer le dialogue avec les Français pour laisser les colères s’exprimer, un exercice dans lequel il excelle comme l’a prouvé le « grand débat » qui a fait suite à la crise des « gilets jaunes ». « La voie à suivre existe et il est encore temps », assure-t-il. Interview.
Depuis le début de la crise, Emmanuel Macron semble accumuler les erreurs de communication et les incompréhensions. Pourtant à son arrivée à l’Elysée et dans les premiers mois de son mandat, c’est un domaine dans lequel il semblait très à l’aise …
Philippe Moreau-Chevrolet – Le vrai problème d’Emmanuel Macron depuis le début de la crise, c’est qu’il n’est pas parvenu à trouver sa place dans le dispositif de communication. Il s’est enfermé dans une communication tournée vers le passé et les grandes figures – De Gaulle, Clemenceau, Chirac, Sarkozy – qui l’a ringardisé. Il ne parle jamais de lui, de ce qu’il est, de ce qu’il a envie d’être. C’est pourtant ce qu’attendent les Français. Son unique coup d’éclat, là où il s’est révélé le meilleur, c’est lors de son discours du 13 avril quand il a bousculé la technostructure pour imposer la date de sortie du confinement le 11 mai. Les Français ont retrouvé le président jeune, efficace, qu’ils avaient élu à l’Elysée. Cela montre que la voie à suivre existe. La vérité est qu’après dix-huit premiers mois presque parfaits, le président s’est replié sur lui même. Beaucoup de ses conseillers sont partis, lui même n’utilise que très vaguement les nouvelles technologies, conforté peut-être par le fait qu’il est sorti tout seul de la crise des « gilets jaunes » en mettant sur la table le « grand débat ». Il a choisi pour sa communication un historien avec qui il aime discuter [Joseph Zimet ; NDLR] et Bruno Roger-Petit, deux personnes quasi-entièrement tournées vers le passé. Il n’a personne pour le challenger. Et il a accumulé beaucoup de retard sur la communication en ne regardant pas ce qui se faisait ailleurs, en Nouvelle-Zélande par exemple ou au Royaume-Uni, où Boris Johnson malgré ses erreurs reste très populaire. Sa stratégie de communication est devenue essentiellement défensive.
Il y a notamment cette vidéo extraite du documentaire de BFMTV dans laquelle les explications du président sur la pénurie de masques paraissent confuses. Comment expliquer que cette séquence cristallise autant les critiques ?
Je ne sais pas dans quelle dimension intellectuelle évolue Emmanuel Macron, ce que lui dit son entourage, mais cela m’est apparu complètement décalé. Les masques, c’est le scandale du moment. Je ne comprends pas qu’il ait pris le risque de s’exprimer sur le sujet. C’est l’affaire du sang contaminé puissance mille, avec des dizaines de procédures judiciaires ouvertes et la preuve même de l’échec de l’Etat, qui n’a pas su faire ce qu’il fallait pour que l’on ait des masques en temps et en heure. Des ministres ont menti pour couvrir la pénurie… Je ne m’explique pas la volonté qu’il a eu de se mêler de ce débat, cela n’a aucune rationalité apparente et donne l’image d’une communication sans filtre. Peut-être a-t-il voulu se détacher au maximum de la crise, tenter de la mettre derrière soi, dans la perspective de sa réélection, conscient que les leaders associés aux grandes crises – De Gaulle, Churchill, Clemenceau – ont par la suite été balayés dans les urnes, parce que les citoyens voulaient se débarrasser de la crise comme de son souvenir.
Comment reprendre la main ? Emmanuel Macron doit-il poser un acte de sincérité sur les masques et la gestion de la crise ?
On voit bien qu’en faisant référence aux grandes figures comme De Gaulle ou Clemenceau, il tente de conjurer l’image d’un Etat faible, qui a manqué à ses obligations. Pourtant, il souffre de n’être pas parvenu à rassurer les Français. Dans le dernier sondage Elabe, 62% des personnes interrogées considèrent que le président de la République a été incompétent pour gérer la crise. Ils ne sont que 51% à penser la même chose d’Edouard Philippe, qui lui a trouvé plus naturellement sa voie. Cela complique les choses dans la perspective de la présidentielle de 2022 et de sa réélection. Je pense qu’il devrait favoriser une grande émission en prime-time et en direct, comme a pu le faire Edouard Philippe pendant la crise sur le plateau de BFMTV, en répondant pendant 2h30 aux interrogations des Français. C’est ça qui le sauvera, d’autant qu’il excelle dans ce genre d’occasions. Il faut qu’il y ait de la confrontation, que la colère puisse s’exprimer, en proposant, pourquoi pas, un grand standard pour que les Français puissent avoir la parole, et qu’il réponde aux interrogations, aux accusations. Il faut qu’il sorte de sa coquille car il donne parfois l’impression d’évoluer sur une planète différente. Il semble vivre dans un livre d’histoire avec de belles images quand les Français sont en plein Houellebecq ! Il est ce président que les Français ne comprennent plus : Emmanuel Macron s’est hollandisé.
Dans le « monde d’après », Emmanuel Macron doit-il revenir à une communication plus humble, moins verticale, moins « jupitérienne » ?
Il devrait revenir à des choses plus terre à terre. Pour occuper l’espace, il doit l’occuper vraiment et ne pas se contenter d’allocutions ou de déplacements à des milliers de kilomètres qui ne lui réussissent pas. Cela donne des images étranges : un président en costume cravate dans un supermarché, quel intérêt ? Il doit renoncer à ses références historiques bizarres et se saisir des sujets concrets : pourquoi ne pas s’investir encore davantage sur la question des Ehpad, de l’hôpital public ? Il faudrait qu’il mène lui même les négociations avec le personnel hospitalier et qu’il en fasse les accords de l’Elysée, plutôt que les obscurs accords de l’Avenue de Ségur [où se situe le ministère de la Santé ; NDLR]. Ce serait l’occasion pour lui de montrer qu’il tient ses promesses, un marqueur fort de sa communication depuis la campagne présidentielle de 2017.