Par Challenges.fr le 30.05.2020
Acculé par les Etats-Unis, le taïwanais TSMC ne fournira plus Huawei en semi-conducteurs. La riposte de Pékin? Investir 2,25 milliards de dollars dans son rival chinois, alors que les tensions entre la Chine et les Etats-Unis se ravivent aussi sur la question hongkongaise.
Usine de TSMC à Taïwan. Le fabricant va perdre 15 à 20% de son activité en rompant avec la Chine. Dans le même temps, il a annoncé la construction d’une usine de pointe aux Etats-Unis.
Alors que le président américain Donald Trump a annoncé vendredi 28 mai qu’il souhaitait mettre fin aux exemptions accordées à Hong Kong dans le cadre de sa relation spéciale avec les Etats-Unis, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine vient de franchir aussi un cap à Taïwan. Le 15 mai, Washington a annoncé son intention d’empêcher le leader chinois des télécoms, Huawei, d’accéder à tous les semi-conducteurs fabriqués grâce aux technologies made in USA. Issus d’un processus d’une grande complexité, ces composants sont l’élément de base de tout produit électronique. Or la Chine accuse un retard de plusieurs années dans leur fabrication.
« Nous nous attendons à ce que notre activité soit affectée », a reconnu le président de Huawei, Guo Ping. Dopé aux investissements publics, le fleuron chinois est régulièrement accusé d’espionnage et de pratiques déloyales par Washington. Placée l’an dernier sur une liste noire d’entreprises ayant interdiction d’utiliser des technologies américaines, la société pouvait jusqu’alors compter sur ses fabricants de semi-conducteurs taïwanais. Le nouveau règlement américain, qui entrera en vigueur en septembre, couperait net cette source d’approvisionnement.
Point de rivalité historique
Le géant taïwanais TSMC, premier fabricant mondial de semi-conducteurs, a été sommé de choisir son marché. Selon la revue Nikkei, il n’accepterait déjà plus de commandes de Huawei, pourtant l’un de ses premiers clients. « TSMC dépend des droits de propriété intellectuelle américains pour produire, décrypte Pascal Thien-Ah-Koon, avocat d’affaires basé à Taïwan. Entre perdre de 15 à 20% de son activité côté chinois, et 100% côté américain, le choix est vite fait. »
Le fait qu’une entreprise taïwanaise soit la première à tourner le dos à Huawei n’a rien d’anodin. Taïwan, démocratie revendiquée par la Chine mais sous protection des Etats-Unis, est un point de contact historique de la rivalité entre les deux puissances. Depuis l’élection d’une présidente souverainiste, en 2016, Taïwan s’est nettement rapproché de son allié américain. Sa gestion exemplaire de l’épidémie comme sa campagne réussie visant à intégrer l’Organisation mondiale de la santé ont consolidé cette lune de miel et ulcéré Pékin.
Preuve de la solidité de l’axe Taipei-Washington, TSMC a annoncé, la veille du nouveau règlement américain, la construction d’une usine de pointe de semi-conducteurs aux Etats-Unis. « C’est un choix clair qui met le curseur de TSMC du côté américain », analyse Pascal Viaud, directeur général d’Ubik, une société spécialisée dans la coopération industrielle basée à Taïwan.
Effet contre-productif
Mais cette nouvelle étape vers un découplage de la production électronique n’est pas sans risques pour les Etats-Unis. Pékin a d’ores et déjà assuré qu’il riposterait en s’attaquant aux intérêts américains en Chine, augurant d’une escalade alarmante dans le conflit commercial. Surtout, il pourrait donner un coup d’accélérateur aux ambitions chinoises en matière de semi-conducteurs, avec à terme un effet contre-productif pour les fabricants taïwanais comme pour les équipementiers américains.
Le 18 mai, Pékin a ainsi injecté 2,25 milliards de dollars supplémentaires dans le fabricant national de semi-conducteurs, SMIC. « Avec la guerre commerciale, la Chine prend conscience de sa fragilité en matière d’approvisionnement en semi-conducteurs, donc elle investit intensément, analyse Angela Huang, analyste industrielle à l’Institut de conseil et de connaissance du marché de Taïpei. Au cours des prochaines années, l’avantage des entreprises taïwanaises va progressivement diminuer face au développement rapide de l’industrie chinoise des semi-conducteurs. »
Par Adrien Simorre (à Taïwan)