Quand Onfray et Zemmour s’allient pour écarter Mélenchon et Le Pen

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Le philosophe Michel Onfray et le journaliste-essayiste Eric Zemmour, lors d’un débat sur CNews, ont montré un consensus idéologique et politique de circonstance entre la gauche libertaire et la droite souverainiste. Leur objectif commun ? « Fabriquer » un candidat populiste et souverainiste en mesure de concourir à l’élection présidentielle de 2022.

Zemmour-Onfray

Débat Eric Zemmour-Michel Onfray sur CNews dans « Face à l’info » le 29 mai 2020.

CAPTURE ÉCRAN CNEWS

Ce fut, il y a quelques jours sur l’antenne de CNews, un débat énamouré, entre le philosophe Michel Onfray et le journaliste-essayiste Eric Zemmour. Près d’une heure de « je suis tout à fait d’accord, mon cher Éric », « mais votre analyse est tellement brillante, mon cher Michel », et ainsi de suite. La définition même du consensus idéologique, politique entre le « libertaire » Onfray et nationalisto-raciste Zemmour. Deux complices donc – l’un et l’autre brillants sur la forme- qui se renvoyaient la balle avec délice, se confortant l’un l’autre quant aux maléfices de la construction européenne, du progressisme maudit, lequel détruit « nos valeurs », du libéralisme qui massacre la France, des « élites » et du pouvoir macroniste coalisés et voués à faire souffrir le « peuple », des médias au service du « grand capital », un « Etat profond »- dernière invention des complotistes de toute espèce- au service des puissances d’argent par définition étrangères et cosmopolites, etc. Bref, la dialectique souverainisto-nationaliste qui, de la droite extrême à une partie de la gauche de gauche, sature et domine désormais une grande partie du débat intellectuel.

Préférence nationale

Pour être tout à fait précis dans cette description, dans cette mise en perspective, Michel Onfray conserve une différence de taille avec Éric Zemmour: s’il verse lui aussi volontiers dans les rodomontades identitaires, il reste éloigné de la xénophobie et du racisme. Et l’éditorialiste du Figaro d’en prendre acte, avec (un peu) de déception: « La différence- et c’est là notre désaccord- ne se situe pas entre les riches et les pauvres, mais entre les Français et les étrangers. Il faut redonner la préférence aux Français. »

Le retour à la préférence nationale, cette antienne éculée des néo-fascistes et de l’extrême-droite. Tout à sa soif de respectabilité, le Rassemblement national n’ose plus guère utiliser le concept, sinon en catimini…

Mais pourquoi Onfray et Zemmour se sont-ils à ce point rapprocher?

« Fabriquer » un candidat pour la présidentielle de 2022

Parce que, sans oser l’avouer tout en le laissant entendre et en le faisant comprendre, donc en ayant eux aussi recours aux grosses ficelles de la communication et à la dissimulation chère à la « vieille politique », ils poursuivent un objectif commun: « fabriquer » un candidat populiste et souverainiste en mesure de concourir à l’élection présidentielle de 2022, un candidat qui les débarrasserait à la fois de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon estimés l’un et l’autre incapables de vaincre le « candidat du système » qu’il soit de droite « libérale » ou de gauche « libérale », une figure nouvelle, inédite, inattendue qui, selon Onfray, « défende le peuple contre le populicide ». Et les deux compères de préciser qu’ils n’aspirent pas à tenir eux-mêmes ce rôle de l’homme providentiel…

Pour accélérer le processus, Michel Onfray lance une revue baptisée Front Populaire. Une astuce sémantique que ce nom de baptême, une de plus. Au-delà de l’appellation et des apparences, rien de commun en effet avec le Front Populaire de 1936, celui de Léon Blum, celui de la victoire d’une gauche unie, d’une gauche à la fois patriote, internationaliste et cosmopolite, d’une gauche et d’un Blum férocement combattus par les ligues d’extrême droite. Internationalisme, cosmopolitisme, quelle horreur tant dans l’esprit d’Onfray que dans celui de Zemmour! Quand le philosophe choisit « Front », c’est pour signifier qu’il appelle à la formation d’un arc souverainiste n’excluant personne, et certainement pas la droite la plus radicale. Quelques unes de ses figures de proue (l’essayiste Alain de Benoist ou encore l’identitaire Philippe Vardon) l’ont d’ailleurs fort bien compris, soutenant parmi les premiers la démarche politique de Front Populaire.

Quand Onfray complète Front par « populaire », c’est pour signifier une nouvelle fois, pour réitérer inlassablement que les tenants du « système » ont pour seul objectif le « populicide ». Ce sont donc au sens propre des tueurs. Les tueurs du peuple. À juger. À punir. À emprisonner. Impossible, évidemment, de ne pas songer aux récentes et tonitruantes sorties du Professeur Raoult allant dans le même sens, dénonçant ceux qui ont « sacrifié le peuple » durant la crise sanitaire. Tiens donc, Raoult a rejoint le comité éditorial de Front Populaire. Heureuse coïncidence… Raoult en figure populiste-politique-providentielle? Onfray et Zemmour ne demanderaient pas mieux.

Mais leur démarche peut-elle pour autant s’avérer crédible? Efficace? Voire dangereuse?

Constatons au moins qu’elle est prise au sérieux. Parce qu’elle inquiète chaque jour davantage cette approche populiste qui n’a rien de nouveau; parce que le terreau idéologique et culturel lui paraît favorable.

Souverainisme « des deux rives »

Ainsi Jacques Julliard, éditorialiste au Figaro et à Marianne (l’hebdo soutient ouvertement Onfray), a-t-il estimé indispensable de prendre au plus vite ses distances- et avec éclat: « Une revue qui se propose de réunir le souverainisme d’extrême-gauche et le souverainisme d’extrême-droite… le Front populaire [celui de Blum] ne méritait pas ça (…). La nation, le peuple, la souveraineté sont des principes. Ce ne sont pas des idoles (…). La dérive du populisme, du nationalisme, du souverainisme vers un régime autoritaire est trop fréquente pour nécessiter une longue démonstration (…). En aucun cas, je n’accepterai de me définir exclusivement à partir du peuple, de la nation, de la souveraineté. Je me contente d’être patriote ».

Et Jean-François Kahn, co-fondateur de Marianne (avec l’auteur de ces quelques lignes), de renchérir: « Un philosophe annonce le lancement d’une publication destinée à fédérer le souverainisme des deux rives (pas les plus démocratiques en l’occurrence). Tous les extrêmes et ultra droites se rallient, par cohortes entières, à l’initiative. On y voit la confirmation d’une certaine convergence: celle que révéla, au moins au début, le mouvement des gilets jaunes et qui porte, aujourd’hui, le phénomène d’engouement quasi sectaire pour le professeur Raoult. En vérité, la France renoue ainsi, peu à peu, avec ce qui fut une constante de son histoire ».

« Vieille histoire donc, conclut Kahn. Et heure de vérité ».

L’offensive Onfray-Zemmour pourra-t-elle se transformer en influence idéologique réelle, en poids électoral significatif? Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont pareillement convaincus qu’il n’en sera rien.

À observer, de fort près.

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