Au moment où plusieurs régions du monde affichent un ralentissement dans leur progression économique du fait du Covid-19, l’Afrique apparait moins impactée sanitairement par la pandémie et devrait préparer la période post-crise avec beaucoup plus d’initiatives et d’ambitions afin de provoquer un véritable déclic. Cette crise inédite devrait obliger les pays africains à réfléchir sur une stratégie à adopter pour mettre en place une nécessaire et véritable politique industrielle.
Essentiellement agraires et détenant des ressources minières et forestières assez importantes, les pays africains continuent d’utiliser ce potentiel pour leur développement socio-économique. Cependant, les chocs extérieurs répétitifs comme le Covid-19, leur ont fait prendre conscience de la nécessité de diversifier leurs économies pour mieux résister et se doter de capacités productives qui permettent une croissance économique forte et durable, la création d’emplois et la réduction notable de la pauvreté. Conscientes de la nécessité d’industrialiser l’économie du continent, les élites africaines ont souvent fait des recommandations, au niveau international, régional et sous régional ; notamment lors de l’assemblée générale de la Banque Africaine de Développement (BAD) en Mai 2018 en Corée du Sud et dont le thème portait sur : « Accélérer l’industrialisation de l’Afrique ». Cependant, faute de volontarisme et de leadership sur le rôle central que devrait jouer l’industrialisation de nos économies ; très peu d’actions ont suivi, en dehors de quelques exceptions comme l’Ethiopie.
La transformation économique passant par l’industrialisation est une stratégie fondamentale pour la croissance et la réduction de la pauvreté dans la région. Aucun pays au monde ne s’est développé sans une véritable politique industrielle au sens large. L’effectivité prochaine de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) devrait contribuer à promouvoir cette industrialisation car offrant différentes opportunités d’échanges, de complémentarités et de protection aux Etats membres ; donc une source de croissance et de développement. Le dynamisme d’une telle union, selon la Commission économique africaine, devrait accroître potentiellement le commerce intra-africain de 52,3% en éliminant 90% des barrières tarifaires (Source : Union Africaine- avril 2018). L’ambition est de contribuer au progrès économique et social grâce au développement d’un tissu industriel inclusif et durable, source de création de richesses et d’emplois axée sur la promotion de la Petite et Moyenne Industrie (PMI) constituant l’écrasante majorité des unités industrielles et une meilleure valorisation des ressources locales.
Le Développement Industriel Endogène est une stratégie qui consiste, par l’impulsion d’une dynamique interne de valorisation optimale des ressources nationales, à corriger la faible intégration de l’industrie locale par la remontée des filières et à promouvoir des activités industrielles viables, orientées aussi bien vers les marchés nationaux que mondiaux. Il vise notamment une mise à niveau des entreprises, un développement industriel à travers des agropoles, des plateformes multifonctionnelles et de valorisation des ressources locales ainsi qu’un renforcement de l’intégration de l’industrie locale par une restructuration des filières.
Le Sénégal, malgré ses ressources naturelles relativement importantes (hydrographique, éolienne, solaire, minière, sylvicole etc.) et ses productions agricoles et halieutiques variées, n’a pas encore su développer une base industrielle véritable en valorisant les ressources disponibles, et en s’appuyant sur les capacités internes, notamment celles des ressources humaines. La faible intégration de l’industrie sénégalaise est à l’origine de la forte tendance à l’importation des biens intermédiaires qui ne cesse de croître. Le déficit de la balance commerciale du Sénégal est essentiellement lié à un retard industriel et non à une question monétaire comme évoqué souvent par les pourfendeurs du franc CFA. La configuration du tissu industriel, marquée par une forte concentration à Dakar et dans les grandes entreprises du secteur moderne, n’a pas relevé le défi d’une industrie performante garante d’une bonne stratégie commerciale.
Au vu de ces facteurs limitants, il est devenu nécessaire d’opérer une rupture par la mise en œuvre d’une stratégie de développement industriel endogène. Cette option, suppose la densification du tissu industriel national, grâce à une implantation géographique équilibrée, et à une articulation, plus étroite entre les secteurs économiques. Elle doit impulser dans ce cadre, la création d’un réseau intégré et varié de micros, petites, moyennes et grandes entreprises capables de constituer une plate-forme conquérante du marché intérieur et des marchés extérieurs. Il est impératif de soutenir l’industrialisation du pays à travers les chaînes de valeur, renforcer la valeur ajoutée des produits agricoles exportés et réduire la dépendance aux importations de produits agroalimentaires. Trois Agropoles intégrés et compétitifs sur des chaînes de valeur à potentiel de développement élevé (élevage, fruits et les légumes, pêche et aquaculture, céréales et oléagineux) seront développés au nord, centre et sud du Sénégal. Ce qui permettra de créer de la valeur ajoutée agricole au niveau local, apporter des opportunités d’infrastructures, de revenus, d’emplois dans les zones rurales, de limitation de l’exode rural et d’une atténuation d’une macrocéphalie urbaine caractéristique des pays africains.
Le développement d’industrie à forte valeur ajoutée autour des produits « blancs », l’automobile et aussi de la sidérurgie, permettra de positionner le Sénégal dans une nouvelle dimension économique, davantage renforcée par l’exploitation du gaz et du pétrole avec les premiers barils exportables à partir de 2023-2024. Cet effort devra être accompagné par un développement des compétences des ressources humaines et la mise en place de véritables zones économiques spéciales et de plateformes industrielles.
Le « Big Fast Results » industriel du Sénégal, notamment post-covid, dépendra de la qualité du cadre institutionnel, du pilotage stratégique, de la coordination des actions, de la mobilisation des ressources humaines et financières nécessaires à la réalisation des actions prévues et d’un dispositif de suivi-évaluation de la progression des activités.
*Dr Omar THIAM est Directeur de l’Ecole de Management & de la Recherche du Groupe ISM. Au cours sa carrière, il a également été consultant et a notamment travaillé sur le plan d’action de la politique industrielle du Sénégal.