L’artiste nigérien, qui vient de lancer une plateforme de vidéo à la demande consacrée à l’humour africain, veut édifier en 2022 une école pour former les talents du continent.
Où s’arrêtera la machine Mamane ? On le connaissait pour ses chroniques sur RFI, son émission « Le Parlement du rire » (les plus grosses audiences de Canal+ Afrique), et le festival Abidjan capitale du rire (maintenu en 2021, du 12 au 14 février).
Le Nigérien devenu réalisateur et producteur avec sa société Gondwana-City Productions s’attelle encore à de nouveaux projets : il peaufine une plateforme vidéo d’humour 100 % africain, et il entend créer une école pour les professionnels du spectacle à Niamey. Entretien.
Jeune Afrique : Pourquoi avoir créé avec le Français Jérémy Ferrari votre propre plateforme vidéo ? Celles qui existent sur Facebook ou Youtube ne vous suffisaient pas ?
Mamane : Les internautes africains ont l’habitude de la gratuité… Quand ils ont payé pour leur connexion, ils ne veulent plus mettre la main à la poche. Mais quand on regarde une vidéo d’humour sur Facebook, c’est Mark Zuckerberg qu’on enrichit, pas les humoristes. Les youtubeurs africains gagnent encore moins que leurs confrères occidentaux, notamment parce que les réseaux publicitaires sont moins rémunérateurs. Avec cette plateforme Gondwana.tv, nous contrôlons tout de A à Z et nous pouvons payer nos artistes.
Qu’y trouve-t-on ?
On y trouve déjà des one-man-shows et nos spectacles « Sans Visa ». Elle a été lancée il y a peu, mi-décembre, et nous comptons l’alimenter régulièrement, notamment avec des spectacles en cours de montage.
DEUX PIEDS NICKELÉS POSTÉS DEVANT UNE BANQUE FONT ENTRER N’IMPORTE QUI
Et il n’y aura pas que de la scène ! Nous ajouterons bientôt une fiction, Les Vigiles, la première série que j’ai écrite pour Gondwana-City Productions, dans laquelle jouent Michel Gohou et Digbeu Cravate. Ils incarnent deux pieds nickelés postés devant une banque, qui font entrer n’importe qui, et même des braqueurs… mais qui laissent le meilleur client à la porte parce qu’ils le trouvent mal habillé.
Cette série avait été réalisée au départ pour les clients d’une compagnie de téléphonie mobile, à présent elle sera visible par tout le monde. Pour l’heure, nous proposons des « packs » [par exemple 650 F CFA, soit 0,99 euro, pour le visionnage d’un spectacle, NDLR], et bientôt il y aura des formules d’abonnement. Le paiement est possible par carte bleue, mais on travaille avec Orange Money pour qu’il puisse être effectué via téléphone portable.
L’HUMOUR EST UN PLAN B OU Z
Pourquoi vouloir monter une école du rire ?
Je me suis aperçu, avec mon émission « Le Parlement », que les jeunes comédiens que je recevais n’avaient pas de technique pour écrire leurs sketchs, jouer, mettre en scène… Ce sont très souvent des autodidactes qui n’ont pas pu aller loin dans les études. L’humour est un plan B ou Z : tu es drôle dans le quartier, donc tu penses à la scène. Avant, quand tu n’avais pas d’horizon professionnel, tu pensais à la musique ou au football, maintenant c’est à l’humour. Je veux donner la possibilité à ces jeunes de suivre une formation.
Et pourquoi avoir choisi d’installer votre école à Niamey ?
Je tenais à faire la première de mon film Bienvenue au Gondwana [sorti en 2016, NDLR] dans mon pays, le Niger. Ç’a été un événement national, et nous avons été reçus par toutes les autorités, y compris le président. Je lui ai expliqué que le film n’était qu’une étape pour moi et que je voulais construire une école pour former les talents. Il a été très réceptif et m’a promis que l’État nigérien m’offrirait un terrain.
Le Niger est un pays qui n’a pas bonne presse, un pays très jeune, où l’industrie culturelle peut être un vecteur d’éducation, permettre de lutter contre l’émigration et donner un horizon à la jeunesse.
JE POSE LA PREMIÈRE PIERRE LE 15 JANVIER
Certains projets ambitieux comme l’African Music Institute, qui voulait former des professionnels de la musique au Gabon, sont aujourd’hui au point mort. Voyez-vous la réalisation de ce gros projet avec optimisme ?
Outre le soutien de l’État nigérien, qui a bien offert le terrain et participe financièrement, nous recevrons l’aide d’institutions internationales, régionales ou panafricaines à qui ce projet parle, notamment de par ses objectifs pour la jeunesse du continent. Un architecte travaille déjà sur plan, nous avons une maquette provisoire, nous finalisons le budget, qui devrait s’élever à plus de 3 millions d’euros… et je pose la première pierre le 15 janvier.
Que va-t-on apprendre dans votre école de comédie ?
Nous voulons former des humoristes à l’écriture de spectacle, mais aussi des techniciens son et lumière, des producteurs, des spécialistes du droit d’auteur, des professionnels du numérique…
Je n’oublie pas les arts oratoires africains : je suis en contact avec des conteurs et des grands maîtres griots au Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire. Nous prévoyons un enseignement en français mais aussi en haoussa, l’une des langues les plus parlées sur le continent, notamment au Nigeria, qui est un énorme marché. Il y aura également des cours en malinké et dans d’autres langues en fonction des professeurs que nous recevrons. L’idée est de pouvoir accueillir une promotion de 50 à 70 élèves maximum en 2022.
Humoriste, réalisateur, producteur, directeur de festival… bientôt créateur d’école. Comment réussissez-vous à accumuler autant de casquettes ?
L’une des personnes qui m’a le plus inspiré, c’est Laurent Ruquier. Quand j’ai travaillé avec lui en 2006, il avait une émission à la radio, une autre à la télé, un spectacle… C’était un exemple de discipline, de générosité et d’intégrité. Et je me suis rendu compte qu’il ne travaillait jamais seul. De mon côté, c’est pareil. J’ai une société de production à Abidjan, une autre à Niamey, et des associés partout : je suis bien entouré !
N’avez-vous pas peur que l’aide de l’État nigérien vous prive de votre liberté de ton ?
Je suis Nigérien. Le Niger est mon pays. J’en suis parti avec une bourse pour devenir chercheur… J’ai bifurqué mais j’ai toujours une dette envers lui. Je ne peux pas travailler sans les autorités, mais je ne travaillerai pas non plus pour elles. Je ne ferai jamais de la politique, je ne me ferai jamais récupérer… car ce serait détruire tout ce que j’ai construit, le projet même du Gondwana.
Vous a-t-on mis la pression lors des élections en Côte d’Ivoire ?
Pas du tout ! Je n’ai même jamais ressenti de difficulté depuis que je travaille sur place. Mieux, quand j’ai fait Bienvenue au Gondwana, l’État m’a aidé financièrement, m’a ouvert les portes de nombreux lieux et m’a même prêté des véhicules militaires… Pourtant des spectateurs m’ont dit récemment que ce que je montrais dans mon film décrivait ce que nous avons vécu sur place. Aujourd’hui, on peut tout faire. Il faut juste être transparent sur ses intentions et ne pas attaquer les gens de manière inconsidérée. C’est ce que je fais depuis longtemps déjà dans ma chronique pour RFI.