Plusieurs scientifiques estiment qu’il faut désormais appliquer la stratégie de nombreux pays d’Asie et d’Océanie, qui vise à éradiquer le Covid-19 de leur territoire.
Passer de “vivre avec le virus” à “éradiquer le virus”. C’est le message porté par des scientifiques et de plus en plus partagé en Europe, qui appellent à changer de stratégie. En Allemagne, une pétition récoltant plus de 65 000 signatures en moins d’une semaine appelle à “un changement radical de stratégie” pour “mettre fin à la pandémie”. Un texte qui rejoint l’appel de scientifiques européens, publié mi-décembre dans The Lancet, et qui appelait aussi à une coordination européenne pour viser à réduire drastiquement le nombre de cas.
Une idée qui séduit de plus en plus alors que les variants se multiplient, parfois plus contagieux. “Plus le virus circule, plus il a d’occasions de se répliquer et de muter. Les stratégies de suppression virale sont indispensables pour limiter au maximum la circulation virale et réduire la diffusion et l’émergence de tels variants, qui peuvent rendre les vaccins moins efficaces”, rappelle Claude-Alexandre Gustave, biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie.
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Parmi les différents variants qui émergent, ceux détectés en Afrique du Sud et au Brésil inquiètent davantage les autorités. Outre leur contagiosité plus élevé, ils pourraient rendre moins efficaces les vaccins.
Des mesures drastiques dès les premiers cas
L’idée : s’inspirer des stratégies menées par de nombreux pays asiatiques et par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui tentent d’éradiquer le Covid-19 sur leur territoire en réduisant le nombre de cas à un niveau quasi-nul.
Dans les pays qui ont cette stratégie, des mesures drastiques sont prises dès l’apparition de nouveaux cas. Récemment, la ville Suihua (Chine), qui compte plus de 5 millions d’habitants, a été placée en quarantaine le 11 janvier après la découverte de 45 cas asymptomatiques. En Australie, la ville de Brisbane a décrété 3 jours de confinement après la contamination d’un employé d’hôtel accueillant des personnes placées en quarantaine.
“Diminuer à 670 cas par jour en France”
Mettre en place une telle stratégie demande des mesures dures. Pour envisager la suppression du virus, Claude-Alexandre Gustave, estime qu’il faut tout d’abord diminuer le niveau de circulation du virus. Alors qu’on est aujourd’hui à environ 18 000 cas par jour en moyenne sur les 7 derniers jours, il prône de redescendre en dessous de 10 cas par million d’habitants, soit environ 670 cas par jour en France.
Selon une étude de la Drees, publiée fin décembre et rapportée par France Info, 12% des personnes contaminées étaient testées positives en juin, 31% entre juillet et août, et 59% entre mi-octobre et fin novembre. “C’est trop pour permettre un contrôle épidémique. Ces cas non-détectés alimentent l’accélération de l’épidémie et nous conduisent inexorablement à la vague épidémique suivante”, explique le biologiste.
“La seule solution, le confinement strict”
“La seule solution permettant d’atteindre une telle réduction du nombre de cas en un temps bref est un confinement strict”, ajoute le biologiste médical. Une fois ce seuil atteint, Claude-Alexandre Gustave explique qu’il faut repenser les protocoles sanitaires, avec les dernières connaissances que l’on a des modes de transmission du virus, notamment par aérosols et par gouttelettes.
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“Il faut que les protocoles recommandent une aération intensive, des jauges strictes pour l’occupation des espaces clos ou encore une distance de 2 mètres et le port du masque systématique, et adapté selon le niveau d’exposition au virus”, ajoute celui qui prône l’adaptation d’une telle stratégie en Europe.
“Renforcer le triptyque tester, tracer, isoler”
Une fois la circulation du virus revenue à des niveaux faibles, il propose d’associer à ces protocoles renforcés les mesures de restrictions les plus efficaces : la limitation des rassemblements de plus de 10 personnes, la fermeture des écoles et des commerces non essentiels. Concernant les meures de restrictions, Claude-Alexandre Gustave propose de s’inspirer du modèle sud-coréen, où les restrictions en place correspondent à un certain niveau de circulation du virus.
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En parallèle, préconise le biologiste médical, le triptyque tester tracer isoler doit se renforcer avec “des tests ciblant notamment les activités à risque, les entreprises, les écoles, les transports, et une surveillance accrue des eaux usées “pour identifier rapidement les foyers épidémiques”, et prendre les mesures adéquates.
“75% des cas positifs sont issus de chaines de transmission non identifiées”
Concernant le traçage des cas, Claude-Alexandre Gustave estime qu’il s’agit de “l’un des points faibles de la France,” et déplore “une méthode manuelle et déclarative” dont il pointe du doigt la principale limite : “elle est basée sur la bonne volonté du cas index de coopérer, et limitée aux seules identités qui lui sont connues. Impossible donc d’identifier un cluster dans les transports” regrette le biologiste.
Selon Santé publique France, environ 25% des cas positifs ont été identifiés auparavant comme cas contacts. “Cela veut dire que 75% des cas positifs sont issus de chaines de transmissions non identifiés, c’est trop pour contrôler l’épidémie”, remarque Claude-Alexandre Gustave.
Un isolement strict de 14 jours des malades
Si l’on envisage une stratégie de suppression du vaccin, le biologiste prône un changement de méthode de traçage qui risque de faire grincer des dents. ”Les pays qui ont maîtrisé leur épidémie ont tous utilisé des méthodes de ‘contact tracing’ basées sur des outils numériques comme les QR codes, les GPS ou encore les données bancaires et la vidéosurveillance”. S’il reconnaît que cette méthode “peut être perçue comme une intrusion dans la vie privée, l’enjeu est majeur : protéger la santé des citoyens et l’économie”, rappelle le biologiste.
Concernant l’isolement enfin, objet de nombreuses critiques depuis sa mise en place, Claude Alexandre Gustave prône un isolement long, de 10 à 14 jours, mais surtout accompagné d’aides financières, de la fourniture de nourriture, afin d’améliorer l’adhésion de la population à une telle mesure, à l’instar de l’isolement mis en place en Corée du Sud.
“Un isolement obligatoire à l’entrée des pays”
Dernière mesure à mettre en place pour envisager la suppression du virus, l’isolement systématique et obligatoire à l’entrée d’un pays, d’au moins 14 jours. Des mesures qui sont en place dans tous les pays d’Asie, ainsi qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande.
“Le test de dépistage datant de moins de 72h ne protège absolument pas contre l’entrée du virus : le voyageur peut se contaminer entre le test et le voyage, et le test peut aussi être pris en défaut”. L’idée d’une quarantaine obligatoire à l’entrée des pays séduit en Belgique.
Des quarantaines “à la chinoise” en Europe ?
Le média belge LN24 rapporte que le virologue Dirk De Vroey prône un “modèle à la chinoise”, c’est-à-dire des quarantaines strictes dans des hôtels réquisitionnés avant de pouvoir entrer en Belgique.
Des mesures qui peuvent être mises en place à l’échelle de la France, mais aussi au sein de l’Union européenne, “à condition que tous les pays s’engagent dans la même stratégie de suppression”, précise Claude Alexandre Gustave.
Une nette différence de mortalité
Près d’un an après le début de la pandémie, les chiffres montrent une nette différence de mortalité entre les pays qui ont choisi de tenter de “vivre avec le virus” et ceux qui ont essayé de l’éradiquer.
Dans les pays qui visent la suppression du virus, en Asie et Océanie essentiellement, le taux moyen est de 13 décès par million d’habitants, contre un taux moyen de 1260 décès par million d’habitants en Europe, selon les chiffres officiels.
“Un bénéfice sanitaire et psychologique”
Au-delà de la mortalité, la stratégie de suppression du virus a un bénéfice sanitaire et psychologique. “Aujourd’hui, ces pays n’ont plus à faire face à la déprogrammation de soins, qui entraine des retards de prises en charge pour de nombreuses pathologies chroniques”, poursuit Claude-Alexandre Gustave. Mais surtout, c’est la vie dans ces pays qui est radicalement différente de celle en Europe depuis plusieurs mois. En Australie par exemple, des concerts ont pu avoir lieu, sans masque, dans certains États.
“Le bénéfice de la stratégie de suppression du virus est aussi psychologique : les habitants de ces pays n’ont plus à faire face à la crainte d’être contaminé, de longs reconfinements, et ont pu pour certains reprendre une vie normale”. Comme à Wuhan, berceau de l’épidémie, où des milliers de personnes ont pu célébrer le nouvel an dans les rues, contrairement à de nombreuses villes européennes.
En France, cinq psychiatres alertaient en décembre le gouvernement sur “une troisième vague psychiatrique” due au Covid-19. Selon Santé Publique France, il y a actuellement deux fois plus de personnes souffrant de dépression qu’en 2017. Un mal qui toucherait 20% de la population.
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Un effet économique
Au niveau économique, on note également une différence nette entre les pays qui ont opté pour la suppression du Covid-19, et les autres. Selon les dernières prévisions de l’OCDE, qui datent de décembre 2020, la Chine devrait voir son PIB augmenter de 1,8%, la Corée du Sud baisser de 1,1% et l’Indonésie baisser de 2,4%. Trois pays ayant prôné la suppression du virus.
À l’inverse, la zone euro devrait voir une baisse du PIB de 7,5% en moyenne, dont une baisse 9,1% pour la France et l’Italie, et 11,2% pour le Royaume-Uni. “C’est en luttant le plus activement et rigoureusement contre la diffusion virale, qu’on préserve l’économie, d’une part en sauvant des vies d’autre part en permettant ainsi de maintenir l’activité économique sans risque et sans nuire au contrôle de l’épidémie”, conclut Claude-Alexandre Gustave.
Mais les mesures qui accompagnent une stratégie de suppression du virus sont strictes, et pourraient être difficilement acceptées par la population, échaudée par les multiples confinements.