Alors que le tout Sénégal a les yeux tournés vers Diary Sow, cette brillante étudiante sénégalaise, disparue et retrouvée dans un mystère politique, culturel et social qui reste entier, voilà qu’un autre pan de l’histoire du pays occupait l’actualité en faisant l’objet d’une vente aux enchères, samedi 23 janvier à Caen. Il s’agit d’un tableau du peintre Pierre Soulages, longtemps accrochée dans le bureau de Léopold Sédar Senghor à Verson, près de Caen, et qui a été cédé à 1,5 million d’euros, frais compris. L’œuvre du maître du noir est caractéristique du travail de Soulages dans les années 1950, avec ses jeux de glacis, de transparences et de superpositions.
L’œuvre a été acquise par un «acheteur européen» qui a enchéri par téléphone, selon Caen Enchères, qui n’a pas souhaité donner plus de précision. Il y avait sept enchérisseurs, dont six par téléphone, mais aucun musée n’était en lice. Mise en vente à un prix de départ de 600 000 euros, l’œuvre était estimée «de 800 000 à un million d’euros», selon l’hôtel des ventes. La légataire de l’œuvre, qui souhaite rester anonyme, est une amie de la sœur de l’épouse du poète mort en 2001. Disparue à son tour en 2019, Colette Senghor avait légué le tableau à sa sœur morte un an plus tard.
L’ancien président sénégalais était un fervent admirateur du peintre, aujourd’hui âgé de 101 ans. «La première fois que je vis un tableau de Soulages, ce fut un choc», racontera Senghor en 1958 dans Les Lettres nouvelles : «Je reçus au creux de l’estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s’abîme. C’est exactement l’impression que j’avais éprouvée à la première vue du masque dan. » Amoureux de l’art, le poète avait reconnu dans les contours de cette oeuvre de “loutrenoir” une sorte de figure totémique caractéristique de l’art africain. “Les peintures de Soulages me rappellent toujours les peintures, voire les sculptures négro-africaines”, ajoute le chantre de la négritude, mouvement pour la défense des valeurs culturelles du monde noir qu’il a inventé avec l’Antillais Aimé Césaire.
En 1974, dans un discours d’inauguration à une exposition Soulages à Dakar, le président sénégalais salua son art, “frère de l’art négro-africain non par imitation mais par nature”. “Le noir a sa lumière et sa douceur”, avait souligné le poète en 1960 dans un article intitulé “La poésie de Pierre Soulages”. “Pour les peintres négro-africains de la tradition, c’est le noir qui naturellement exprime la vie, tandis que le blanc exprime la Mort”, ajoutait-il.
RÉCIT – Avant d’organiser une rétrospective à Dakar, l’académicien acheta, en 1956, une toile du peintre. Elle est mise en vente aux enchères, ce samedi, à Caen. «La première fois que je vis un tableau de Soulages, ce fut un choc. Je reçus au creux de l’estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur, touché, qui soudain s’abîme… C’est exactement l’impression que j’avais éprouvée à la première vue d’un masque Dan.» Un coup de foudre, c’est bien ainsi que Léopold Sédar Senghor décrit sa rencontre … …