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C’est dans le bureau d’angle que le président Macron travaille. Les Français l’ont découvert lors de l’interview télévisée du 15 octobre 2017. Le décor a autant fait parler que le contenu de l’entretien! Au sol, un tapis de Claude Lévêque; au-dessus de la cheminée, une tapisserie de Pierre Alechinsky; à droite, le bureau en béton créé par Francesco Passaniti. Ces pièces proviennent du Mobilier national. Au mur, «Liberté, égalité, fraternité», d’après une fresque peinte par Obey sur un HLM du XIIIe arrondissement parisien. Photo : Philippe Petit
Suspendu � hauteur d’homme, il semble aérien au bout d’une chaîne massive. Dans l’un des ateliers du Mobilier national, quartiers des Gobelins dans le XIIIe arrondissement, à Paris, les techniciens d’art bichonnent ce lustre monumental d’époque Empire, prêt à retrouver le ministère de l’Agriculture où il brille depuis 1929. Ses 1500 pampilles en cristal de Baccarat et sa structure en bronze doré n’avaient pas été touchées depuis une quarantaine d’années. Il a fallu un mois et demi de travail minutieux et tout le savoir-faire de Daniel Jalu et de son équipe pour le démonter entièrement, le réparer, reconstituer les pièces manquantes avec des outils vieux pour certains de 500 ans. Comme lui, chaque année, des dizaines de pendules, de lampes bouillottes, de lustres venant des ministères ou de l’Elysée passent entre leurs mains. A tous les étages du Mobilier national, la crème des artisans remet en état sièges et banquettes, coud, pique tentures, galons et rideaux.
Dans l’un des ateliers du Mobilier national à Paris, dernières vérifications sur un lustre monumental, qui s’apprête à retrouver le ministère de l’Agriculture. Photo : Phillipe Petit
A la lustrerie, on gère la lumière et le temps. Sur un établi, deux candélabres retirés du bureau présidentiel sous François Hollande – qui souhaitait un meilleur éclairage – ont retrouvé leur éclat. Ils réintégreront peut-être leur place, bien en vue, sur la cheminée du salon Doré ou bien rejoindront les réserves du 3e étage, remisés dans l’une des gigantesques armoires vitrées parmi des centaines d’horloges, lampes de toutes époques, chenets, tire-bottes, surtouts de table, vases, et même pots de chambre ! Tous cachetés et étiquetés, un inventaire à la Prévert. Les meubles anciens et contemporains, dont quelques chefs-d’œuvre inestimables, patientent dans d’autres magasins. Entre musée et caverne d’Ali Baba, près de 100 000 pièces, trésors patrimoniaux ou accessoires utilitaires comme les corbeilles à papier sont répertoriés, dont 20 000 «actifs» dans les palais de la République. Il fut un temps où le Mobilier national fournissait jusqu’aux matelas et couvertures des lits présidentiels…
Dans ses volumes de cathédrale, le bâtiment conçu par l’architecte du béton Auguste Perret abrite depuis 1937 les entrepôts et ateliers du Mobilier national, descendants républicains du Garde-meuble de la Couronne. En trois siècles, sa vocation n’a pas changé. Environ 350 personnes travaillent, sous le sceau du secret, au récolement (c’est-à-dire l’inventaire), à l’entretien et au renouvellement créatif des meubles, tapis et ornements déposés à l’Elysée, dans les ministères, les ambassades et les préfectures. Des lieux de pouvoir, où la continuité de l’histoire de France prend corps dans une commode commandée sous Louis XV, une tapisserie d’après un carton de Le Brun ou un vase contemporain de Soulages.
Dans l’atelier tapisserie du Mobilier national, le fauteuil d’apparat du président, époque XVIIIe, vient d’être redoré et sa soierie, remplacée. Il a depuis réintégré le salon Doré à l’Elysée. Photo : Philippe Petit
Pour l’heure, sept appliques de la salle des Fêtes de l’Elysée sont en attente de mise aux normes électriques. Toutes les autres y passeront, comme les 15 lustres, déjà abaissés d’un mètre à la demande du couple Macron, afin de laisser vivre les riches décors du plafond. Ils ont aussi fait retirer de lourdes tentures pourpres, corniches et passementeries, qui assombrissaient le lieu de réception et fait ouvrir les rideaux, comme tous ceux du palais, afin de dégager la vue sur le buffet d’eau et le parc. Laisser entrer la lumière, la modernité, alléger le décor, changer d’air et changer d’ère à la fois, les mots-clés d’un relooking engagé dès les premiers instants du quinquennat et mené au pas de charge.
La feuille de route : laisser entrer la lumière, la modernité, alléger le décor, inviter la couleur, l’abstraction… changer d’air et d’ère à la fois
Deux jours à peine après l’investiture, Valérie Glomet, responsable de la mission ameublement au sein du Mobilier national, a senti le vent du renouveau. En fonction depuis le second mandat de Jacques Chirac, cette historienne d’art résume les exercices récents : «Nicolas Sarkozy a, par exemple, fait aménager un second bureau au rez-de-chaussée, avec du mobilier contemporain de Chaix & Morel en érable, créé à l’origine pour le ministère de la Culture. Quant à François Hollande, il n’a pas voulu modifier les aménagements. Nous avons juste entretenu.» En mai 2017, le sous-préfet en charge des résidences présidentielles a fait passer le message : «Il y a un souhait de renouveler.» Conviée à l’Elysée avec cette feuille de route bien sibylline, Valérie Glomet est sortie emballée de sa réunion avec Brigitte Macron et son chef de cabinet, Pierre-Olivier Costa. Le goût contemporain clairement affirmé par la première dame, c’est une aubaine pour le Mobilier national. Les changements envisagés vont non seulement permettre un turnover des œuvres anciennes déposées depuis des décennies, de les expertiser, de les restaurer, mais aussi de dépoussiérer l’image de super-antiquaire qui colle à cette institution créée sous Colbert.
Le salon des Fougères tient son nom de la tenture murale, réédition du motif créé pour la chambre du roi Louis XVI à Compiègne. Ce décor classique, Brigitte Macron a choisi d’en faire son bureau, comme Cécilia Sarkozy, Carla Bruni-Sarkozy et Valérie Trierweiler avant elle. Bureau et chaise de Matali Crasset. Sur la cheminée, deux lampes de Coralie Beauchamp ont remplacé une horloge en bronze doré. Photo : Philippe Petit
Ce qui est inédit : la volonté de mettre des touches contemporaines partout quand, sous les Pompidou – le couple présidentiel le plus avant-gardiste –, la modernité se concentrait dans un fumoir, une salle à manger et un cabinet de toilette conçus du sol au plafond par Pierre Paulin et réservés à un usage semi-privé. Un choc esthétique à l’époque, peu apprécié du successeur Valéry Giscard d’Estaing, aux goûts bien plus classiques. Une partie fut démontée. Cette fois, en plus de mobilier de créateurs, il s’agit d’introduire tapisseries et tapis d’artistes contemporains, réalisés dans les règles de l’art sur les antiques métiers à tisser des Gobelins, de la Savonnerie et de Beauvais. Mme Macron s’est d’ailleurs rendue par deux fois au Mobilier national durant l’été, afin de se faire présenter quelques œuvres. Out les scènes mythologiques sur les murs et les motifs à ramages trop chargés, couvrant l’intégralité des parquets point de Hongrie. Place à la couleur, à l’abstraction comme dans l’emblématique salon Murat, réveillé par deux tapis à dominante rouge. Le salon Doré a subi un lifting bluffant. Le bureau plat de Charles Cressent (XVIIIe), placé à l’Elysée en 1875, a quitté sa position classique, devant la cheminée, pour s’exposer en majesté devant les immenses fenêtres. L’ensemble de sièges et canapé XVIIIe reçoit toujours les invités du président mais, à ses pieds, un tapis noir et or de Julien Gardair projette l’imposant décor classique dans le XXIe siècle.
Le salon Doré avec François Hollande en août 2012 (en haut) et tel qu’il est décoré actuellement (en bas). Photos : Thierry Esch et Philippe Petit
A partir de propositions faites sur photo, certains éléments choisis sont transportés jusqu’au palais pour des essais – on installe, on enlève, on accroche, on garde ou pas, on déplace «toujours selon le choix du couple», insistent nos interlocuteurs. Du «work in progress» main dans la main, même si Brigitte Macron a joué seule les éclaireuses au Fonds national d’art contemporain et à la Manufacture de Sèvres, pour découvrir cette institution et peut-être imaginer un nouveau service d’apparat selon le souhait du président. «De 1200 à 1500 pièces de porcelaine devront être produites quand le modèle original aura reçu l’aval de l’Elysée », confirme Romane Sarfati, directrice générale de Sèvres. Soit une à deux années de travail pour les ateliers datant de Mme de Pompadour, avant livraison de la nouvelle vaisselle des dîners officiels.
Le salon Murat, qui servit un temps pour le Conseil des ministres, a retrouvé sa vocation de salle de réception. Tapis de l’artiste Sylvie Fajfrowska. Photo : Philippe Petit
Super-maîtresse de maison, comme le fut dans un autre style Bernadette Chirac, Brigitte Macron déclarait dans une récente interview «essayer, à [sa] manière, de [se] rendre utile aux Françaises et aux Français qui la sollicitent». Alors, dans le salon des Fougères, situé au rez-de-chaussée de l’aile Madame, où l’ont précédée Cécilia Sarkozy, Carla Bruni-Sarkozy et Valérie Trierweiler, Brigitte Macron a choisi de travailler dès 9 heures du matin sur un bureau très structuré, gainé de cuir, un design de Matali Crasset. Plusieurs trieurs à courrier s’empilent à main droite, appelant son attention ou sa signature. Deux lampes contemporaines de Coralie Beauchamp habillent la cheminée en place de l’horloge, qu’elle a fait remiser au Mobilier national. De son fauteuil, la vue sur la « broderie de buis » et le bonsaï époque Chirac, végétaux à croissance lente, lui rappelle peut-être que les présidences passent quand l’Elysée demeure…
En haut de l’escalier Murat, le palier des Huissiers, antichambre du pouvoir, par lequel on accède au bureau présidentiel. Tapis de Christian Bonnefoi, canapé et fauteuils d’Eric Jourdan pour Cinna. Photo : Philippe Petit
Au rez-de-chaussée de l’aile Madame, partie semi-privée du palais. Les invités sont reçus dans le salon de la Cartographie, métamorphosé. Canapé et fauteuil d’Andrée Putman, tapis d’André-Pierre Arnal. Au fond, console Jean-Michel Wilmotte et «A Bigger Book», de David Hockney, sur son lutrin. Photo : Philippe Petit