Le dernier classement Forbes des milliardaires africains révèle une hiérarchie en partie ignorée. Trois des plus riches industriels du continent sont des magnats du ciment, et deux sont originaires du Nigeria.
Il s’agit comme toujours dans ce genre de classement, d’une richesse « virtuelle », calculée sur la valeur des actions boursières détenues à un instant T.
« Pour la dixième année consécutive, Aliko Dangote du Nigeria est la personne la plus riche du continent, avec une fortune de 12,1 milliards de dollars, soit 2 milliards de plus par rapport à la liste de l’année dernière », écrit Forbes.
Le groupe d’Aliko Dangote est numéro un du ciment en Afrique. Et en 2020, Aliko Dangote n’a pas été malheureux. Le cours de l’action Dangote Cement, principale société de sa holding, a fait un bon de 30%.
Un autre magnat du ciment nigerian, Abdul Samad Rabiu, fait aussi sensation dans le classement Forbes. La valeur des actions de sa société BUA Cement PLC, a doublé au cours de l’année dernière. Or Abdul Samad Rabiu et son fils, détiennent 97% des actions de la compagnie. Conséquence, Rabiu se classe désormais au sixième rang des fortunes africaines, avec une valeur boursière s’élevant à 5,5 milliards de dollars.
A ce duo, on peut également ajouter l’homme d’affaire égyptien Nassef Sawiris, second du classement Forbes avec 8,5 milliards de dollars d’actifs. Si son porte-feuille boursier est plus diversifié, il est tout de même actionnaire à 5% du groupe cimentier Lafarge Holcim. Et c’est en développant Orascom, l’entreprise familiale fondée par son père, qu’il a bâti sa fortune autour du ciment. En 2007, il a vendu la division ciment à Lafarge pour 8,8 milliards de dollars !
Sans ciment pas de construction
Ces résultats boursiers confirment une évidence. Moins médiatisé que le secteur pétrolier ou que celui des mines, le ciment est pourtant un secteur clé dans le développement du continent africain. Il accompagne notamment l’urbanisation du continent, qui a vu fleurir les mégapoles et la multiplication des infrastructures.
En 1960, l’Afrique comptait 30 millions de citadins. A l’époque, seules Lagos et Le Caire dépassaient le million d’habitants. En 2010, ils étaient 415 millions d’urbains, et 93 agglomérations comptaient au moins un million d’habitants.
En 2016, selon le cabinet Deloitte, l’immobilier représentait un quart des 286 projets de BTP de plus de 50 millions de dollars du continent, faisant jeu égal avec le secteur de l’énergie.
Et la demande est insatiable. Selon une analyse de The Conversation, reprise par Le Point, chaque année l’Afrique a besoin de quatre millions de logements supplémentaires. Aucun pays ne peut répondre à une telle pression. Aussi, faute d’une offre formelle, les habitants se tournent vers l’auto-construction. Ainsi, selon un rapport de l’ONU, 75% des logements de Kinshasa se situent dans des bidonvilles.
Les grands projets portent la demande
Mais la demande en ciment est également portée par des méga-projets d’équipement comme le barrage de la Renaissance en Ethiopie, ou la future usine hydroélectrique Inga3 sur le fleuve Congo.
Du nord au sud, l’Afrique a vu fleurir en deux décennies des infrastructures gigantesques, pour le plus grand bonheur des cimentiers. Des ports, des ponts, des voies ferrées, des barrages hydroliques ont été construits souvent grâce à une manne chinoise qui semble sans limite.
Or, dans de nombreuses régions du continent, faute de production locale, il a fallu faire appel à l’importation. Les groupes cimentiers déjà bien établis ont alors investi, multipliant les usines, et par voie de conséquence les volumes.
Accroître l’offre
Ainsi selon Jeune Afrique, c’est à l’étranger que Dangote est allé chercher sa croissance, assurant 30% de son chiffre d’affaire dans des pays comme le Cameroun ou encore le Ghana et l’Ethiopie. Selon une étude citée par Le Point, tous secteurs confondus, la République démocratique du Congo a un besoin annuel de 10 millions de tonnes de ciment.
Voilà pourquoi au fil du temps, le secteur cimentier africain est devenu très prospère. Pour l’heure, il semble à l’abri des critiques. Il est pourtant très énergivore, et accapare ainsi, lors de sa fabrication, une part importante des ressources en pétrole ou en électricité dans des pays souvent en manque.
Mais la menace pour le secteur vient peut-être de lui-même, et d’une saturation de l’offre. Lorsque le processus de rattrage sera achevé, les cimentiers devront se mesurer entre eux pour conserver leur part de marché. Déjà, la crise du coronavirus a touché la demande. Devenu majeure, l’industrie du ciment en Afrique n’offrira sans doute plus les mêmes marges financières.