« Monsieur l’ambassadeur, soyez mon interprète auprès de mon ami Xi Jinping pour lui transmettre mes sincères remerciements. » Depuis le tarmac de l’aéroport Blaise Diagne, le président sénégalais Macky Sall s’exprime, ce mercredi soir, lors d’une allocution retransmise en direct à la télévision. Derrière lui, on s’affaire à décharger l’avion qui vient d’atterrir. À son bord ? Les 200 000 premières doses de vaccins anti-Covid du pays, en provenance directe de Chine.
Cette livraison au Sénégal n’est pas un épiphénomène. Les livraisons de vaccins depuis la Chine vers des pays d’Afrique se sont multipliées ces dernières semaines. L’Égypte, le Maroc, la Guinée Équatoriale ou encore les Seychelles ont reçu le précieux vaccin chinois. Lundi, le Zimbabwe a reçu 200 000 doses du vaccin Sinopharm, offertes par la Chine, avant de s’engager à en acheter presque 2 millions. Dans le même temps, l’Union européenne, qui peine à avoir assez de doses pour elle-même, a chargé l’ONU de répartir les doses réservées via le dispositif Covax, dont on attend encore les livraisons.
L’Afrique, un appui politique
La Chine en Afrique, ça n’a rien de nouveau. « On peut dire que ça fait une vingtaine d’années que les Chinois y ont développé leur présence », détaille Thierry Vircoulon. « Tout remonte à 1989, lors de Tian’anmen, quand la Chine s’est rendu compte que si elle pouvait trouver dans les pays occidentaux des appuis économiques, elle n’y trouverait pas d’appuis politiques, détaille Thierry Pairault. À partir de ce moment-là, la Chine a regardé vers l’Afrique pour en trouver. »
Depuis, les investissements chinois sur le continent africain se sont accélérés. Selon les chiffres du ministère du Commerce chinois, ils sont passés de moins d’un milliard de dollars en 2004, pour l’ensemble du continent, à plus de 44 milliards en 2019. « La Chine importe des matières premières d’Afrique et y exporte des produits manufacturés », relève Thierry Vircoulon. L’Afrique, en plein développement, et où l’on attend une explosion démographique dans les prochaines années, se révèle être un marché économique intéressant pour la Chine, d’autant plus dans un contexte où elle éveille de la méfiance ailleurs.
Vers d’autres cibles chinoises ?
Le sujet inquiète. Mercredi, Emmanuel Macron s’est entretenu avec plusieurs dirigeants africains sur le sujet des vaccins. « La lenteur de la campagne de vaccination dans les pays pauvres, en particulier en Afrique, est inexplicable et intolérable », a-t-il déploré. Interrogé jeudi sur France Inter, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a balayé la politique chinoise : « Ce n’est pas parce qu’on dépose des doses de vaccin sur un tarmac qu’on a une politique vaccinale », rappelant que les vaccins chinois n’ont pas été approuvés ni par l’Organisation mondiale de la Santé ni par l’Agence européenne du médicament.
« La Chine accompagne ses livraisons d’un narratif, relève Thierry Pairault. Tout est filmé, retransmis, des messages de remerciement sont envoyés… Et il n’y a pas de narratif face à cela : la France est muette, l’Europe est muette… La France n’est plus en mesure d’avoir une quelconque posture. Il y a, en Afrique, une invisibilité totale des Occidentaux. Mais quand un Chinois lève le petit doigt, tout le monde est au courant. »
La Chine pourrait déployer sa stratégie bien au-delà de l’Afrique. « Il faut s’attendre à des livraisons dans des pays de l’Amérique du Sud », pronostique Thierry Vircoulon. En Union européenne, la Chine a aussi marqué des points : la Hongrie a décidé d’autoriser et d’acheter, sans l’aval de la Commission européenne, des doses du vaccin Sinopharm. Et le président hongrois, Viktor Orban, de justifier ce changement de cap par la lenteur de l’Union européenne : « Chaque jour que nous passerions à attendre Bruxelles, nous perdrions cent vies hongroises. »