Mort de George Floyd: les jurés confrontés d’emblée à la vidéo de son agonie
Les jurés au procès du meurtre de George Floyd ont vu lundi la captation vidéo des derniers moments de la victime, le 25 mai 2020 sous le genou d’un policier. Celui-ci encourt jusqu’à 40 ans de prison.
Les jurés au procès du meurtre de George Floyd ont été replongés lundi au cœur de ce drame qui a bouleversé l’Amérique, par une vidéo quasi insoutenable de l’agonie du quadragénaire noir, mort sous le genou d’un policier blanc. Après trois semaines de sélection des jurés, les débats de fond ont commencé avec l’exposé de deux versions irréconciliables du drame, et de premiers témoignages troublants.
Le policier blanc Derek Chauvin, 45 ans, a « trahi » son serment et fait « un usage excessif et déraisonnable de la force » contre George Floyd, a dénoncé d’emblée le procureur Jerry Blackwell. Faux, « il a fait exactement ce qu’il a été formé à faire au cours de ses 19 ans de carrière » pour appréhender un suspect récalcitrant, a rétorqué son avocat Eric Nelson.
« Je ne peux pas respirer »
Le 25 mai à Minneapolis, Derek Chauvin et trois collègues ont voulu arrêter cet Afro-Américain de 46 ans, soupçonné d’avoir écoulé un faux billet de 20 dollars pour acheter des cigarettes. Ce dernier refusant de monter dans leur véhicule, ils l’ont plaqué au sol et menotté. Derek Chauvin a alors placé son genou droit sur le cou de George Floyd pendant 9 minutes et 29 secondes. « Ça a pris tout ce temps », a souligné Jerry Blackwell avant de diffuser une vidéo de son calvaire, filmé par une passante.
Vidéo. A Minneapolis, 8 minutes et 46 secondes de recueillement pour George Floyd
Sur cet enregistrement qui a fait le tour du monde, le père de famille noir râle, halète, supplie à plusieurs reprises « Je ne peux pas respirer », avant de perdre conscience. Ses derniers mots sont devenus le cri de ralliement de millions de manifestants antiracistes qui ont battu le pavé pendant plusieurs semaines à travers les Etats-Unis, mais aussi en Asie, en Europe et ailleurs.
Dans ce contexte, les parties ont eu beau assurer que ce procès n’était ni « celui de la police » ni « politique », personne n’est dupe. Des millions d’Américains ont les yeux rivés sur les audiences, retransmises en direct.
Même le président démocrate Joe Biden, qui a fait de la lutte contre les « injustices raciales » une de ses priorités, « suivra les débats avec attention », a fait savoir la Maison Blanche. C’est « un référendum sur le chemin parcouru par l’Amérique dans sa quête d’égalité et de justice pour tous », a estimé Ben Crump, l’avocat de la famille Floyd.
« L’Amérique en procès »
« Chauvin est sur le banc des accusés, mais c’est l’Amérique qui est en procès », a renchéri le révérend et militant des droits civiques Al Sharpton qui, avec les proches de George Floyd, s’est agenouillé en silence pendant environ neuf minutes à l’extérieur de la salle d’audience. Les poursuites contre des policiers sont très rares aux Etats-Unis, et les condamnations encore plus. Le verdict des jurés, attendu fin avril ou début mai, a donc valeur de test pour le système pénal américain après la mobilisation de l’été.
Inculpé de meurtre et d’homicide involontaire, Derek Chauvin encourt jusqu’à 40 ans de rétention. Remis en liberté sous caution, il comparaît libre. Ses trois ex-collègues, Alexander Kueng, Thomas Lane et Tou Thao, seront jugés en août pour « complicité de meurtre ».
D’après son avocat, Derek Chauvin s’est contenté de suivre des procédures autorisées et n’a pas causé la mort de George Floyd. Son coeur s’est arrêté « à cause d’une hypertension, d’une maladie coronarienne, de l’ingestion de méthamphétamine et de fentanyl », un puissant opiacé dont il était consommateur, a assuré maître Eric Nelson. Mais pour les procureurs, le policier a manifesté un mépris évident pour la vie de George Floyd en maintenant sa pression bien que celui-ci se soit évanoui, et que son pouls ait disparu.
Les témoins de l’accusation
Pour prouver que son attitude sortait de la norme, ils ont convoqué comme premier témoin la standardiste qui avait dépêché les forces de l’ordre sur place. Jena Scurry a raconté avoir suivi d’un oeil leur intervention sur une caméra de surveillance. « J’ai cru que l’image s’était figée » tant ils sont restés longtemps immobiles, « mon instinct m’a dit que quelque chose clochait », a-t-elle confié.
Elle avait alors décidé d’appeler un responsable policier. « Vous allez peut-être dire que je suis moucharde », lui avait-elle dit avant de lui signaler l’incident. L’accusation a également appelé à la barre deux témoins de la scène, dont un jeune homme noir de 33 ans, qui s’est rappelé avoir vu George Floyd réclamer sa mère, et « lutter pour chercher de l’air ».
Donald Williams, qui pratique les arts martiaux, assure avoir reconnu la prise effectuée par Derek Chauvin et l’avoir interpellé: « eh, tu lui fais une prise d’étranglement sanguin! ». La technique, utilisée dans certains sports de combat, coupe l’afflux de sang. « Il m’a regardé », a ajouté Donald Williams. Son témoignage a été interrompu par un souci technique et l’audience ajournée abruptement jusqu’à mardi 09h30, heure locale.