A Saint-Paul de La Réunion, Cimendef esclave d’Ubu ?

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Cimendef Périphériques
@Luc Boegly

Comment un bâtiment peut-il se retrouver au cœur de batailles politiques locales et en sortir sans dommage ? Leçon de résilience, avec le désormais conservatoire à rayonnement régional de Saint-Paul à La Réunion, imaginé sous forme de médiathèque par l’agence parisienne Périphériques il y a plus de dix ans.

Faire appel au concept de résilience en architecture, c’est imaginer un lieu conçu il y a au moins plusieurs dizaines d’années ou qui aurait eu milles vies. C’est envisager le temps long de l’architecture. Pourtant, à Saint-Paul, vaste commune de la côte ouest réunionnaise, se dresse depuis tout juste cinq ans un étrange bâtiment qui aura réussi l’exploit de s’adapter à une nouvelle destination, avant même d’avoir achevé sa première croissance.

Revenons dix ans en arrière. Nous sommes en 2010, Madame le député-maire de la commune, Huguette Bello, figure du parti communiste local, porte un projet culturel avec force et conviction, expliquant avoir « l’ambition de donner un lieu de référence de la culture créole, un catalyseur de la vocation d’écrivain ». L’idée est généreuse. C’est beau comme du Pagnol. L’histoire en sera une, à la Pagnol.

L’édile ne manque ni de ressources ni d’à-propos puisque sur le territoire de sa commune les grands projets vont bon train. La route des Tamarins est enfin en service pour relier le nord et le sud de l’ile et un projet de Tram-Train est bien avancé. Qui dit rails et route dit aussi bus pour relier la ville basse à ses hauteurs escarpées. A la sortie de la route, une gare avec des connexions pour irriguer un territoire où la culture a historiquement un peu de mal à trouver son public. L’idée est belle, démocratique. Le concours pour la médiathèque Cimendef, là où travaillent les urbanistes de l’AUC, est lancé.

Cimendef Périphériques
@Luc Boegly
Saint-Paul
@Luc Boegly

Lauréat du concours, David Trottin, de l’agence Périphériques, explique que « l’îlot était à l’échelle métropolitaine, le bâtiment, 30 m de haut, le plus haut de Saint-Paul ». Il s’agissait d’en faire une nouvelle centralité urbaine ». Rien d’anodin pour qui connaît un peu la physionomie des villes créoles. « Avec une telle ambition, le programme s’est vite retrouvé hypertrophié, par rapport à l’échelle de la ville ou plutôt du quartier » raconte-t-il à Chroniques.

Périphériques remporte la compétition en proposant un bâtiment à la façade symbolique rappelant les pages des livres et la stratification des savoirs au sein d’une médiathèque. Tout un programme qui siège sans gêne dans ce gigantesque cube, largement ouvert.  « Nous avons gagné grâce à un système de ventilation naturelle complexe qui joue avec les grandes hauteurs des plateaux », se souvient l’architecte.

Saint-Paul Cimendef Périphériques
@luc boegly

La vie aurait pu être belle comme une plongée dans le lagon mais, en architecture, rien n’est jamais acquis, surtout dans ces territoires où les jeux politiques se font et se défont au gré des élections.

Les études sont cependant rondement menées, l’agence s’offre même le luxe de suivre son chantier, en venant toutes les deux semaines. Et puis, en 2014, le chantier déjà bien avancé, l’édile est battu à plate couture par son opposant historique, personnage haut en couleur et figure de la droite locale. Pas de doute, s’il gagne la partie, c’est parce qu’il a vaillamment fait campagne contre la médiathèque Cimendef.

A peine élu, Joseph Sinimalé stoppe le projet, « aux trois quarts achevé » précise David Trottin. En tous points, cette décision est une aberration : des entreprises locales feront faillite tandis que des millions d’euros semblent partir en fumée. Le bâtiment reste seul avec lui-même pendant un an.

Projet culturel, « les travaux initiaux avaient en partie été financés par la DRAC » et le nouvel arrivant ne pouvait décemment pas faire ce que bon lui semblait. A l’échelle de la ville, propriétaire de ce chantier vide et arrêté, il s’agit bientôt de sauver la face, le bâtiment finalement revendu à la Région. Sauf que les médiathèques et ses équipements et ses livres étant gérées par les communes, l’ouvrage doit maintenant changer de destination. Alors pour ménager la chèvre et le chou, une idée germe en haut lieu. La médiathèque deviendra un conservatoire à rayonnement régional ! Rien que ça !

Saint-Paul
@Luc Boegly

De nouvelles études sont alors lancées en 2017 pour adapter la future-ancienne médiathèque en bientôt-conservatoire. L’agence Périphériques doit alors se montrer déterminée pour conserver la main sur un projet même pas encore livré, pour un maître d’ouvrage qui a changé en cours de route.

L’exercice, complexe, est désormais d’insonoriser un bâtiment situé à 200 mètres d’une voie rapide. « D’autant que la médiathèque d’origine n’avait pas de forte ambition acoustique dans la mesure où ce type d’équipement reste peu normé, contrairement à un conservatoire », précise l’architecte.

Heureusement, la structure, poteaux-dalles et les grandes hauteurs de planchers ont permis aux architectes de faire évoluer le bâtiment en insérant des boîtes dans la boîte, isolées du sol et des plafonds, afin de conserver les grands volumes d’origine.

Malgré une programmation aussi pompeuse, le bâtiment est encore trop grand et il reste de l’espace à ne plus savoir qu’en faire. Aujourd’hui, le conservatoire occupe les étages du R+3 au R+6 tandis que le RDC, le R+1 et le R+2 sont encore inoccupés. Les associations locales qui auraient dû s’y installer ont trouvé plus de calme ailleurs. Ces trois niveaux ne seraient-ils pas l’occasion de ramener un peu de livres dans ce lieu en créant une médiathèque plus à l’échelle ?

C’est du moins une idée qui a fait son chemin en 2019 quand, quelques mois à peine après la réélection d’Huguette Bello à la mairie de Saint-Paul, le président de la Région Réunion, Didier Robert, a proposé de laisser 555 m², sur les 3 200 du bâtiment, à la médiathèque, rebaptisée pour l’occasion « espace culturel ».

Les péripéties ne pouvaient s’arrêter en si bon chemin ! il est question désormais de la facture, passée de 18 à 24 M€. Un gâchis !

Saint-Paul
@Luc Boegly

Evidemment, la posture est politique puisque la dame se présentera aux élections régionales dans quelques mois. Cependant, afin de bien signifier l’outrage, elle refuse désormais d’inaugurer le conservatoire / médiathèque. Cimendef, un neg’marron légendaire qui doit donner son nom à l’équipement, devra attendre au moins jusqu’aux élections !

Au demeurant, le Happy-End est au rendez-vous. Grâce à la proposition initiale qui répondait à une demande hypertrophiée par rapport aux usages d’un quartier, la structure simple et les grands volumes ont favorisé la résilience du lieu. A la fin de l’histoire, ce sont cependant les enfants de Saint-Paul qui font les frais de ces micmacs politiciens.

Si aujourd’hui concevoir un bâtiment évolutif est bien souvent une chimère, à Saint-Paul, avec déjà deux vies à son actif, le conservatoire à rayonnement culturel montre que quoi qu’il advienne, il aura autant de ressources qu’un vieux briscard de la politique.

Alice Delaleu

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