
EDITO – Marine Le Pen a dérapé ce week-end, ce que n’a pas manqué de relever Eric Dupond-Moretti qui a fait le choix courageux de s’attaquer à la candidate sur ses terres. En la poussant dans ses retranchements, il espère révéler sa vraie nature et la « rediaboliser ». Un pari audacieux.

Marine Le Pen a dérapé ce week-end. Du pain béni pour Eric Dupont-Moretti qui a choisi de l’affronter sur ses terres.
S’attaquer à la normalisation
Tête de liste dans le département du Pas-de-Calais, l’ex-avocat n’a pas manqué de rappeler pourquoi le choix ce combat politique- aujourd’hui le plus rude qui soit: » tout ce que porte Marine Le Pen, je l’exècre ». Et de préciser, avec bon sens, que » Xavier Bertrand, lui, n’est pas un ennemi ». Personne, ni à droite ni à gauche, ne s’exprime plus de la sorte envers la cheffe du RN, non seulement dédiabolisée mais encore notabilisée. Cette normalisation Le Pen laisse Éric Dupont-Moretti indifférent; cette simili respectabilité ne le démonte en rien: » je ne veux pas chasser sur les terres du Front National [ remarquons qu’ il prend grand soin de ne jamais dire ni écrire Rassemblement national pour de la sorte ramener Le Pen Marine à Le Pen Jean-Marie], je veux chasser le FN de cette terre , je veux démontrer que le projet du FN est une imposture ». Pari hardi, peut-être d’avance perdu, tant l’extrême-droite est ultra puissante dans ce Nord ouvrier et populaire, tant les partis de gauche se sont désagrégés, tant les différentes offensives anti-Le Pen ont échoué- à l’exception de la victoire de Xavier Bertrand aux élections régionales 2016 dans un contexte particulier il faut la rappeler puisque la gauche s’était retirée au second tour pour obtenir un report quasi parfait de ses électeurs sur le candidat du « front républicain ».
La réplique de Marine Le Pen à Éric Dupont-Moretti était donc guettée; elle est tombée, sans surprise particulière: » j’ai vu beaucoup de fort en gueule venir ici, ils sont tous assez rapidement repartis, plutôt humiliés par l’expérience ». Elle visait en particulier Jean-Luc Mélenchon venu la défier aux législatives de 2012, promettant un sort identique au ministre de la justice. Il n’est d’ailleurs pas exclu que, dans quelques semaines, les résultats des régionales lui donnent raison… Les observateurs attendaient déjà le prochain épisode de cet affrontement spectaculaire haut en couleur dans un milieu politique désormais bien terne, un retour aux règles traditionnelles des affrontements musclés. Mais voilà, dès l’échange initial, aussitôt les premiers coups portés, la présidente du Rassemblement national a dérapé. Elle s’est perdue comme jamais. Dans l’indécence.
Rediaboliser Marine Le Pen
Des mots, les siens, d’une sidérante vulgarité : » l’obsession de Monsieur Dupont-Moretti à mon égard commence à devenir relativement étrange. Il parait qu’il reste quelques bracelets « anti-rapprochement » en rab, je suis preneuse ». « En rab », le vocabulaire d’une postulante à l’Élysée… Marine Le Pen Pen ose ainsi faire allusion de façon moqueuse au récent féminicide de Mérignac, ce fait divers qui a bouleversé les Français, cette femme brûlée vive par son mari qui, en effet, n’était pas équipé dudit bracelet visant à le tenir éloigné de sa victime potentielle. « Trait d’ironie », a fait aussitôt savoir l’entourage de Le Pen pourtant conscient de la bourde. Il allait de soi que les commentaires, que les répliques seraient à la fois scandalisés et cruels. » Un peu de décence en rab, peut être, Madame… « , s’autorise Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté. Président des députés LREM, l’ex-ministre de l’intérieur Christophe Castaner renchérit: » comparer votre peur du débat avec Éric Dupont-Moretti avec ce que vivent les victimes de violences est abject. Ce n’est pas étonnant de votre part, mais abject » Et bien d’autres encore, la députée européenne Karima Delli , chef de file dans les Hauts-de-France d’une liste régionale Verts-union des gauches- » elle est prête à toutes les provocations immondes, indécentes « , ou encore la ministre déléguée à l’égalité hommes-femmes Elisabeth Moreno- » la politique politicienne ne justifie pas tout. C’est la dignité la plus élémentaire qui vous manque « . Et qui porte le dernier coup, le plus sévère? Dupont-Moretti, cela va de soi, il sait faire: » dans cette famille, ils ont le goût de la blague douteuse et du calembour de mauvaise facture. Je trouve ça d’une indécence incroyable, d’une grossièreté sans nom. Mais elle préfère ses blagounettes scandaleuses qu’un véritable débat ».
Pendant ce temps, Xavier Bertrand se tait. On peut entendre et comprendre qu’il souhaite se tenir au plus loin de ce duel brutal, musclé. Cela ne pourra pourtant pas durer et il le sait, car le sortant a besoin lui aussi de ratiboiser l’extrême-droite. Quant à Jean-Luc Mélenchon, qui entretient à l’accoutumée d’exécrables rapports avec le ministre de la justice, il l’incite » à tenir bon « . Il y pousse d’autant plus que le « lider maximo » de la France Insoumise considère – et il a pour partie raison- que « de toute façon, Marine Le Pen a bénéficié d’une immense complicité de la classe politique traditionnelle qui l’a aidée à se dédiaboliser ». C’est tout le sens de l’opération Dupont-Moretti: re- diaboliser l’extrême-droite et sa cheffe.
Est-ce encore possible?