Réputée pour ses guides architecturaux pointus, la maison d’édition allemande DOM vient de dévoiler une collection événement consacrée à l’architecture subsaharienne. Au programme, sept tomes explorant 49 pays via autant de chapitres sous la plume de 350 auteurs. Un travail magistral soutenu par deux éditeurs, Philipp Meuser et Adil Dalbai, qui ont répondu aux questions d’IDEAT.
Qu’est-ce qui a motivé la publication de ce livre ?
Philipp Meuser et Adil Dalbai : L’idée remonte à 2014. À cette époque, nous travaillions en tant qu’architectes sur un premier projet en Afrique de l’Ouest, et le processus de recherche d’informations générales sur les bâtiments dans cette zone était laborieux. Bien qu’il existe des publications spécialisées sur des aspects particuliers, nous avons estimé qu’il y avait un manque criant d’enquêtes ambitieuses qui examinent le bâti de l’Afrique pour lui-même.
Qu’apporte cet ouvrage par rapport aux précédentes publications ?
Les sept volumes de ce guide se démarquent tant par leur portée que par leur ambition, puisque pour la toute première fois, l’architecture de tous les pays sub-sahariens est présentée dans une seule publication, en 49 chapitres individuels. Cette vue d’ensemble systématique, réunissant près de 350 auteurs, permet d’établir des parallèles et des comparaisons directes des diverses architectures de ces pays, et de parcourir virtuellement tout le continent au sud du Sahara. Habituellement, les éditeurs ne choisissent que quelques faits saillants, ou se concentrent sur des régions ou des époques spécifiques, alors que nous avons essayé de donner un aperçu représentatif des réalités construites en Afrique au-delà des images et des clichés habituels. Le premier volume d’introduction apporte une connaissance approfondie du contexte théorique et historique et peut donc contribuer à stimuler le débat en cours sur le rôle mondial de l’environnement bâti de l’Afrique et ses contributions à la théorie architecturale.
« Un rôle crucial pour les architectes contemporains »
Pourquoi avoir exclu l’Afrique du Nord de ce guide ?
Il y a déjà beaucoup plus de littérature sur les États du Maghreb et l’Égypte par rapport aux pays au sud du Sahara. Mais plus important encore, l’Afrique du Nord a sa propre histoire architecturale, sa propre culture du bâtiment. Il a des liens historiques beaucoup plus forts et plus anciens avec le bassin méditerranéen, bien que les frontières soient toujours floues. Par exemple, nous avons inclus la Mauritanie et le Soudan, qui sont autant influencés par les traditions de construction arabes que par les méthodes africaines. Et bien sûr, le Sahara n’a jamais été une barrière insurmontable, car les personnes, les biens et les idées – et par conséquent les influences architecturales… – ont toujours circulé à travers ce désert. Néanmoins, les paysages architecturaux au sud du Sahara ont leurs propres caractéristiques, qui méritent d’être couvertes dans une publication qui leur est exclusivement consacrée.
Dans le livre, vous présentez des constructions traditionnelles. Ont-elles influencé d’autres bâtiments plus contemporains présents dans le livre ?
Les constructions traditionnelles constituent une grande partie de l’environnement bâti du continent et sont trop souvent négligées dans les publications récentes. Le traditionnel ne se limite pas aux structures historiques mais inclut également les pratiques quotidiennes de non-architectes. Ces constructions sont présentées en raison de leur rôle crucial pour les architectes contemporains. Elles influencent les projets récents, non seulement en termes de design, de couleur et d’ornementation, mais sont également une source d’inspiration pour des méthodes de construction nouvellement redécouvertes, une adaptation climatique et une intégration forte et donc durable dans les communautés locales.
Pouvez-vous nous décrire une technique de construction ou une figure de style architectural originaire d’Afrique, couramment utilisée aujourd’hui dans le reste du monde ?
L’origine de l’humanité se situe en Afrique. En ce sens, non seulement l’existence d’Homo sapiens mais aussi les techniques de construction ont leurs origines en Afrique. Les discours européens sur la théorie architecturale seraient difficilement concevables sans la question de l’ornement du corps humain ou de la beauté de la façade. Dans certaines régions d’Afrique, cette compréhension du corps, de l’objet et de l’espace est visible. Dans d’autres parties du monde, ces éléments ont été perdus en raison de la technologie et de l’évolution des traditions. Ce que nous ne devons pas faire, cependant, c’est simplifier les choses en assimilant un motif coloré à l’art africain par exemple. Il est intéressant de se pencher sur la théorie des fractales mathématiques, par exemple. On y trouve des détails qui font écho aux régularités de l’architecture africaine. À cet égard, nous ne sommes probablement qu’au début d’une nouvelle compréhension du rôle de l’Afrique dans la pratique et la théorie architecturale.
« Il était crucial d’inclure l’époque colonial »
Était-il évident pour vous d’inclure des bâtiments de la période coloniale ?
L’un de nos objectifs est de fournir une sélection représentative de l’environnement bâti de l’Afrique subsaharienne, qui est encore influencé par les bâtiments de l’époque coloniale dans de nombreux pays. Il était donc crucial de les inclure, mais en même temps de refléter de manière critique les conditions et les influences de l’époque de leur construction ainsi que leur rôle dans l’Afrique contemporaine. Cela ne concerne pas seulement les architectures des premiers temps du colonialisme, mais aussi les bâtiments et infrastructures construites après la Seconde Guerre mondiale, juste avant la fin de la domination coloniale.
« Des États marqués par des décennies de luttes pour le pouvoir ou de dictatures »
Pour vous, quel bâtiment symbolise la fin de cette période ?
Chaque parlement de ces États nouvellement indépendants peut être considéré comme un tel jalon. Malheureusement, de nombreux États d’Afrique subsaharienne sont marqués par des décennies de luttes pour le pouvoir, de guerres civiles ou de dictatures, de sorte que la fin de l’ère coloniale n’a souvent pas été synonyme de liberté pour beaucoup de gens. Si nous considérons le passé plus récent et jetons un coup d’œil au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, par exemple, c’est un grand bâtiment confiant qui se veut un symbole pour tout le continent. Mais à quel point l’Afrique est-elle indépendante aujourd’hui ? N’est-ce pas une nouvelle forme de colonisation lorsque la Chine, à travers des modèles économiques douteux, finance non seulement ce siège mais plonge également les États de tout le continent dans une dépendance économique et politique ?
Quels sont les dix chefs-d’œuvre de votre sélection ?
1/ Le Hikma religious and secular cultural complex à Dandaji au Niger (Atelier Masomi). 2/ Opera village à Laongo, au Burkina Faso (Kéré Architecture). 3/ Smiling Lion Building, à Maputo au Mozambique (Pancho Guedes). 4/ Zeitz MOCAA Museum à Cape Town en Afrique du Sud (Studio Thomas Heatherwick). 5/ Eastgate Centre à Harare, au Zimbabwe (Mick Pearce). 6/ L’Ambassade d’Afrique du Sud à Addis Abeba en Ethiopie (MMADesignStudio). 7/ L’Hôtel de Ville de Yaoundé au Cameroun (Armand Salomon). 8/ L’école primaire d’Ilima en République démocratique du Congo (MASS Design Group). 9/ La Faculté d’Architecture de Kigali au Rwanda (Patrick Schweitzer & Associés). 10/ La mosquée Al-Nilin à Morada au Soudan (Gamar Eldowla Abdelgadir).
« David Adjaye est l’un des architectes africains les plus connus au monde »
Vous indiquez dans votre livre que certaines techniques traditionnelles, notamment au Niger, ont été réutilisées au XXIe siècle…
Les formes de construction traditionnelles peuvent rarement être attribuées à un pays précis… La question est plutôt de savoir quels matériaux et quels outils les habitants utilisent pour construire leurs maisons. Ce que les architectes du monde occidental peuvent apprendre de l’Afrique, ce sont des choses élémentaires. Par exemple, une maison peut être confortable même sans climatisation, si la ventilation naturelle est envisagée dès le départ, comme dans le cas mentionné du Niger. Nous pouvons également apprendre des solutions et matériaux de recyclage. Mais notre lobby du bâtiment et les normes applicables ne le permettent que trop rarement en Europe…
Quelles sont les figures de la discipline que vous conseilleriez de suivre ?
David Adjaye et Francis Kéré sont aujourd’hui les architectes africains les plus connus au monde, même s’ils vivent en Europe ou en Amérique du Nord. Ce n’est en aucun cas une critique mais un fait très compréhensible. Tous ceux qui s’intéressent à l’architecture en Afrique devraient profiter de chaque opportunité pour identifier ses acteurs.
> « Sub-Saharan Africa Architectural Guide », un ouvrage coordonné par Philipp Meuser et Adil Dalbai aux éditions DOM (148 €).