Supposée position ambiguë sur le conflit israélo-palestinien : le Sénégal a-t-il changé de fusil d’épaule ?

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Portrait de Macky SALL © Malick MBOW
Portrait de Macky SALL © Malick MBOW

Supposée position ambiguë sur le conflit israélo-palestinien : le Sénégal a-t-il changé de fusil d'épaule ?

Entre Israéliens et Palestiniens, l’heure de la réconciliation s’éloigne de plus en plus. Suite à la décision d’un tribunal de Jérusalem de valider des colonies israéliennes à Jérusalem-est, dans le quartier Sheikh-Jarrah, la violence a repris ses droits. Plateforme-palestine.org visité à Dakaractu dénombre depuis 1967, 280 colonies construites en Palestine dont 138 officiellement reconnues par Israël et près de 150 colonies « sauvages ».

Les violences ont été exacerbées par les affrontements à l’esplanade des mosquées entre policiers israéliens et palestiniens en marge de la célébration de la journée Al Qods. Les heurts ont dépassé l’utilisation de balles à blanc, gaz lacrymogènes contre jets de projectiles. Le Hamas qui tient la bande de Gaza n’a pas hésité à envoyer une salve de roquettes sur Jérusalem. Tirs auxquels l’État hébreu répond par des bombardements qui ont fait à ce jour plus de 130 morts côté palestinien.

Molle, la réaction du Sénégal ?

Face à cette escalade de la tension, les grandes puissances se sont contentées d’appeler au calme, sans autre décision majeure pour faire cesser les hostilités. Une position épousée par beaucoup de pays africains même si certains étaient attendus sur un ton plus ferme. C’est le cas du Sénégal.

Depuis 1975, notre pays préside le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Rappel fait d’ailleurs par le président Macky Sall après la prière de Korité effectuée chez lui. Il a aussi tenu à préciser que Israël est un partenaire avant de l’inviter à « tenir compte de la situation et à agir dans le sens de l’apaisement ». Avant la sortie du chef de l’exécutif, un communiqué du gouvernement a fait part de la position du Sénégal. 

« Le gouvernement de la République du Sénégal est gravement préoccupé par la situation qui prévaut dans les territoires palestiniens et en Israël. Le gouvernement du Sénégal condamne le recours à la violence sous toutes ses formes et appelle à la retenue et à la désescalade. En sa qualité de président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, le Sénégal réitéré son attachement à l’avènement d’un État palestinien viable, coexistant avec l’État d’Israël, chacun à l’intérieur des frontières sûres et internationales reconnues », a réagi le gouvernement. 

Cette réaction a été appréciée diversement par les Sénégalais. D’aucuns trouvent que les autorités sénégalaises auraient dû montrer plus de fermeté contre l’État hébreu. Ce, compte tenu du statut historique du Sénégal qui s’est toujours fait remarquer dans la défense des droits du peuple palestinien. « Le Sénégal en tant que président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du Peuple Palestinien a juste condamné l’usage de la violence et réaffirmé le droit du Peuple palestinien à un État viable. Cette position est moins marquée que celle du Peuple sénégalais qui dans son entièreté condamne les exactions de l’État d’Israel », constate dans un entretien avec Dakaractu, le président du Cadre Unitaire de l’Islam, Cheikh Ahmed Tidiane Sy al Amine. 

Selon Mouhamadou Lamine Bara Lo, chercheur en sciences politiques et spécialisé en défense, sécurité et paix, « la communication du Sénégal répond aux nécessités présentes ». Il confie à Dakaractu : « en politique étrangère, le discours que porte un État ou ses décideurs répond à diverses intentions. Il peut avoir pour cible des acteurs en dehors du territoire ou avoir une finalité politique intérieure. C’est pourquoi la question de la fermeté est à analyser avec rigueur. À ce stade, la fermeté du Sénégal n’aurait pas une grande influence. » Mais est-ce vraiment la signification à donner à la position du Sénégal ou d’autres raisons devraient être étudiées ? Celle des représailles diplomatiques ou économiques par exemple ? Dans tous les cas, il ne manque pas d’éléments pour accréditer cette thèse. 

Israël, un État qui punit ses détracteurs 

Membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies de 2015 à 2017, le Sénégal décide de porter la résolution 2334, avec le Venezuela, la Nouvelle Zélande et la Malaisie, contre la colonisation dans les territoires palestiniens à Jérusalem Est. L’Égypte qui était l’initiatrice s’est désistée. La résolution qui n’a pas été bloquée, les américains n’ayant pas usé de leur veto, a été adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Très bien accueilli par la majorité des sénégalais, le courage du Sénégal a enregistré l’onction de beaucoup de militants de la cause palestinienne à travers le monde. 

La réplique ne s’est pas fait attendre côté israélien. Et à titre de punition, l’État Hébreu a rappelé son ambassadeur à Dakar, a annulé le voyage du ministre sénégalais des Affaires étrangères prévu en janvier 2017 en Israël. Décidé à faire payer à Dakar son audace, Tel Aviv en remet une couche en annonçant l’annulation des programmes d’aide en faveur du Sénégal. Qui ne pouvait, face à ce radicalisme israélien que faire contre mauvaise fortune, bon cœur. En d’autres mots, les autorités ont pris « note » des décisions d’Israël. 

Pourtant de l’avis de Mouhamadou Lamine Bara Lo, la position du Sénégal sur les récents événements au moyen orient ne « traduit pas une faiblesse ou une crainte de représailles de la diplomatie sénégalaise ». Pour Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Amine, cette crainte pourrait être comprise « tant que le paradigme des relations internationales entre pays du Nord et ceux du Sud ne change pas ». Sous ce rapport, « tout écart de langage diplomatique peut coûter cher aux pays les plus faibles économiquement parlant ». Sauf que de l’appréciation de M. Lamine Bara Lo « la coopération n’est pas de nature, en cas de sanctions à porter atteinte aux intérêts fondamentaux du Sénégal ». 

Après le froid de décembre 2016, les deux États n’avaient pas tardé à reprendre le fil du dialogue. Invité au sommet de la CEDEAO tenu en juin 2017 au Liberia, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rencontre le président du Sénégal. À l’issue de ce tête-à-tête, la reprise des relations diplomatiques entre le Sénégal et Israël est annoncée. Dans la foulée, il a été décidé de renforcer le partenariat entre les deux pays dans les domaines de l’agriculture et de la sécurité. En même temps, Israël était heureux de pouvoir compter sur le soutien du Sénégal pour sa candidature au poste d’observateur à l’Union africaine. Deux mois plus tard, l’ambassadeur d’alors d’Israel à Dakar, Paul Hirschson déclarait en marge d’une cérémonie de remise de vivres aux démunis : « c’est la première fois que le secteur financier israélien est disposé à investir de manière significative ici (…) nous avons soumis, la semaine dernière une proposition pour financer un projet agricole de plus de 100 millions de dollars (54 milliards FCFA) ».

Depuis, c’est « je t’aime, moi non plus » entre l’État hébreu et le pays de la « Téranga ». Cela se fait-il au détriment des intérêts et de la cause du peuple palestinien ? 

Le rôle que le Sénégal peut (encore) jouer

Mouhamadou Lamine Bara Lo est convaincu que « le Sénégal n’a pas dilué son discours ». « À chaque fois que le Sénégal est allé aux extrêmes dans ses positions, on peut voir qu’il s’est appuyé sur des résolutions qui émanaient d’un cadre multilatéral. C’était notamment le cas après la guerre du Kippour à l’issue de laquelle l’OUA, constatant l’occupation de territoires Égyptiens par l’Israël, avait défini une posture commune. Le Sénégal a par ailleurs une stratégie de moyenne puissance qui exige de pouvoir discuter avec les deux parties et, ainsi, mener des médiations. Son crédit de médiateur se trouve en quelque sorte de sa distance avec les extrêmes dans le cadre bilatéral », renchérit le spécialiste en Défense, Sécurité et Paix. 

« Selon le contexte, chaque État gère ses intérêts au mieux et la lucidité voudrait que toute situation soit appréciée avec toute la rigueur qui sied. Nos États ne sont pas dans l’émotion mais plutôt dans les réalités géostratégiques même si cette attitude ne reflète pas toujours la position du peuple », soutient président du Cadre unitaire de l’Islam. 

Cependant, la préservation de ses intérêts n’exempte pas le Sénégal de son devoir d’œuvrer pour la résolution de ce conflit. « Le Sénégal, conseille M. Lamine Bara Lo, doit continuer son travail dans le comité onusien qu’il dirige depuis sa création ». Le chercheur en sciences politiques prône le même effort au niveau des autres organisations comme l’UA où le Sénégal est actuellement dans la Troïka dirigeante ». 

« Cependant ses efforts ne peuvent ouvertement s’inscrire dans une prise de position extrême qui entacherait le crédit de médiateur du Sénégal et ne répondraient pas à des intérêts réels de notre pays », tempère M. Lo. De son coté, Cheikh Tidiane Sy al amine ne croit pas que le soutien à la Palestine doit être traité individuellement par chaque État, mais à travers une unité d’actions entre les États imbus d’un sentiment de justice à l’égard du peuple palestinien. 

« Le Comité Al Qods présidé par le Roi du Maroc et qui compte des pays comme l’Arabie Saoudite pourrait jouer un rôle important en parlant d’une seule voix pour faire entendre raison aux Israéliens et leurs soutiens occidentaux », suggère-t-il. Des soutiens occidentaux, à l’image des États-Unis qui, selon Mouhamadou Lamine Bara Lô, ont une grande part à jouer dans la résolution de ce conflit qui n’a que trop duré…

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