L’architecte italo-brésilienne sera honorée lors de la Biennale de Venise 2021. Une bonne excuse pour se pencher sur le palmarès de cette figure de l’architecture moderniste, peu connue du grand public, qui a embrassé l’art vernaculaire brésilien pour le restituer dans une architecture aspirant à l’humanisme et l’écologie.
1/ La Maison de verre (1951)
Alors qu’elle acquière la nationalité italienne en 1951, Lina Bo Bardi donne naissance aux deux grandes icônes de son catalogue la même année : la Bowl Chair, une assise sphérique habillée de cuir, qui repose sur une structure en forme d’anneau métallique, mais aussi la Casa de Vidro (maison de verre). Située à Morumbi, un nouveau quartier de São Paulo, elle s’élève sur les flancs d’une colline dont la végétation a été rasée lors de sa construction.
Seul un arbre, autour duquel la maison a été bâtie, subsiste. Elle finira par être immergée de verdure au fil des ans. Cette boîte en verre moderniste, plongée dans le paysage souligne un des aspects récurrents dans le travail de l’architecte naturalisée brésilienne : le lien entre le bâti et la nature, toujours configurés dans son travail comme des éléments égaux et complémentaires. La Casa de Vidro accueille aujourd’hui l’Institut Bardi.
2/ Le Musée d’Art de São Paulo (1957-1969)
A l’origine de cette construction, se trouve le magnat des médias brésiliens de l’époque, Francisco de Assis Chateaubriand. Il fait la rencontre en novembre 1946 de Pietro Maria Bardi, marchand d’art et journaliste italien venu au Brésil avec son épouse, l’architecte Lina Bo Bardi. Le premier aura la responsabilité de créer et diriger un musée d’art moderne à São Paulo, et la seconde de penser son écrin. La première mouture du projet devait prendre la forme d’une pyramide en verre. On lui préfèrera finalement un parallélépipède, suspendu à d’épais éléments de béton rouge, et complété en sous-sol par un théâtre.
Une boîte moderniste construite sur un plan libre et équipée de chevalets composés d’une lame de verre plantée dans un cube de béton. Conçu à l’opposé des standards muséographiques de l’époque, le MASP de Lina Bo Bardi invente une nouvelle façon de montrer l’art, en lui enlevant « cet air d’église » et en le rendant plus accessible : « Mon intention était de détruire l’aura qui entoure toujours un musée, en présentant l’œuvre d’art comme un travail, la prophétie d’un travail accessible à tous. »
3/ Solar du Unhão (1959-1963)
À la fin des années 1950, Bo Bardi part vivre et travailler pendant plus de cinq ans à Salvador da Bahia. En plus des décors conçus pour le théâtre, son œuvre architecturale à Salvador comprend le projet de rénovation du Solar du Unhão et son adaptation pour devenir un nouveau musée. Cet ensemble de l’époque coloniale va conserver son aspect extérieur, mais va être considérablement modernisé, en créant un espace d’un seul tenant. Elle y installe un imposant escalier de forme carrée, conçu à l’aide de grosses chevilles en bois, comme celles utilisées sur les chariots dans la région.
Une période déterminante pour l’architecte qui va alors découvrir la culture afro-brésilienne, qu’elle souhaite promouvoir. En explorant le Nordeste, une région très pauvre, mais riche en cultures autochtones, elle va alors acquérir un certain savoir sur les pratiques vernaculaires. « J’ai fait de mon expérience de cinq ans dans le nord-est du Brésil, une leçon d’expérience populaire, non pas comme un romantisme folklorique mais comme une expérience de simplification. » Sa découverte de l’arrière-pays brésilien a entraîné un changement majeur dans son esthétique, mais aussi dans son travail qu’elle va vouloir mettre au profit des plus défavorisés.
4/ Centre sportif et culturel SESC Pompeia (1977-1982)
A la fin des années 1970, on confie à Lina Bo Bardi les clefs d’un projet d’envergure, celui du SESC de l’usine Pompeia. Cet énorme comité d’entreprise, dédié aux employés du commerce, fait l’acquisition en 1970 d’une ancienne usine à barils pour s’y établir. Si les constructions de brique aux toits asymétriques doivent être entièrement rasées, comme le souhaite un premier architecte, Lina Bo Bardi préfère les conserver et les retravailler. Amatrice d’’architecture industrielle, son geste, qui suggère la conservation d’un patrimoine ignoré et l’idée de recyclage du bâtiment, est révolutionnaire pour l’époque.
Eclair de génie :
Elle choisit de mettre à nu les poutres et poteaux de béton, véritable squelette de l’édifice, de conserver le système primaire de circulation d’air des ateliers, et d’y faire entrer la lumière via des briques de verre. Des espaces de convivialité sont délimités par des balcons de béton, des assises modulaires, mais aussi une rivière artificielle. Cet espace qui fait office de centre culturel et sportif mais aussi de théâtre, librairie, atelier photographique, de céramique, de musique et de danse, se complète par trois verticales de béton. L’une d’elle est percée de fenêtres aux allures organiques baptisées « trous préhistoriques » par l’architecte. Des passerelles le relient à une seconde tour, située sur la rive opposée d’une rivière, qui côtoie ce qui ressemble à une cheminée, évoquant ainsi le passé industriel du lieu, mais qui est en réalité un château d’eau. Un château que Bo Bardi a voulu encore plus brut, en conservant les coulées de béton sur le pourtour de chaque cylindre.
5/ Le Teatro Oficina (1980-1994)
Pendant les années 1980, Lina Bo Bardi conçoit un édifice singulier, le Teatro Oficina. Dirigé par José Celso Martinez Corrêa, ce théâtre bouleverse les codes bourgeois de la discipline, aussi bien dans le fond que dans la forme. Figure de proue du mouvement Tropicalia, né au lendemain du coup d’État militaire, le Teatro Oficina est un vivier de culture d’avant-garde de São Paulo. Établie dans le quartier de Bexiga, la bâtisse a brûlé en 1966. D’après le récit de José Celso Martinez Corrêa, connu aussi sous le nom de Zé Celso, c’est après un trip sous acides que serait né son désir de théâtre le long d’un mur.
C’est ici qu’intervient Lina Bo Bardi. L’architecte va concevoir cet écrin théâtral sous la forme d’un espace long et étroit, le long d’une façade du théâtre accidenté, rappelant l’allure d’une rue, chapeauté par un toit rétractable. Fermé par une paroi vitrée, il est garni d’échafaudages accueillant les spectateurs, faisant ainsi allusion aux coulisses. La séparation entre scène et public devient alors bien floue.
Source : IDEAT