Le thermomètre a grimpé ces dernières semaines au Sénégal et, en parallèle, les noyades ont repris. Alors que les lieux de baignade accessibles reculent face à la privatisation du littoral, les Dakarois se ruent vers les dangereuses plages de la « Grande côte », quitte à risquer leur vie.
Pendant les six premiers mois de l’année, 48 personnes, pour la plupart âgées de 17 à 25 ans, sont mortes par noyade dans la région de Dakar, dont une majorité en juin, explique à l’AFP l’adjudant-chef d’une équipe de sapeurs-pompiers de la capitale, Abdoulaye Ndiaye.
À la même époque l’an dernier, le bilan était de 44 morts. Au niveau national, les décès par noyade de baigneurs se comptent par centaines: 279 en 2018, 250 en 2019 et 224 en 2020.
« Les plages de la mort », titrait cette semaine en guise d’avertissement le journal Sud-Quotidien, qui redoute un bilan encore plus lourd en juillet et août, période de canicule et de traditionnel « rush des jeunes » vers la mer.
Malgré les 700 km de côtes que compte le Sénégal, la « majeure partie » de ses 16 millions d’habitants « ne savent pas nager », souligne le président de l’Association nationale des maîtres-nageurs et surveillants de baignade, Ibrahima Fall.
En cause, notamment, un manque de moyens: les écoles ne dispensent généralement pas de cours de natation et Dakar, agglomération de plus de 3 millions d’habitants, ne compte qu’une seule piscine municipale.
Située sur une presqu’île à la pointe occidentale de l’Afrique, Dakar ne devrait pourtant en principe pas manquer de lieux de baignade.
Courants irrésistibles
Mais, outre que certaines plages urbaines atteignent des niveaux de pollution dissuasifs, beaucoup ont été « privatisées » par des propriétaires de bars, d’hôtels, de restaurants ou de résidences privées, souligne Ibrahima Fall.
Les baigneurs se sont repliés, selon lui, sur des plages dangereuses, interdites et non surveillées.
Pour l’essentiel, les décès surviennent sur les premiers kilomètres de la « Grande côte », qui file de la banlieue de Dakar à Saint-Louis, tout au nord du pays.
L’océan Atlantique y est souvent agité et les vagues puissantes, contrairement aux eaux plus calmes de la « Petite côte » prisée par les touristes.
Comme sur le littoral atlantique français, le principal danger de la Grande côte, ce sont les baïnes, sortes de grandes « piscines » d’eau de mer qui se vident à marée basse avec des courants parfois irrésistibles, dit l’adjudant-chef Ndiaye.
Depuis la mi-juin, les autorités ont renforcé la surveillance et la prévention, avec une présence policière accrue, des panneaux signalant les zones interdites et des campagnes de sensibilisation.
Sur la plage de Malika, près du célèbre Lac rose, où une dizaine de personnes se sont noyées à la mi-juin, un car équipé d’un haut-parleur égrène ses messages à l’attention des baigneurs.
« Juste pour prendre l’air »
« Nous montrons aux populations comment reconnaître une plage dangereuse et les consignes de sécurité », dit l’adjudant-chef Ismaïla Fall, de la Protection civile.
Certains semblent comprendre: « Je suis juste venu prendre l’air. Je ne peux pas me baigner parce que les policiers sont là, il y a eu des morts ici », dit Moustapha Diagne, un jeune de 22 ans.
À Cambérène, aux portes de Dakar, la baignade est autorisée mais pas sans danger. Madiop Dieng, un pêcheur du coin, a appelé les policiers pour qu’ils fassent sortir de l’eau des dizaines de jeunes.
« Si on laisse faire, il y aura des noyades. La mer est agitée aujourd’hui », confie-t-il à l’AFP. Il assiste, incrédule, au retour des baigneurs dans la mer dès le départ des policiers.
Un peu plus loin, la commune de Golf Sud possède sa plage. Son accès est autorisé mais la baignade y est interdite, une situation jugée « paradoxale » par sa députée-maire, Aïda Sow Diawara.
« Une fois que les gens ont accès à la plage, tu ne peux pas leur interdire l’accès à la mer », dit-elle, en expliquant avoir, après plusieurs noyades, « proposé au gouverneur de Dakar la fermeture » totale de la plage. Elle attend la réponse.