Jean Nouvel (1945-)

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Qu’il s’agisse de texte et de contexte, d’image et de simulacre – ou simplement de fumée et de miroirs, les ambitions architecturales de Jean Nouvel ne sont pas moins grandioses que son épicurisme légendaire

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Illustration par Marianna Gefen

Maintenant bien dans sa huitième décennie sur Terre et sa sixième sur Planet Architecture, Jean Nouvel ne montre aucun signe de ralentissement. Après le Louvre Abu Dhabi acclamé par la critique de l’année dernière, il est sur le point de livrer un autre mirage du désert sous la forme du Musée national du Qatar (qui doit ouvrir ses portes en décembre), poursuit les travaux sur les 320 m 53W53 de Manhattan (alias la tour MoMA), qui a culminé cet été, et inaugurera, dans sa France natale, une nouvelle tour cet automne, La Marseillaise de 135 m de haut sur le front de mer de Marseille. Et ce ne sont que les plus visibles parmi les innombrables projets en cours entrepris par les Ateliers Jean Nouvel (AJN), une entreprise internationale qui emploie environ 140 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel oscille entre un pic d’avant-crash, le plus haut de 2008 de 54 millions d’euros et un plus modeste mais toujours appréciable 27 €.

« Avec son épicurisme vient la silhouette d’un bon vivant, un bourgeois embonpoint tout droit sorti de Balzac »

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Source : Didier Zylberyng / Alamy

L’Institut du Monde Arabe, 1987, vêtu d’un moucharabieh mécanique composé de volets conçus pour s’ouvrir et se fermer selon les niveaux de luminosité, mais les mécanismes avaient tendance à coller

Pourtant, ce tourbillon d’activité, à un âge qui, il n’y a pas si longtemps, était considéré comme crépusculaire, est tout à fait conforme au caractère d’un homme longtemps réputé pour ses appétits plus grands que nature. Son ambition personnelle est légendaire, comme en témoigne sa poursuite souvent téméraire de projets de prestige. Il y a d’abord eu la Tour sans Fins de 92 étages, à Paris-La Défense en 1989, une épopée sans fin qui n’a finalement pris fin qu’avec la faillite de Nouvel en 1994. Puis est venu le Musée du Quai Branly en 2006, une musée anthropologique gargantuesque qui a dépassé les délais de deux ans et dépassé le budget de 64 millions d’euros, et sur lequel AJN aurait perdu 5 millions d’euros. Juste après, la débâcle personnelle de la Philharmonie de Paris 2015, une autre affaire dans le rouge pour AJN que son associé de l’époque, Michel Pélissié, l’avait supplié de ne pas le faire (compte tenu de la façon dont les choses s’étaient passées sur le quai Branly), et que Nouvel a renié le jour de l’inauguration, qualifiant son projet de « martyrisé » et de « saboté » et la salle de concert à peine à moitié finie de « contrefaçon » ‘. Et enfin, après une année 2012 déficitaire pour AJN, le concours 2013 du National Art Museum of China (NAMOC), que Nouvel était si déterminé à remporter qu’il y a investi 2,5 millions d’euros, mettant encore plus en péril les finances de son entreprise. et détruisant, a-t-il révélé plus tard, son amitié avec son rival Frank Gehry – un lourd tribut à payer pour un projet qui, au moment de la rédaction, semble avoir été discrètement abandonné par les autorités chinoises. « Si je gagne Pékin, je serai le plus grand architecte du monde ! aurait-il déclaré ;

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Source : Didier Zylberyng / Alamy

Les blocs de logements Nemausus à Nîmes, 1987, un premier projet radical qui a fait connaître Nouvel

« Personne ne résiste à la volonté de Jean Nouvel, c’est un rouleau compresseur, un vrai fou », explique l’architecte Francis Soler. «Il a construit sa carrière en tuant les autres. Il ne vit que pour ça. Mais peut-être pas tout à fait seulement pour cela, puisque juste un peu moins légendaire que son ambition personnelle est son épicurisme : les 14 000 bouteilles de vin qui ont été citées dans le procès de 2014 qui a suivi sa brouille avec Pélissié ; la table de jardin isolée dont il dispose en permanence à la Colombe d’Or, à Saint-Paul-de-Vence, où il va chaque été travailler ; ou son goût pour le plus gras des havanes phalliques à la Mies van der Rohe ou Che Guevara.

Et avec cet épicurisme vient la silhouette d’un bon vivant, un bourgeois embonpoint tout droit sorti de Balzac, que son mentor Claude Parent décrivait comme « une masse qui bouge avec la majesté d’un ours » – un ours invariablement enveloppé de noir, années 80- style architecte, et coiffé d’un feutre de marque pour protéger une tête glabre que le caricaturiste suisse Exem a tristement comparée à Nosferatu, dans le cadre d’une campagne (réussie) de 2016 pour couler les plans ambitieux de Nouvel pour le Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Accro aux voitures de sport – Porsche, Ferrari – Nouvel vit la vie sur la voie rapide, dépensant sa fortune, et continue d’accélérer avec l’âge, courant plus vite que jamais pour continuer à alimenter la machine et, peut-être, battre l’inévitable. Ses partenaires de vie, en proportion inverse, sont devenus de plus en plus jeunes – sa troisième et actuelle épouse,

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Une coupe transversale de la pointe priapique de la tour de Doha, 2012, un cylindre de 46 étages enveloppé dans un treillis en aluminium à double paroi

Travaux clés

Logement Nemausus, Nîmes, 1987
Institut du Monde Arabe, Paris, 1987
Hôtel Saint-James, Bouliac, 1989
Fondation Cartier, Paris, 1994
Palais des Congrès, Lucerne, 2000
Torre Agbar, Barcelone, 2004
Musée Reina Sofía, Madrid, 2005
Musée du Quai Branly, Paris, 2006
Guthrie Theatre, Minneapolis, 2006
One New Change, Londres, 2010
Philharmonie de Paris, 2015
Louvre Abu Dhabi, 2017

Récompenses

Prix ​​Aga Khan d’architecture, 1989
Prix ​​Pritzker, 2008

Citation

« L’avenir de l’architecture n’est plus architectural »

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Source : Stéphane Couturier / Artedia / Voir

Les volumes en acier rouillé de la boutique Saint-James Hotel, 1989, sont situés dans un vignoble rural

« Seulement sporadiquement un formaliste, il croit que l’architecture doit procurer du plaisir, mais ce que ses offres recherchent souvent ses effets dans de fragiles habillages de vitrines à écran plat »

Enfant de Dordogne, terre de foie gras et de confit de canard, Nouvel est né d’un père inspecteur des écoles et d’une mère enseignante d’anglais. Comme tant d’architectes, il souhaite d’abord étudier les beaux-arts, mais ses parents le poussent vers un métier plus sûr, qu’il commence à étudier à Bordeaux avant d’intégrer l’École des Beaux-Arts de Paris en 1966, dont il sort diplômé en 1972. Les événements de mai 1968 coïncidait avec la période de trois ans qu’il passa à travailler avec Claude Parent et Paul Virilio entre 1967 et 1970, qui culmina avec la fondation de sa première entreprise et sa première participation au concours solo, en 1971, pour le Centre Pompidou : un projet qui rendait hommage disciplinaire à sa fonction de mentor oblique(moins évidemment, la Philharmonie de Paris canalise aussi les diagonales parentales). À ce jour, il cite comme maîtres à penser des personnalités structuralistes et post-structuralistes comme Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes, Jacques Derrida et Gilles Deleuze , sans oublier Jean Baudrillard qu’il a bien connu.

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Source : Dennis Gilbert / Voir

La Torre Agbar sans vergogne phallique s’immisce dans l’horizon de Barcelone

L’année où il fonde son cabinet, il est nommé architecte à la Biennale de Paris – une foire d’art qui, sans domicile fixe, nécessite une scénographie temporaire pour chaque édition – à laquelle il réussit à ajouter une section architecture en 1978. C’était sans doute cette proximité précoce avec l’art contemporain et la scénographie qui a nourri nombre des tics et maniérismes de son travail ultérieur – le goût pour une approche conceptuelle débordant de références contextuelles multiples, sans parler de son utilisation libérale du scénographe et/ou de la nuit – boîte de trucs perceptuels du clubber. Rare est le projet Nouvel qui s’intéresse plus qu’un intérêt superficiel à la tectonique, à l’ingénierie, à l’état des choses ou à la matérialité intrinsèque des matériaux.

C’est plutôt une question de texte et de contexte, d’image et de simulacre – ou simplement de fumée et de miroirs, selon ses détracteurs. « L’avenir de l’architecture n’est plus architectural, déclara-t-il en 1980, ce qui signifiait que plutôt que de rester une discipline fermée, comme cela semblait l’être dans la France technocratique de l’époque, « l’architecture avait besoin de chercher ses sources dans le culture d’aujourd’hui, dans d’autres disciplines », et embrasser pleinement la nature de la société dont elle était l’expression ultime. Au mieux, lorsqu’il n’en fait pas trop, c’est une démarche qui peut enchanter par son brouillage théâtral des frontières, son sens poétique de l’atmosphère et son jeu léger avec les signes et les signifiants : les moucharabiehs mécaniques clignotants de l’Institut du Monde Arabe, la mise en abyme arboréede la cristalline Fondation Cartier, ou la pluie de lumière qui filtre à travers le dôme en treillis métallique complexe du Louvre Abu Dhabi.

Louvre abu dhabi, plaza (depuis le balcon)

Source : Slywire / Wikimédia

Le vaste dôme en treillis du Louvre Abu Dhabi combine le grand geste avec des atmosphères de pluie de lumière

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Source : Collection Artedia / Voir

La Fondation Cartier, 1994, une vitrine monumentale en cristal pour l’art contemporain

Mais au pire, cela peut paraître trop bruyant, facile et maladroit, comme au Quai Branly, où personne ne semble avoir été capable de lui dire quand s’arrêter, et où la pléthore de finitions a conduit à notamment de mauvaises l’exécution, car les vis étaient serrées sur le budget délibérément sous-estimé. Ce n’est pas comme s’il n’avait pas été prévenu. Dans une conversation de 1997 avec Baudrillard, le philosophe lui dit : « Si l’on planifie trop, si la conceptualisation est trop dense, le filon s’épuise, et je pense que c’est aussi vrai en ce qui concerne la recherche théorique : ceux qui cumulent trop de références , qui entassent les données et expliquent à l’infini une trajectoire, s’épuisent avant de dire, quoi ? Rien.’

À bien des égards, Nouvel a suivi la trajectoire classique de ses camarades soixante-huitards. Un outsider et un fauteur de troubles à ses débuts – un nouveau rebelle rock ‘n’ roll de gauche qui a fondé le mouvement Mars 1976 en opposition à l’establishment de la Charte d’Athènes qui régnait alors en France – il est maintenant devenu exactement l’establishment il a cherché à usurper, un millionnaire architecte d’étatqui exerce une énorme influence, même si cette position a été affaiblie à la suite du naufrage du train de la Philharmonie. Là où, avant la chute, il pouvait remporter un concours malgré le fait que sept des huit architectes du jury n’avaient pas voté pour lui (la Philharmonie, où il bénéficiait clairement du soutien des puissances supérieures), il gémit ensuite, sans le moindre soupçon d’ironie ou de conscience de soi, qu’il « ne pouvait plus mettre la main sur [Aurélie] Filippetti [la ministre de la Culture de l’époque]. Tout d’un coup, je n’ai pu joindre personne. Ce qui est absolument incroyable compte tenu de ma situation en France. Incroyable! Je n’avais jamais été traité comme ça de toute ma vie !

« Personne ne résiste à la volonté de Jean Nouvel, c’est un rouleau compresseur, un vrai fou »

S’il y est arrivé, c’est en partie grâce à son énorme talent, si typique des années 1980 à sa majorité, pour l’image, le marketing et la manipulation des mécanismes visuels de la  société du spectacle.. Dans le contexte de la victoire électorale de Mitterrand en 1981, après sept ans de conservatisme culturel giscardien en petit c, il était au bon endroit au bon moment, remportant le concours pour construire l’un des premiers Grands Projets présidentiels, IMA (le bâtiment qui a amené lui la renommée nationale et internationale). Plutôt que de dialoguer physiquement avec son site donné, une grande partie de son architecture a tendance à dialoguer avec lui intellectuellement dans un scénario de scénario de film ; l’espace, chez Nouvel, n’est souvent qu’une question de profondeur de champ. Seulement sporadiquement formaliste, il estime que l’architecture doit procurer du plaisir, mais ce que ses offres recherchent souvent ses effets dans de fragiles habillages de vitrines à écran plat.

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Le Louvre Abu Dhabi, 2017, en couverture de L’Architecture d’Aujourd’hui , le premier magazine français d’architecture, que Nouvel a acquis en 2007 pour tenter de le sauver, mais s’est ensuite rapidement désintéressé de

Cette tendance aux relations publiques brillantes dans son œuvre a atteint un apogée de l’auto-caricature dans sa conception de 2007 pour l’emballage (marqué ‘design by Jean Nouvel’) du parfum d’Yves Saint-Laurent L’Homme: sorte de plug anal de mécanicien, le flacon se présente sous la forme d’une éprouvette phallique inversée à la Torre Agbar, un boulon en forme de suppositoire qui se visse dans un écrou anthracite. Tout comme la fragrance « mêle virilité et fragilité », écrit Nouvel sur jeannouveldesign.fr, « le flacon possède une symbolique consciemment virile ; en revanche, la délicatesse du verre implique une forme de fragilité et de douceur. Un jeu de lumière traverse le verre et le parfum. C’est ce qui rend le flacon aussi précieux que le parfum luxueux qu’il contient ». Il s’avère que Brad Pitt est un fan inconditionnel de Nouvel qu’il a nommé sa première fille biologique Shiloh Nouvel en l’honneur de l’architecte.

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La carrière de Nouvel est loin d’être terminée, et il reste à voir comment l’avenir se déroulera. S’il prenait sa retraite aujourd’hui, on se souviendrait de lui pour une douzaine d’excellents bâtiments flottant dans une mer de projets moins intéressants – et parfois franchement médiocres -, ainsi que pour avoir incarné certaines tendances fin de millénaire dans le Zeitgeist. Va-t-il soudain nous surprendre avec un retard inattendu ? Ou va-t-il continuer comme il l’a toujours fait, dix-neuf à douze, les barattage à gauche, à droite et au centre, les bons, les mauvais et les indifférents, dans une explosion fulgurante de boulimie de construction ?

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OCTOBRE 2018

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