Par Beringer GLOGLO, Économiste, Fondateur du Cercle des Jeunes Économistes pour l’Afrique.
Avant la pandémie du coronavirus, les besoins de financement annuels de l’Afrique subsaharienne en termes d’infrastructures physiques et sociales (routes, électricité, eau, santé, éducation) nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable à l’horizon 2030 sont estimés à environ 20% du PIB en moyenne (Gaspar et al, 2019). Dans le sillage de la pandémie, le FMI a estimé que l’Afrique a besoin d’un financement supplémentaire d’environ 285 milliards de dollars d’ici à 2025 pour pallier les déséquilibres économiques. Eu égard aux montants abyssaux, un consensus soutient l’idée d’un recours mécanique (ou presque) aux ressources étrangères avec la thèse que l’Afrique souffre d’une insuffisance de ressources pour financer son développement. Je voudrais apporter une contribution mais avec un regard critique.
D’abord, lorsqu’on fait un cumul des ressources des fonds de pension, des réserves des compagnies d’assurance et des réserves de changes du continent, on aboutit à environ plus de 1000 milliards de dollars USD d’actifs sous gestion 1 (2014-15) ; soit environ 30 fois le montant des ressources des droits de tirages spéciaux du FMI affectés à l’Afrique pour la gestion de la crise de la pandémie de covid-19 lors du sommet de Paris (Mai 2020). Pourtant, en Afrique subsaharienne, la contribution des investisseurs nationaux est infime pour les grands projets d’infrastructure. Environ 70 % des capitaux propres des projets proviennent des entités internationales (investisseurs internationaux) sur la période 2011-20. 2 Une telle situation laisse penser que les investisseurs locaux ont délibérément choisi de ne pas opérer sur le continent africain. Il est évident que le couple rendement-risque des projets est un facteur déterminant pour tout investisseur. Cependant, cet argument semble trop réducteur et simpliste dans le contexte des investisseurs locaux.
En effet, les investisseurs locaux ont choisi librement de s’implanter sur le continent sachant les caractéristiques des pays. De surcroît, ils disposent d’une meilleure connaissance des économies africaines. Leur faible contribution au financement des projets d’investissements du continent peut s’expliquer par un autre élément essentiel : le manque de confiance. Ainsi, l’inertie dans la mise à disposition des ressources disponibles au profit des projets d’investissements sur le continent pourrait être une conséquence de la méfiance que les investisseurs locaux ont développée vis-à-vis de leurs propres économies (pays) – représentées par les institutions et leurs dirigeants. Ensuite, lorsqu’on s’intéresse aux ménages, la population africaine fait partie de celle qui épargne le plus dans le monde contrairement aux idées répandues. Les africains épargnent fréquemment pour des motifs de précaution (accident, problème de santé, décès, etc.) ou de transfert de capital (aide aux enfants, financement de l’éducation..).
Le cas des personnes en situation de précarité est même paradoxal mais pas totalement absurde. Ces dernières (la majorité) ne disposant pas d’une source de 1 cf. l’ouvrage FINANCER L’AFRIQUE, Densifier les systèmes financiers locaux de Cédric Achille MBENG MEZUI 2 Private finance for development: wishful thinking or thinking out of the box? (FMI, 2021) revenu stable et régulier épargnent un maximum à chaque période pour continuer à subvenir à leur besoin en cas d’absence totale de revenu à une période postérieure. Mais cette ressource reste difficilement accessible. La difficulté réside notamment dans l’inexistence d’instruments financiers adéquats en raison de la prédominance de l’informel et du faible taux de bancarisation. Aujourd’hui, l’ascension fulgurante des services de « mobile money » (utilisation de la monnaie légale via des supports digitaux) contribue au renforcement de l’inclusion financière et représente également un élément catalyseur pour accéder à une partie de l’épargne des ménages. Grâce à la proximité du « mobile money », presque toute la population africaine, y compris celle opérant dans l’informel (et exclut du système bancaire traditionnel) dispose d’un compte où elle stocke une partie de ses avoirs financiers.
D’ailleurs, le service a permis de développer un format digital du système traditionnel d’épargne en Afrique plus connu sous la désignation de « tontines ». Ces deux constats ont une implication fondamentale. L’idée que l’Afrique manque des ressources financières pour son développement est un vrai-faux problème. Autrement dit, c’est une erreur de penser que l’Afrique devrait systématiquement solliciter des ressources étrangères pour son développement. Il ne faut donc plus se tromper dans les priorités. Désormais, il faut créer et gagner la confiance des investisseurs locaux puis les solliciter. Par ailleurs, ceci m’emmène sur une autre idée tout aussi bien répandue. « Les marchés financiers locaux sont moins profonds pour couvrir les besoins des économies africaines.» Qu’il me soit permis, ici, de poser la question suivante. Les marchés financiers locaux deviendront-ils plus profonds s’ils ne sont pas sollicités ? Je réponds négatif ! Enfin, il ne faut surtout pas rater l’opportunité du temps présent. Une ingénierie financière plus innovante permettrait de proposer des instruments financiers adéquats pour réaliser la collecte efficace de l’épargne des ménages disponible sur les nouveaux supports digitaux, afin de les transformer en ressources d’investissement. A ce sujet, je suggère ceci.