Exclu CapitalL’affaire des “vrais-faux” clients fibre de SFR vient de connaître son épilogue. Le 15 octobre, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de l’opérateur télécoms pour “pratiques commerciales trompeuses”, et le versement d’un million d’euros de dommages à son rival Free, à l’origine de la procédure.

Le litige portait sur les différentes technologies de liaison à très haut débit : il y a d’un côté la fibre optique déployée jusqu’à l’abonné, et de l’autre les technologies HFC (Hybrid Fiber Coaxial), qui utilisent la fibre optique pour le coeur de réseau et le câble coaxial pour raccorder l’abonné sur les derniers mètres. Les technologies HFC sont exclusivement développées par Numéricable (et donc par SFR depuis son rachat en 2014), et reposent sur les réseaux câblés de l’opérateur, qui sont constitués de câble coaxial. Moins puissant que la fibre, le câble coaxial offre un plus faible débit. Free n’a visiblement pas apprécié que SFR se targue de commercialiser des “Box fibre” qui ne l’étaient pas totalement, tandis que les offres de Free déployaient la fibre optique jusque chez leurs abonnés.

SFR condamné en 2018

L’affaire avait débuté en 2015. Free avait assigné SFR en justice, l’accusant d’induire les consommateurs en erreur en intégrant le mot “fibre” à ses offres, alors que ces offres ne proposent pas la fibre optique de bout en bout. Le trublion des télécoms estimait que l’utilisation de “termes mensongers” dans la communication de son concurrent lui faisait perdre de potentiels clients, et réclamait ainsi près de 52 millions d’euros de dommages à l’opérateur au carré rouge.

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Un premier jugement avait été rendu en 2018 par le tribunal de commerce de Paris. Pour ce qui est du versement de dommages à Free, le tribunal de commerce n’avait pas entièrement donné raison à l’opérateur détenu par Xavier Niel. Les éléments fournis par Free ne permettaient pas de démontrer “le lien de causalité directe entre le défaut d’information et le préjudice économique allégué”. Autrement dit, impossible d’établir clairement que Free avait pâti de la communication mensongère de SFR, et encore moins de chiffrer les pertes d’abonnés qu’aurait occasionné cette publicité. En revanche, le tribunal avait reconnu que “le défaut d’information retenu a nécessairement eu pour conséquence l’amélioration de l’image de SFR au détriment des autres opérateurs”. SFR avait ainsi été condamné à verser un million d’euros à Free pour “préjudice moral”. L’opérateur détenu par Patrick Drahi avait fait appel de cette décision, finalement confirmée par la cour d’appel de Paris le 15 octobre dernier.

Concernant la communication de SFR envers ses clients, le tribunal de commerce avait condamné l’opérateur pour “pratiques commerciales trompeuses”, et lui avait ordonné de préciser explicitement dans sa communication où la technologie “fibre” s’arrête dans le réseau. N’ayant pas joué le jeu, SFR avait été rappelé à l’ordre par la justice en octobre 2020.

L’arrêté du 1er mars 2016

A son tour, la cour d’appel de Paris estime aujourd’hui que la pratique commerciale trompeuse est bien avérée. “La confusion entretenue a indiscutablement conduit les consommateurs à souscrire à une offre dans la croyance que leur logement était raccordé [en fibre] de bout en bout et qu’ils étaient bénéficiaires d’une connectivité la plus performante du marché”, peut-on lire dans la décision de justice rendue le 15 octobre. La cour va jusqu’à mentionner une pratique “indiscutablement déloyale”.

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En pratique, les juges d’appel ont épluché la communication de SFR de l’époque. Ils ont d’abord regardé les affiches publicitaires et les mailings. A chaque fois, ces campagnes mentionnaient le mot “fibre” suivi d’un astérisque renvoyant à cette précision : “raccordement à la fibre optique avec terminaison coaxiale”, ou bien “fibre avec terminaison coaxiale ou optique”. Pour la cour, “la présentation graphique de l’ensemble de ces affiches met en évidence la fibre optique et la rapidité du débit, mais elle ne permet pas à un consommateur d’apprécier que cette offre s’appuie sur un raccordement jusqu’à l’abonné par un câble coaxial. En effet, le renvoi par un astérisque à cette information, développée au bas de l’annonce en très petits caractères à peine lisibles, ne satisfait pas à l’exigence d’informer le consommateur sur la composition du service fourni, quand la terminaison coaxiale est indiscutablement l’une des qualités substantielles du service, en ce qu’elle est l’une des composantes déterminante de la vitesse et de la stabilité du débit”.

Même chose pour la publicité sur les lieux de vente, où seul un astérisque renvoyait à la mention du câble coaxial. “Cette mention stipulée en petits caractères à peine lisible est occultée par la taille des annonces qui seules attirent l’oeil”, déplore la cour.

La cour a enfin examiné le site web de l’opérateur, qui n’indiquait pas clairement au futur client s’il serait raccordé en fibre ou en câble coaxial. Le prospect était juste renvoyé vers une page, baptisée “informations pédagogiques”, qui présentait les deux technologies. La cour déplore : “ces informations créent une confusion évidente entre la fibre de bout en bout et la terminaison coaxiale. Cette confusion est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, en lui donnant la certitude de souscrire à l’offre très haut débit la plus performante”. Pour compliquer encore les choses, ces pages web utilisaient l’expression “câbles à fibre optique”, expression que la cour juge “trompeuse” et “induisant une confusion manifeste dans l’esprit du consommateur”.

Enfin, en 2016, un arrêté décisif a été signé afin d’encadrer l’utilisation du mot “fibre” par les opérateurs. Pour assurer une parfaite transparence des offres, cette décision du 1er mars 2016 énonce que lorsque le raccordement de l’abonné est en câble coaxial, l’utilisation du terme “fibre” doit nécessairement être suivie de la mention “sauf raccordement du domicile”. Cette précision doit être bien visible, et ne peut donc constituer une note de bas de page en très petit caractère. L’opérateur SFR avait d’ailleurs adressé un recours au Conseil d’Etat pour contester cet arrêté, estimant qu’il s’agissait d’une “atteinte à la liberté d’expression”, mais ce dernier n’avait pas été retenu.

Suite à cet arrêté, SFR a modifié les noms de ses offres à très haut débit. Les offres en fibre optique avec terminaison coaxiale, autrefois appelées “Box Fibre”, ont été renommées “Box THD” et “Box 4K”.

Contactés, SFR et Free n’ont pas souhaité faire de commentaire.