Sénégal – Fadel Barro : « Le jour où Y’en a marre est né »

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Portrait de Fadel Barro © Malick MBOW
Portrait de Fadel Barro © Malick MBOW
 RÉSERVÉ AUX ABONNÉS
Mis à jour le 30 septembre 2021
Fadel Barro, cofondateur du mouvement Y’en a marre, en avril 2015 © Jessica Vieux pour JA

Alors que le mouvement citoyen a vu deux de ses fondateurs, Kilifeu et Simon, placés sous mandat de dépôt dans une affaire de trafic de passeport ou de visa, son ancien porte-parole revient sur le jour – ou plutôt la nuit – de sa création.

« Y’en a marre » a été créé dans la nuit du 15 au 16 janvier 2011. À l’époque j’étais journaliste à La Gazette, un magazine sénégalais d’investigation. Souvent, le soir, je retrouvais des amis originaires, comme moi, de Kaolack : Thiat et Kilifeu, du groupe de rap Keur Gui, ainsi que Sofia ou encore Aliou Sané, avec qui je vivais en colocation.

Thiat était toujours friand des révélations publiées dans La Gazette à propos des affaires politico-financières du moment. Dans mon appartement dakarois, aux Parcelles assainies, on refaisait le monde. Ce soir-là, après ma descente du boulot, on buvait le thé en discutant. Et vers 2 h du matin, on a subi une coupure de courant interminable. À l’époque, les « délestages » étaient fréquents et pouvaient durer jusqu’à dix-huit heures d’affilée.

Un cri adressé à la jeunesse

J’avais l’habitude de taquiner mes amis rappeurs : « Votre musique, là, ça ne sert pas à grand-chose car, en ce moment, vos fans ne peuvent même pas vous écouter ! » Et eux me rétorquaient : « À quoi ça sert d’être journaliste si tu ne t’adresses qu’à une poignée de lecteurs de l’élite qui ont les moyens d’acheter le journal et ont l’instruction suffisante pour lire tes articles en français ? »

C’est cette nuit-là que nous avons décidé de créer un mouvement qui serait totalement indépendant des partis politiques et des syndicats. Notre ambition était de nous représenter nous-mêmes afin que cette jeunesse sénégalaise qui pense autrement ait son mot à dire.

NOUS EN AVIONS AUSSI MARRE DE NOUS-MÊMES, QUI RESTIONS LES BRAS CROISÉS TANDIS QUE LE PAYS SOMBRAIT

Notre nom est venu naturellement dans la discussion. On a dit : « Y en a marre ! » Marre des coupures de courant, contre lesquelles le régime d’Abdoulaye Wade demeurait impuissant. Marre aussi de nous-mêmes, qui restions les bras croisés tandis que le pays sombrait dans l’abîme. Aussitôt, nous avons rédigé notre première déclaration, tout en conviant les médias à une conférence de presse sur la place du Souvenir.

Dans ce communiqué, on interpellait nos concitoyens : y en a marre quand ? y en a marre où ? y en a marre de qui ? Nous cherchions à nous adresser en priorité à la jeunesse et nous lui annoncions que si elle entendait ce cri, nous définirions dans un deuxième temps une stratégie pour trouver des solutions.

« Le coupable avait pour nom Abdoulaye Wade »

L’association n’a existé juridiquement qu’en 2013 car le régime d’Abdoulaye Wade ne nous a jamais délivré de récépissé ; et celui de Macky Sall a tardé à le faire. Ce n’est qu’en juin 2013, à la veille de la visite à Dakar de Barack Obama, que nous l’avons obtenu. Le président américain avait annoncé qu’il comptait nous recevoir.

Y’en a marre est issu de la critique de toutes ces formes légalisées de représentation qui, selon nous, avaient échoué et que nous estimions exsangues et inopérantes. Nous voulions incarner l’exemple de ce que nous voulions voir.

Cette même nuit, vers 3 heures du matin, nous avons envoyé le communiqué de presse aux médias pour leur donner rendez-vous deux jours plus tard. Dès le lendemain, Keur Gui a invité les rappeurs sénégalais (Xuman, Simon, Fou malade…) à rejoindre le mouvement.

Ce 18 janvier 2011, les policiers étaient venus, eux aussi. Ils ont interrompu la conférence de presse et nous ont arrêtés. Notre nom était tellement conforme au ras-le-bol des Sénégalais que le projet a fait tache d’huile. Il nous fallait rompre avec l’éternel fatalisme des Sénégalais : nous avons donc rédigé des plaintes symboliques, que nous faisions signer à nos compatriotes. Il s’agissait de désigner un responsable. Et en ce temps-là, le coupable avait pour nom Abdoulaye Wade.

Les bases que nous avons posées cette nuit-là annonçaient la mobilisation du 23 juin, à Dakar, contre son projet controversé de Constitution. Pour nous, l’enjeu était d’aboutir à une alternance en 2012 qui ne serait pas phagocytée par les partis politiques mais émanerait des citoyens eux-mêmes.

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