Dépeint comme l’un des opposants les plus radicaux à Macky Sall et à son régime, le leader de Pastef multiplie les sorties musclées contre le pouvoir. Analyse d’une stratégie
Dépeint comme l’un des opposants les plus radicaux au président de la République, Macky Sall et à son régime, le leader du parti Pastef/Les patriotes, Ousmane Sonko, multiplie les sorties musclées contre le pouvoir. Dimanche soir, il a annoncé clairement qu’il ne va pas signer la charte de non-violence produite par une partie de la société civile sénégalaise pour se prémunir contre toute violence en perspective des prochaines élections. Avec des analystes politiques, L’Observateur décode la ligne dure de Sonko. Ses limites objectives et subjectives.
Son discours n’a pas varié. Il est resté presque le même depuis son arrivée dans l’espace politique. Leader du parti Pastef/Les patriotes, Ousmane Sonko incarne l’aile dure de l’opposition sénégalaise face au régime de Macky Sall. D’un tempérament plutôt chaud-bouillant, son entrée en politique aurait réveillé sa face radicale. Pour Ousmane Sonko, «cette violence gratuite quasi-institutionnalisée» par Macky Sall et son régime ne va pas cesser tant que le peuple se laisse faire. Le leader de Pastef appelle ainsi les Sénégalais à soigner le mal par le mal, à user de la violence pour répliquer à la violence. Car pour lui, Macky Sall n’est fort que parce que son opposition le laisse faire. «Il faut comprendre s’il (Macky, Ndlr) s’attaque à l’un d’entre nous, il s’est attaqué à tous», disait-il aux autres membres de l’opposition lors d’un point de presse le 18 juin 2021. A Ziguinchor, après les affrontements de ses partisans et ceux de Doudou Ka (responsable de l’Alliance pour la République (Apr), parti au pouvoir) en octobre dernier, Ousmane Sonko avait produit comme à son habitude un discours guerrier à l’endroit des responsables de la mouvance présidentielle. «Que celui qui veut se suicider, s’aventure à m’attaquer ici à Ziguinchor. C’est la dernière fois que nous acceptons les attaques», avait menacé l’opposant dont l’arrestation en mars, dans l’affaire «Adji Sarr», avait conduit à des émeutes qui ont fortement secoué le pays, avec un bilan macabre de 14 pertes en vies humaines.
Le rejet de la charte de non-violence
Cette escalade verbale, le souvenir douloureux des événements du mois de mars dernier et certaines scènes de violence dans un contexte préélectorale des Locales du 23 janvier 2022, avaient fini de motiver certains membres de la société civile et le Cadre unitaire de l’Islam à proposer une charte sur la non-violence aux acteurs politiques. Ainsi le président du Cadre unitaire de l’Islam, Cheikh Ahmed Tidiane Sy, rappelle que dans cette charte proposée aux acteurs politiques, il s’agit d’abord pour le pouvoir, du respect du jeu démocratique, de garantir les conditions d’élections libres et transparentes et assurer un processus électoral clair. Il s’agit aussi d’assurer une justice indépendante car, sans cette justice, il n’y aura pas d’Etat de droit. En dernier lieu, le sens de la responsabilité des acteurs politiques. Et cela passera notamment, par la prise de conscience des acteurs politiques des enjeux du moment, en tenant un discours responsable qui exclut tout type de violence. Mais manifestement, cette proposition n’agrée pas le leader du Pastef. Ousmane Sonko s’est exprimé défavorablement sur cette proposition de la société civile avant-hier dimanche, lors du meeting d’investiture des candidats de la coalition Yewwi Askan Wi du département de Dakar. Le président du parti Pastef a précisé qu’il ne signera pas cette charte de non-violence. Ousmane Sonko : «Je ne la signerai pas. Si tout le monde fait ce qu’il doit faire, si chaque partie des politiques fait son devoir, il n’y aura aucune scène de violence. Si quelqu’un vous égratigne, frappez-le, si quelqu’un vous mord, arrachez-lui les dents.» Mais qu’est-ce qui explique cette posture radicale du leader du Pastef ? Ousmane Sonko est-il réellement un leader violent ou use-t-il seulement d’une stratégie politique ?
Pour Dr Momar Thiam, enseignant-chercheur en marketing politique et directeur de l’école des Hautes études de l’information et de la communication (Heic/Dakar), on peut analyser cette posture du leader de Pastef sur trois paramètres. Dr Momar Thiam : «D’abord le premier paramètre, c’est qu’il (Sonko) est dans une investiture où on draine du monde. Et mobiliser du monde et haranguer une foule demande parfois des déclarations-chocs, même si on n’y croit pas. On se souvient des campagnes où des candidats disaient des choses qui sont irréalisables, mais histoire de haranguer les foules et de créer de l’ambiance. Il était peut-être dans une forme de communication festive pour haranguer une foule. Ensuite, Sonko était dans une position stratégique pour la bonne et simple raison qu’il est dans la droite ligne de ses positions qu’il a prises jusque-là. Il a toujours estimé que le pouvoir est un régime qui utilisait la violence pour mater des opposants. Et face à cette violence-là, il faut opposer une force de résistance, fusse-t-elle par la violence. Il est en droite ligne de ses propos et de son positionnement par rapport à ce qu’il appelle la violence d’Etat. Et le dernier paramètre, c’est qu’à partir du moment où c’est une partie de la société civile qui a mis en place cette charte de non-violence et peut-être qu’elle n’a pas associé les partis politiques, fussent-ils d’opposition qui estiment qu’ils sont victimes de cette violence d’Etat, il n’a pas à choisir dans une espèce de cuisine qui ne le concerne pas directement. Il ne veut pas être réceptacle de cette cuisine de la société civile, d’autant plus qu’il précise que cette violence ne vient pas de l’opposition, mais plutôt de l’Etat. Pour Sonko, c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités pour asseoir une atmosphère de paix.»
«Là où le discours de Sonko est problématique»
Suivant ces trois paramètres, Dr Momar Thiam souligne qu’on peut comprendre la posture de Sonko. Mais là où le bât blesse pour l’analyste politique, c’est qu’on est dans un meeting politique où on a une multitude de perceptions de la chose, de l’argument politique. Donc le discours est interprété différemment. «Il est surtout écouté par les jeunes et s’il dit clairement qu’il ne signe pas cette charte de non-violence, pour certains, il est pour la violence et il faut résister par tous les moyens nécessaires. Cela joue donc sur une bonne ou mauvaise perception de l’opinion en face de lui, notamment les jeunes qui avaient acté ce qui s’est passé au mois de mars. C’est là où le discours est problématique», fait-il savoir. Et d’après Dr Momar Thiam, ceux qui laissent des plumes dans les violences politiques, ce ne sont pas les leaders, mais la masse inconsciente prête à défendre le «capitaine», quel qu’en soit le prix. Pour lui, c’est là où le discours violent est problématique. Mais dans la stratégie politique, Sonko est en droite ligne par rapport à son positionnement sur la violence d’Etat. «Cela ne veut pas dire qu’il est un leader violent», précise M. Thiam.
Une lecture politique que semble partager l’enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw. Pour le Professeur Diaw, cette position de Sonko peut s’expliquer par le fait qu’il ne fait pas confiance aux auteurs de cette charte de non-violence par leurs «positions ambiguës» ou leur «proximité» avec la majorité présidentielle. Moussa Diaw : «Ce discours de Sonko explique la tension qui règne dans l’espace politique sénégalais à l’approche des élections locales et législatives de 2022 avec des enjeux considérables. Tous ces facteurs expliquent que Sonko adopte cette attitude par stratégie politique, après une lecture réaliste du comportement des uns et des autres dans le paysage politique. Et on ne lui donne pas une marge de manœuvre lui permettant de jouer pleinement son rôle d’opposant avec des garanties qui correspondent à la démocratie et à l’Etat de droit. Il est dans une posture où il ne bénéficie pas de toute la protection nécessaire dans une démocratie. L’opposition doit être protégée et bénéficier d’un certain nombre de garanties dans l’exercice de la démocratie. C’est ce qui lui donne cette posture à s’opposer et à adopter une ligne dure avec un rapport de forces.» Seulement pour l’enseignant-chercheur en science politique à l’Ugb, cette posture, d’où qu’elle puisse venir, est dangereuse pour la démocratie et pour la stabilité du pays.
«Un discours qui peut desservir»
Mais ce discours guerrier, violent peut-il desservir quelque part le leader du Pastef ? L’enseignant-chercheur en marketing politique, Dr Momar Thiam répond par l’affirmative. Pour l’analyste politique, ce discours radical peut être un frein pour Ousmane Sonko pour son accession à la magistrature suprême. Car d’après lui, l’histoire révèle que le peuple sénégalais a toujours tendance, quand il est appelé à choisir entre plusieurs candidats, à choisir toujours le plus modéré. Dr Momar Thiam : «Ce discours peut le desservir en termes d’image au moment où les Sénégalais devront choisir entre lui et d’autres prétendants au fauteuil suprême. L’histoire du vote au Sénégal est claire. Au moment de choisir, on vote toujours compte tenu de nos codes socio-culturels, de notre cohabitation avec les voisins. On choisit toujours le moindre mal. Et dans le schéma du moindre mal, on y classe toujours la non-violence. Quand il doit choisir, le Sénégalais aime toujours choisir celui qui lui semble être le plus apaisé ou le plus apaisant. Et c’est ce qu’a compris Barthélémy Dias, quand il est revenu sur sa décision de ne répondre à la Justice ou d’annuler ses manifestations parce qu’il ne veut pas être taxé comme quelqu’un de violent». Pour sa part, le Pr Moussa Diaw souligne que cette position radicale du leader du Pastef ne va pas trop peser à l’heure de choisir et son appréciation variera selon les personnalités. «Le citoyen moyen qui n’écoute que les discours peut mal interpréter cette posture de Sonko. Mais il y aura toujours certains qui vont voir les raisons qui l’ont poussé à adopter une telle posture et à tenir de tels discours. Il y aura toujours des gens qui vont faire le discernement», explique Pr Diaw.
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