Laïcité, identité, Zemmour, wokisme, Covid… Apparemment irréconciliables, le candidat de la France insoumise et le philosophe ont débattu à bâtons rompus pour l’Express.
Pour tout avouer, nous n’étions pas tout à fait tranquilles. Voire, un brin anxieux. Comment allaient-ils se saluer ? Se parler ? Allaient-ils même rester jusqu’au bout de l’entretien ? Organisé dans les locaux de l’Express, ce débat entre Jean-Luc Mélenchon et Raphaël Enthoven n’allait pas de soi. N’avait rien de simple. S’ils viennent tous deux de la même rive, s’ils ont tous deux au Parti socialiste donné corps et âme pour l’élection de Lionel Jospin en 2002, le leader de la France Insoumise et le philosophe ont depuis pris leurs distances. Des centaines de kilomètres. Au point de paraître, désormais, sur deux continents différents. Toujours à portée de flèches, plutôt de bombes, tant ils se sont menés la guerre. A tel point que l’intellectuel a pu déclarer que « Mélenchon est passé de Clemenceau à Francis Lalanne ». Ambiance… « Les relations avec Enthoven sont très compliquées… », nous faisait-on savoir dans l’entourage du triple candidat à l’élection présidentielle quand jaillit l’idée de les réunir. Une litote synonyme de refus. Pensait-on, du moins.
Car, finalement, les deux hommes ont accepté de se prêter à l’exercice. Jean-Luc Mélenchon et Raphaël Enthoven ont le goût de la contradiction intellectuelle, ce n’est pas un hasard s’ils ont l’un et l’autre débattu avec Éric Zemmour. Ils y reviennent d’ailleurs longuement. Sans doute le premier était-il galvanisé à l’idée d’expliquer au second le fond de sa pensée et de se défendre des critiques acerbes que celui-ci lui émet depuis plusieurs années. Sans aucun doute le second avait-il une envie irrépressible d’exposer au premier ses regrets, si ce n’est sa tristesse, de ne plus reconnaître le « référent républicain » qu’il avait connu auparavant. De bonnes raisons d’enfin se rencontrer.
Il y a quelques jours, un épisode a quelque peu compliqué les choses. Et accéléré notre rythme cardiaque. Dans l‘hebdomadaire La Vie, Jean-Luc Mélenchon a qualifié les dirigeants du Printemps Républicain, proches d’Enthoven, de « fanatiques anti-musulmans ». Ce qui lui a valu une plainte déposée par le mouvement politique… et une colère noire du philosophe, qui n’aura de cesse, durant les premières minutes de l’entretien, de demander des excuses à un Mélenchon qui n’en lâchera aucune. Nous avons frôlé la catastrophe. Mais plutôt que de choisir la fuite, ils ont préféré se pousser dans leurs retranchements.
Une discussion qui ne ressemble à aucune autre
Vous l’aurez compris, cette discussion à bâtons rompus que nous publions dans L’Express, entre deux intellectuels engagés à leur façon, ne ressemble à aucune autre. Nos deux débatteurs, face-à-face, griffonnant frénétiquement leurs idées sur des pages blanches, ne se sont laissés aller à aucunes facilités ni désaccords de façade. Il y eut de la colère, des rires, des oppositions profondes et même, ô surprise, des sujets sur lesquels ils se sont retrouvés. Rarement des thématiques comme la laïcité, l’universalisme, la créolisation, l’immigration, la religion, les identités ont eu le droit à autant d’arguments de fond, dans un débat aussi politique que philosophique, historique, parfois même poétique.
Mélenchon a-t-il quitté les rives de la République ? L’intersectionnalité est-elle pertinente ? L’universalisme est-il un ethnocentrisme ? Que penser de la cancel culture ? Que faire de l’antisémitisme de Céline ? Quel est l’intérêt de débattre avec Éric Zemmour ? Le candidat à la fonction suprême et l’agrégé en philosophie n’esquivent aucune de ces questions ; y répondent avec le renfort de Derrida, Bestandji, Mouffe, Glissant, Christine de Pizan, Pic de la Mirandole…