Construite sur une superficie de 18 000 m2, la configuration de l’Arène nationale semble faire défaut. Du moins, le joyau traîne des impairs liés à l’adaptabilité avec la culture de la lutte sénégalaise
Tel un taureau trop à l’étroit dans son enclos, attendant d’être libéré dans l’arène pour un combat sans merci contre Siteu, Papa Sow a échappé à vive allure de la petite zone qui lui était réservée pour franchir celle de l’adversaire. Conséquence, une bataille rangée s’est déclenchée, Papa Sow a pris à bout portant un tam-tam qui lui fracasse la tête laissant le sang couler à flot. Et le combat qui se préparait depuis plus de 2 ans n’a pu avoir lieu le 5 décembre. L’Arène nationale avait vécu le même scénario le 17 août 2020, lors d’un combat qui devait opposer Alioune Seye 2 à Niakh Diarignou. A quelques petites minutes de l’opposition, Alioune Sèye a répondu à la provocation du préparateur mystique de son adversaire et sans trop calculer, l’a roué de coups jusqu’à ce qu’une bataille rangée éclate entre les deux camps. Alioune Seye 2 a été blessé par un accompagnant de Niakh Diarignou. Le combat s’arrête là. D’autres scènes de violences, sans compter le nombre de fois que le bijou construit sur 18 000 m2, pour 32 milliards Cfa, a été mis à sac par des supporters furieux…semblent donner raison à ceux qui, dès la livraison de l’infrastructure, ont signalé qu’il avait un petit défaut. Qu’il ne répond pas totalement aux normes de la culture de la lutte sénégalaise et son côté folklorique. Car malgré sa capacité de 22 000 places, la proximité des tribunes avec l’enceinte présente un danger. Pas que ça, les lutteurs qui ont besoin d’espace pour l’échauffement, la chorégraphie et tout le folklore qui va avec, ne cessent de se plaindre de l’étroitesse de l’Arène Nationale. «Les «Cumukay» (vestiaires) des deux lutteurs sont souvent très proches. On n’a même pas la possibilité de se promener librement, parce qu’il y a une barrière à 7 mètres de l’adversaire », a déploré Papa Sow, lorsqu’il revenait sur l’incident qui a fait foirer son combat contre Siteu.
Ces incidents ont poussé des acteurs de la lutte à faire part de leur inquiétude par rapport à la sécurité au niveau de l’infrastructure sportive sise à Pikine. Construite sur une superficie de 18 000 m2, la configuration de l’Arène nationale fait débat dans le monde de la lutte. Journaliste et chroniqueur sportif à la Télévision Futurs Médias (TFM), Malick Thiandioum estime que l’Arène nationale ne répond pas aux normes de la lutte sénégalaise. «Il n’y a pas d’espace pour les vestiaires (Cumukay) et pour les touss (chorégraphies des lutteurs). Les tribunes sont presque conçues aux normes des stades anglais. Le public est très proche du théâtre des opérations. Ça pose un problème réel de sécurité. La conception de base de l’Arène nationale a été faussée. Il fallait réellement impliquer le monde de la lutte et les architectes sénégalais pour concevoir une Arène aux normes de la lutte sénégalaise. Ça a été mal conçu», indique-t-il. Pour un habitué du stade Demba Diop ou encore de Léopold Sédar Sengor et ses 60 000 places, l’Arène Nationale traîne beaucoup d’impairs.
«Dans les stades Demba Diop et Léopold Sédar Senghor, il y avait des lignes de démarcation qui étaient occupées par les forces de l’ordre pour séparer les deux camps. Il est plus facile d’organiser et de sécuriser la manifestation dans ces stades qu’à l’Arène nationale », poursuit le chroniqueur de lutte. Vue de loin, elle a une architecture en forme de nid d’oiseau. De plus près se dresse au regard un complexe multisport avec, à proximité, des aires de jeu. L’espace de lutte encerclé par du sable est mobile. Les tribunes sont construites à l’anglaise et permettent de créer une communion entre le public et les sportifs, notamment les lutteurs. Un modèle qui ne rassure pas le 3e «Tigre» de Fass. Gris Bordeaux évoque un manque de sécurité totale. «Ce problème a été évoqué depuis le début, parce qu’on n’a pas associé le monde de la lutte lors de la conception de cette Arène. Il y a des failles. Il est aujourd’hui plus facile d’organiser un gala de lutte à Léopold Sédar Senghor ou à Demba Diop où les amateurs sont loin de l’enceinte. A l’Arène nationale, les spectateurs peuvent facilement envahir l’enceinte. J’ai peur quand il y a combat à l’Arène, parce que les choses peuvent dégénérer à tout moment. L’Arène nationale n’a pas été construite aux normes africaines, raison pour laquelle, on se retrouve avec des sièges arrachés après chaque gala de lutte», regrette le président de l’Association des lutteurs du Sénégal.
Concernant les vestiaires (Cumukay), Gris Bordeaux est d’avis qu’il faudra limiter le nombre de combats pour régler le problème. Le 3e «Tigre» de Fass : «Pour cinq combats lors d’une journée, vous vous retrouvez avec 10 Cumukay, en plus des accompagnants, ça fait forcément désordre dans l’enceinte. Donc quand il y a un grand combat, il faudra limiter les combats préliminaires à trois, comme ça, on aura moins de Cumukay.» Mais avec la configuration de l’Arène nationale, même avec la réduction d’affiches, il semble être difficile d’organiser des combats de très grandes envergures. Malick Thiandoum qui n’a pu cacher sa crainte, pense que c’est très «risqué». «Honnêtement, j’ai peur. J’ai des inquiétudes par rapport à ces combats à très haut risque. Modou Lo-Ama Baldé à l’Arène nationale, j’ai des appréhensions. Peut-être Balla Gaye-Bombardier, c’est moins grave, mais Ama-Mod’Lo, il faudra prendre des dispositions sécuritaires hors norme pour pouvoir pallier toute éventualité», dit le chroniqueur de lutte de la TFM.
«La lutte sénégalaise ne s’accommode pas au modernisme»
En réalité, dans la conception de l’Arène, il a été bel et bien prévu des pièces pour servir de vestiaires au vrai sens du terme, sous les tribunes. Mais dans la culture de la lutte, les vestiaires communément appelé «Cumikay » c’est juste un espace sur la main courante, où le lutteur dépose son arsenal mystique, où il est entouré de ses accompagnateurs. Ce qui fait dire au président du Comité national de gestion (Cng), que la « la lutte sénégalaise ne s’accommode pas jusqu’à présent au modernisme». «Il y a bel et bien des vestiaires dans l’Arène nationale. Mais quand les lutteurs entrent dans les vestiaires lors des combats, les amateurs seront privés de beaucoup de choses comme le folklore. Alors que cela fait partie de notre culture. L’aspect culturel vaut déjà son prix. Petit à petit, nous arriverons à inscrire les lutteurs dans les vestiaires où ils ne sortirons que pour faire leurs «bakk » (chorégraphie) et pour combattre», explique Ibrahima Sène. En attendant, le Cng initie le tirage au sort pour déterminer l’emplacement des deux adversaires du combat-leader. Pour éviter ce qui se passe souvent dans les galas de lutte avec frappe, avec des lutteurs qui placent leur vestiaire (Cumukaay) partout où ils veulent, le CNG veut expérimenter cette nouvelle formule. «On a réglementé les vestiaires (Cumukay). Maintenant nous faisons un tirage au sort la veille du combat avec la présence des managers des lutteurs. Quand vous tombez sur le Cumukay B, le jour du combat vous allez le rejoindre. Donc, il n’y aura plus de confusion. Ils sont distants entre 30 et 50 mètres et ne pourront pas se rencontrer tant qu’ils ne sont pas dans l’enceinte. Ce sont des dispositions que nous avons prises, en plus nous avons réduit le nombre de batteurs de tam-tam à sept personnes. Il y a des changements qu’on est en train d’opérer. La question des Cumukay est déjà réglée», indique le président du Cng. Mais cette nouvelle formule n’est pas bien accueillie du côté des lutteurs. Pour Gris Bordeaux, la lutte a ses réalités et on ne peut pas choisir pour un lutteur son Cumukaay. «Je ne suis pas d’accord pour le tirage au sort proposé par le Cng pour attribuer les vestiaires (Cumukay). Culturellement le premier à arriver au stade est libre de choisir là où s’asseoir où mettre ses affaires. Le Cumukay est très important dans un combat, ce n’est pas au Cng de le décider», fustige le 3e «Tigre» Fass.
Infrastructure sportive hors norme, l’Arène nationale est modulable et peut devenir une aire de jeu pouvant accueillir d’autres disciplines telles que la boxe, les arts martiaux, l’escrime, l’haltérophilie et la gymnastique qui, elles, peuvent bien s’y accommoder.
CHEIKH TIDIANE SARR, DIRECTEUR DES INFRASTRUCTURES SPORTIVES : «L’Arène nationale a été construite à l’image des arènes grecques»
«Aujourd’hui, pour les sports de combat, les gens recherchent le fait que le public soit proche du spectacle pour qu’il y ait une certaine chaleur et pour que les gens aient une meilleure visibilité au niveau du spectacle. L’Arène nationale a été construite à l’image des arènes grecques. Ça permet au public, à n’importe quel niveau, d’avoir la même visibilité. On ne peut pas prendre l’exemple de Demba Diop, parce que ce stade n’a pas été construit pour abriter des combats de lutte. Le problème se pose au niveau de la prise de conscience de tous les acteurs, en commençant par les supporters qui doivent être mieux organisés. Il faut que les organisateurs prennent des dispositions pour que le public ne descende pas et qu’on organise l’intérieur de l’enceinte, parce que parfois, il y a trop de monde. Il y a aussi une situation qui est là. Chaque journée, il y a au moins 10 combats par gala, c’est 20 lutteurs, dont 20 vestiaires (Cumukaay), sans oublier le nombre d’accompagnants par lutteur. Il faut qu’on essaye de revoir le nombre de combats, c’est une question qu’on peut poser sur la table. Pour les ‘’Cumukaay’’, dans la configuration, il y a deux zones en sable qui sont prévues pour les bains mystiques. Le Cng est arrivé à mettre des barrières et chaque lutteur à son espace de prédilection. J’ai entendu quelqu’un dire qu’il faudra casser l’Arène et la reconstruire. Mais c’est à nous de nous adapter par rapport à nos besoins. L’Arène nationale n’est pas faite uniquement pour la lutte, c’est une infrastructure polyvalente. S’il y a des lutteurs qui ont besoin des vestiaires, ils peuvent l’utiliser.»