Nouvel étape dans la rupture entre la France et le Mali, les autorités maliennes ont demandé à l’ambassadeur de France de quitter le pays « sous 72 heures ». Pour Antoine Glaser, journaliste et écrivain spécialiste des rapports entre la France et l’Afrique
Nouvel étape dans la rupture entre la France et le Mali, les autorités maliennes ont demandé à l’ambassadeur de France de quitter le pays. La rupture semble consommée entre la France et le Mali. Le 27 janvier, à la télévision nationale, le porte-parole de la junte, le colonel Abdoulaye Maïga, invitait la ministre des Armées Florence Parly à se taire, après qu’elle ait déclaré à l’Assemblée nationale que la junte multipliait les « provocations ».
La stratégie très habile de la junte malienne
Pour Antoine Glaser qui vient récemment de publier chez Fayard Le Piège Africain de Macron, c’était prévisible. « Habituellement, c’est la France qui prend les devants, maintenant ce qui change, c’est qu’on n’est plus dans la Françafrique, on est dans l’Afrique France ! Cette junte est beaucoup plus intelligente qu’on ne l’imagine. C’est très fort de leur part. Surtout après les récentes déclarations de Florence Parly et Jean-Yves Le Drian qui déclaraient ‘on ne peut pas rester comme ça.’ «
« Le fait de prendre les devants est une stratégie très habile » selon Antoine Glaser, « surtout dans ce moment où beaucoup de nations africaines éprouvent un fort sentiment anti-Français. Cela leur permet de renforcer leur position en interne. » Quand le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian qualifie la junte d’« illégitime » et ses décisions d’« irresponsables », après que les autorités maliennes eurent poussé le Danemark à retirer son contingent de forces spéciales, « ils expulsent l’ambassadeur de France. »
Un camouflet pour la France
Les conséquences sont importantes pour la France car cela remet en cause sa stratégie militaire, explique Antoine Glaser. « Ça piège complètement la France vis-à-vis de ses partenaires européens. Ça remet en cause la stratégie de la France pour ne plus être en première ligne et de faire monter la présence des alliés européens dans la force Takuba. » Antoine Glaser nous rappelle le contexte dans lequel ce renvoi intervient, à quelques jours du sommet Europe-Afrique (sommet présidé par la France qui se tiendra les 17 et 18 février) où « vont être abordées les questions de développement et d’infrastructure en Afrique ». Tout le monde va avoir à l’esprit le camouflet que vient de subir la France, « c’est très habile de la part de la junte ».
Bamako a réitéré « sa disponibilité à maintenir le dialogue et poursuivre la coopération avec l’ensemble de ses partenaires internationaux, y compris la France, dans le respect mutuel et sur la base du principe cardinal de non-ingérence ». Mais dans les faits comment ça va se passer ? « Une fois le retrait de l’ambassadeur, les seuls qui se parlent après sont les services secrets » explique Antoine Glaser « la DGSE va prendre le relais pour les relations avec la junte. »
En renvoyant l’ambassadeur de France, « ce n’est qu’un pas de plus vers un discours de séparation avec la France » lance Antoine Glaser qui souligne que tous ces cadres « sont formés en Russie bien sûr, et ils doivent être confortés par les Russes. Il faut se rappeler ce qu’a dit le patron de Wagner, Prigojine, au moment du putsch au Burkina Faso, qui saluait une ‘ère de décolonisation’ « .
Antoine Glaser souligne également l’influence grandissante de la Chine, « d’abord via les infrastructures et les investissements économiques, mais maintenant également au niveau sécuritaire. Jusqu’à ce jour, c’était la France qui votait les résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais ça aussi, ça ne va pas durer des années non plus ! La Chine voudra jouer un rôle grandissant dans ces instances surtout qu’elle clame qu’elle est le deuxième contributeur aux opérations de maintien de la paix. »
Pour Antoine Glaser, « la France n’a pas du tout vu venir ce qui se passait au Mali. Ce n’est pas la lutte contre le terrorisme qui est en cause, mais nous vivons un tournant historique. Jusqu’à aujourd’hui, la France a toujours cru qu’elle était chez elle en Afrique » mais depuis la chute du mur de Berlin en Europe, les choses ont changé. « Cela a un impact sur l’Afrique qui se mondialise complètement. Alors que Paris a continué, compte tenu du fait de sa présence militaire, à ne pas le voir. »